Les Bauer-Les feninger Ch.24
loulourna
25 Les Bauer-Les Feininger-Ch 24
Julius, dans un demi-sommeil, entendit vaguement Ethel se lever et faire couler de l’eau. Il se rendormi. Vers 10 heures, une mouche qui prenait son visage pour cible, fini par le réveiller. Ethel n’était pas là ; probablement chez ses parents. Se souvenant qu’il avait un train à prendre, il se leva rapidement. Il écrivit un petit mot très laconique annonçant à Ethel qu’il serait de retour lundi soir. Il le mit en évidence sur la couverture et quitta la petite chambre. En dévalant les escaliers, il pensa qu’elle n’aimerait probablement pas ce qu’il allait lui dire. Mais ses nouveaux rapports avec Ethel lui donnaient la force de l’affronter lundi soir. Un jour, il avait plaisanté, ---Tu veux savoir pourquoi je te fréquente ? Sans attendre de réponse il ajouta, --- Je veux comprendre ce qu’une fille belle et intelligente peut bien me trouver.
Il avait été seul à rire de sa boutade. Lorsqu’il faisait l’inventaire de sa vie, il savait pertinemment, qu’Ethel était la seule chose valable de son petit parcourt. Sans elle, il n’était rien.
Son sentiment de culpabilité repris le dessus en se dirigeant vers la gare. Il avait été d’une lâcheté peu commune, lorsque deux semaines auparavant, il avait juré à Franz Bauer qu’il ne fréquentait plus Ethel Birnbaum.
Franz, l’avait jaugé, puis,--- C’est bien, mais tu aurais dû la laisser tomber depuis longtemps et rentrer comme moi dans les Jeunesses Hitlériennes. Tu sais que mon père est colonel de la SS. Par lui je peux t’aider.
Julius savait qu’il allait être sous peu appelé par la wehrmacht, alors pourquoi ne pas profiter de ses relations ? Militaire pour militaire autant que ce soit dans les meilleures conditions.
Franz lui avait dit, --- Demain, je pars deux semaines dans ma famille. D’abord, il faut que j’en parle à mes parents mais pourquoi ne viendrais-tu pas vendredi prochain passer trois jours avec nous ? Je t’envoie un petit mot pour te confirmer.
Julius était persuadé que les violences antisémites finiraient par cesser. Hitler n’était quand même pas fou, ni plus bête que lui-même. Il devait savoir que les juifs représentaient un potentiel de croissance économique. Il devait savoir que parmi eux il y avait de grands scientifiques. Ethel lui avait dit qu’entre 1905 et 1931, 10 juifs allemands avaient reçu le prix Nobel. Il était convaincu, que bientôt, sa relation avec Ethel serait autorisée, que les juifs retrouveraient leur place dans la société. Ainsi rêvait Julius ce vendredi, 11 juillet 1935 dans le train de 12 h 43 qui l’emmena à Trebbin. Sa confiance dans l’avenir était totale. Ethel l’aimait et trois mois plus tôt le 21 mai exactement le führer avait parlé devant le Reichstag. Julius, n’avait pas oublié le discours de paix du Führer. Ethel avait été impressionnée lorsque le lendemain, rayonnant, il avait brandi le journal, trop heureux de lui prouver son pessimiste sur le futur de l’Allemagne. --- Lis, et tu comprendras à quel point le Führer est un grand homme !
Ethel n’avait pas voulu prendre le journal.
--- Je vais te lire les passages les plus importants. Tu devras reconnaître que Hitler est un homme de paix. Son discours parle de la réconciliation entre les peuples. Il repousse toutes idées d’une guerre en Europe. Il la considérait comme stupide et ridicule. Le sang versé sur le continent européen au cours des trois cents dernières années est hors de proportion avec les résultats qu’ont eu ces événements dans l’histoire des nations. En définitive, la France est restée la France, de même que l’Allemagne, la Pologne et l’Italie. Ce que l’égoïsme dynastique, la passion politique et l’aveuglement patriotique ont produit en fait de changements politiques apparemment importants -- et cela en versant des fleuves de sang n’a réussi, en ce qui concerne le sentiment national, qu’à toucher l’épiderme des nations ; leurs caractères fondamentaux n’ont pas été altérés de manières appréciables. Si ces États avaient consacré une fraction seulement de leurs sacrifices à des buts plus raisonnables, ils auraient certainement obtenu des succès plus grand et plus durable.
Non ! l’Allemagne nationale socialiste veut la paix, en raison de ses convictions profondes.
Elle la veut aussi parce qu’elle a compris une vérité simple et essentielle : nulle guerre n’apporterait un remède véritable à la détresse de l’Europe ... La guerre a toujours eu pour principal effet de détruire la fleur de la nation.
L’Allemagne a besoin de paix, elle désire la paix !
---La paix ! la paix ! la paix ! tu vois, il ne parle que de paix.
Ils ne pouvaient pas savoir, que ce jour même, Hitler avait promulgué en secret la Loi de Défense du Reich et préparait la guerre.
Ethel ne dit rien, mais était quand même ébranlée dans ses convictions. Ce que disait Hitler était une belle analyse du passé de l’Europe.
Julius continua sa lecture.
L’Allemagne a solennellement reconnu et garanti les frontières de la France, telles qu’elles restent fixées à la suite du plébiscite sarrois. Nous avons ainsi renoncé définitivement à toutes revendications sur l’Alsace-Lorraine, pour laquelle nous avons déjà fait deux grandes guerres... Faisant table rase du passé, l’Allemagne a conclu avec la Pologne un pacte de non-agression... Nous l’observerons sans réserves...Nous considérons la Pologne comme le foyer d’un grand peuple, conscient d’être une nation.
--- Comment veux-tu qu’après un discours pareil, entendu par tous les pays européens, qu’il puisse manquer à sa parole. Il dit plus loin qu’il se porte garant du traité de Locarno, qui confirmait la démilitarisation de la Rhénanie. Que jamais il ne mettrait la main mise sur l’Autriche.
Ce qu’Ethel et Julius ne savaient pas non plus c’est qu’un mois avant son discours sur le respect du traité de Locarno, les plans sur la réoccupation de la Rhénanie étaient prêts.
---Si tout ça est sincère, je te promets de faire mon mea culpa, mais pour l’instant, je réserve mon jugement.
---Tu es vraiment un rabat-joie, ce n’est pas possible d’être défaitiste à ce point-là. Julius se remémora un autre événement de 1935. Le dimanche 20 mars avait été un jour de réjouissance pour tous les Allemands. Hitler avait rejeté toutes les obligations du traité de Versailles. Ce soir-là, dans une brasserie, Julius et Franz, avec plusieurs camarades avaient fêté dignement l’événement.
---Le führer nous a rendu notre honneur, il a effacé l’humiliation de la guerre de 1914. Chaque tournée était scandée par des Heil Hitler ! tonitruant. Toute la bière ingurgitée, fut régurgitée vers deux heures du matin au gré de leurs déambulations dans les rues de Berlin. Ce même jour, pour la mémoire de son père, Julius avait assisté à une cérémonie en l’honneur des soldats de la Grande Guerre.
---Maman, papa est vengé, dit-il en rentrant à la maison.
---Ton père n’en aurait pas demandé autant, lui répondit laconiquement , Lucia.
Julius ne pouvait pas savoir, que les morts de 14-18 n’étaient qu’un prétexte. La véritable raison était la célébration de