Les Aventures de Massi
liso
// Massi //
Il y a un mec qui vient parfois squatter mon canapé. Il pose ses cheveux sur le cuir et me raconte ses histoires. Il m ouvre des pans de monde que je ne connais pas, alors j écoute. J imagine. Je recueille patiemment les images qu il me laisse.
Massi est quelqu un qui sort clairement de l ordinaire. Il m impressionne un peu. Il a eu le courage de faire ce que peu d entre nous osent : il a écouté la réaction de son corps au monde, de sa peau au vent, de son coeur aux amants, et il a agit en conséquence. Il a guidé ses pas vers ce qu il était le seul capable de faire en ce monde. Son histoire me touche. Je voudrais commencer à la dérouler.
Le texte en italique c est des extraits de ses carnets, le reste c est moi qui raconte.
// #1 // Caramel cuivré inconnu //
Les poutres étaient apparentes, le toit mansardé. Par la petite fenêtre, Massi regardait le jour flotter frébrilement sur les toits des grands bâtiments. Un jour prêt à s effondrer. Massi guettait l instant où il pourrait s échapper. Il attendait l opportunité, le signe, la rencontre. L évènement qui récompenserait ses efforts et l emmènerait vers son futur un petit peu plus vite. Il voulait partir, mais il ne partirait pas pour fuir. Il partirait pour rejoindre quelque chose de mieux. En attendant ce mieux, Massi remplissait ses carnets. Inlassablement.
La petite table sous la fenêtre était faite d un bois épais et strié. Il y posait ses coudes. Le papier ne faisait pas de bruit. La plume y glissait mieux que n importe quoi d autre ne le ferait jamais dans cette pièce.“ C est marrant mais je crois que la vie a un sens. Ça fait presque depuis que je suis arrivé dans le nouveau monde que je me pose cette question. Et mes conclusions, aussi provisoires qu il soit sage qu elles soient, sont en faveur d un sens. D un sens indéniable même.” Au moment où il écrivait ces mots, Massi ignorait que sa vie telle qu il la connaissait, était sur le point d exploser. Il se souviendra longtemps après son départ, de la petite chambre mansardée. Car même si les souvenirs n y sont pas très lumineux, c est ici que tout s est déclenché.
Massi était arrivé là presque par hasard au nouvel an dernier, une bouteille de vodka à la main. Un jean troué à moitié. C était un loft de la banlieue sud. La pièce principale, immense, était remplie d intellectuels de tous les pays. Venus de Chine, du Japon et de Londres, pour fêter ce roulement du temps. Des IPN parcouraient les murs. Massi imagina les ouvriers suants qui avaient du peupler cette ancienne usine, avant qu elle ne soit reconvertie en temple de la bienséance. Les rires sophistiqués ont remplacés les odeurs de musc tiède. Devant la grande poutre verticale qui soutenait le toit du loft, s élevait une pyramide de bouteille de champagne. Vu le parfum élégant des pensées qui embaumait la pièce, le champagne ne pouvait être que le meilleur que l on puisse se procurer dans le pays. Massi eu envie de cacher sa bouteille de vodka du supermarché, mais déjà Nicolas s avançait vers lui, sourire à la main et enthousiasme tendu. Il prit la bouteille dans une nuée de remerciements et de questions attentionnées. Nicolas était grand et tous ses poils visibles étaient noirs. Ses cheveux flottaient devant et au dessus de lui. Ses grand yeux bleus, cernés de cils bruns. Les lèvres charnues. Nicolas était visuellement plus impressionnant que la pyramide de champagne. La beauté technique et la construction symétrique de son visage étaient sidérantes. Fidèle à la tradition, Nicolas s inquiétait de son hôte. Sous le flot de questions polies et attentionnées, Massi du justifier sa présence et les amitiés qui l avaient engendrée. Comme au temps de la royauté, il devait retracer sa filiation mondaine, dérouler la chaîne bleue de ses parentés sociales.
Massi avait marché longtemps dans les grandes rues brumeuses avant de trouver l entrée du loft. Il avait encore la mâchoire inférieure paralysée par le froid. Il n articula pas très bien ses réponses. Les mots sortaient avec trop de consonnes. Ça fit rire Nicolas. Ce qui soulagea Massi. Le rire de Nicolas dévorait sa beauté. Comme s il avait été dessiné pour rester figé, la perfection de ses traits s évanouissait dans chaque expression marquée. Son sourire, laissait voir des dents trop courtes pour une mâchoire trop large. Le rire, l étonnement ou l attention aigu, effritaient l harmonie structurale de son visage. Faire rire Nicolas apportait le même plaisir que de jouer à Angry birds. On détruisait ce qui était organisé. Odieusement construit et éclatant d équilibre. On libérait sa beauté pour qu elle puisse s envoler ailleurs, et cesser d être prisonnière d un visage de glace. On créait le chaos. Massi envoyait ses blagues comme des petits oiseaux. Le bas de son visage se réchauffait.
Au début un peu vilain canard sur la soupe. Massi était comme souvent, devenu très à l aise avec tout. S insérant parfaitement malgré son apparente singularité, dans la masse des invités. Son charme opérait. Son charme opérait toujours. Son énergie, sa bienveillance et sa vivacité d esprit raccommodait son jean dans le regard des gens. Massi était petit et frêle, mais rayonnant comme un phénix. Les petits groupes se le passaient dans le loft. “Tiens, t ai je présenté… le jeune homme au charme électrique ?” En le présentant, les invités s octroyaient un peu de son charme. Nicolas observa le manège. C était comme donner une pelote de laine à des chats. Depuis tout petit Nicolas baignait dans ce monde. Il avait cotoyé énormément de chats. Il avait vu des configurations sociales assez nombreuses et variées, pour s apercevoir que le jeune homme aux jeans raccommodés, avait quelque chose de spécial. Et le spécial était justement ce qui l obsédait. Comment briller dans un monde où tout le monde brille déjà trop? Comment trouver la brèche de l excellence. Il cherchait la reconnaissance en mimant l éclat. Eclat qui parmi les siens, était déjà du conformisme. Son entourage saluait l altérité et l excellence atypique. Et par cela même imposait l atypisme comme une norme. Son milieu était cruel. Nicolas aurait été parfaitement capable en d autres lieux de briller, et de flotter. Son physique, sa gentillesse, son sens du rire et de la légèreté lui auraient ouvert bien des portes. Mais dans ce milieu là, la pression était trop forte. On lui demandait des comptes à chaque discussion. Sous couvert de prendre de ses nouvelles, de s intéresser à lui profondément, on lui demandait de faire avant d être. “Qu est ce que tu fais en ce moment? “
Nicolas devait justifier de quelque activité qui le placerait en légitime fils de ses parents, légitime héritier de la réussite, légitime future étoile de la mode, de la musique, de n importe quoi pourvu que ça brille au dessus. “Qu est ce que tu fais en ce moment?” Les pensées de Nicolas bafouillaient, mais ses mots étaient droits. Du mannequinat pour tel ami photographe. Mais parce que c est un ami seulement. Le mannequinat ce n est pas vraiment son truc. Il travaille actuellement avec un metteur en scène, pour un film dont il serait le personnage principal et aussi le co-scénariste. Ils travaillent en écriture co-élabo-circonvolutive. “Vous savez cette nouvelle technique d exploitation de la mémoire sensoriello-affective du comédien.., c est une pratique inspirée par la rencontre de la littérature russe et de la pensée taoiste…” Comme Nicolas n avait rien à dire, il avait appris les techniques et figures de style pour pouvoir parler quand même.
Mondainement, Nicolas s en sortait bien. Mais il savait au fond de lui que ça ne durerait pas très longtemps. Il avait 22 ans. A un moment il faudrait bien qu il ai effectivement réalisé quelque chose de génial, pour pouvoir rester dans la course, cocktail à la main. Alors pendant le jour et sans contrainte d argent, Nicolas cherchait ce qu il pourrait bien raconter les soirs venus. Ses projets avaient comme finalité de devenir des sujets de conversation, d étonnement, d émerveillement. De validation public de sa valeur. Il devait faire avant d être.
Il avait eu une fois cette impression forte et terrible, en sortant d une salle de cinéma. La sensation inconfortable de ne pas savoir qui il était. Il marchait comme dans une bulle, pour un instant épargné par la pression invisible. Il slalomait la ville, entre les corps de béton et d acier, les kiosques en robe de papier. Seul dans lui même. Vide sans les autres. Les autres qui le pressent mais ne le nourrissent pas. Il aurait pu creuser cette sensation. Mais c était un vide tellement vertigineux, qu il n y avait aucune matière. Aucun sens. Ni pesanteur, ni haut, ni bas. Aucun repère. Il est donc rentré, la bulle s est percée, la vie a repris. Auprès de ses proches. Il a synthétisé un avis sur le film. Mimé l admiration sensible qu il pense que c est bien que les gens croient qu il ait eu. Etre sensible à l art, comprendre les silences, ressentir la beauté. Tel était son rôle. Son rôle minimum pour être accepté.
Sur le piano laqué, un vieux monsieur asiatique, musicien de renommé mondiale offrait son talent à l assistance. Ses doigts se promenaient comme les pattes d un petit rossignol sur la neige. L assistance applaudissait. Le vieux monsieur chinois remerciait. S entretenait avec un admirateur, puis réentamait une mélodie lyrique, abaissant les conversations. Respect. Les sonates et impromptus se suivaient, entrecoupés d applaudissements emphatiques. Nicolas n écoutait pas. Dos au piano, une coupe de champagne à la main, il regardait Massi. Impromptu, applaudissements. Sonate, applaudissements. Massi aller et venir. Respect. Massi se balader de groupes en groupes. Jeter ses bras dans les airs pour accompagner ses mots. Il ne semblait pas farouchement sur de lui. Mais il ne semblait pas fragile non plus. Il alliait une sorte de puissance et de vulnérabilité. Parfois son interlocuteur se détournait, happé par la rencontre apparemment surprenante d un ancien ami, et Massi se retrouvait seul. Mais contrairement aux gens que Nicolas avait l habitude de voir, une fois seul, Massi ne cherchait pas désespérément du regard un autre compagnon de conversation. Il ne semblait pas mal à l aise. Il n était pas agité par une soudaine activité gestuelle pour combler l abandon. Il pouvait rester là, le visage détendu à regarder calmement son ex interlocuteur parler avec emphase. Ou bien il regardait ailleurs. Il semblait ne rien attendre. Il semblait ne pas s inquiéter. Il semblait bien. Il semblait plein.
Nicolas fut attiré par cette densité comme un moucheron à la lumière. Comme la chaleur à l extérieur, la bille vers le bas. Par une force d attraction fondamentale. Comme la poussière sur l armoire, son regard revenait inlassablement se poser, en fines couches, sur toutes les surfaces visibles de Massi. Ses yeux d abord étonnés se firent aiguisés. Nicolas détaillait les gestes de Massi. Les plis des vêtements de Massi. Déduisait les mouvements cachés de son corps. La courbe de ses hanches. La molesse de ses fesses. D où venait ce phénix aux jeans troués? Il n avait pas dit les origines de sa famille. Il semblait ne pas avoir de famille. Il ressemblait au bohémien serbe de Delacroix mais avec des cernes de suie. On ne savait pas d où il venait. Sa peau n avait pas la couleur de la région. Sa peau n avait aucune couleur connue. Caramel cuivré inconnu. On pouvait tout imaginer en le voyant.
Pour Nicolas qui regardait Massi, son imagination était plongée dans une effervescence désordonnée. La présence de Massi l hérissait de mystère. Il était adoucit par son charme mais tiraillé par la jalousie et l attirance. Naissait en lui une violence qui le destabilisait.
Nicolas voulait jouer aux vases communiquant. Il lui fallait se rapprocher de Massi, le posséder. Que leurs peaux communiquent, et qu il prenne un petit peu de sa densité. Un peu de l eau de Massi dans son corps à lui.
De sa mollesse, Nicolas allait entourer les brèches de Massi. De sa douceur, il allait combler les oscillations intérieures de Massi. Il allait être la corde de Massi le cerf volant. Le relier à son monde. Tous ce soir là, regardaient le cerf volant. Mais sans la corde, il ne serait pas rester longtemps. Nicolas allait l englober d attention. La musique de la soirée charmait sa liane comme un serpent. Elle s élevait, s étirait, se torsadait dans les courants ascendants de la bienveillance et du désir. Massi, valdingué de groupes en groupes, trouvait toujours un refuge au contact de Nicolas. Une coupe de champagne ou une pause sur la véranda. Les étoiles dans le ciel. Une réflexion naïve et un sourire trop court, lorsqu il était las. Nicolas apprivoisait doucement. Analysait l armature du cerf volant. Il allait trouver les points de force, et s y nouer patiemment.
à suivre..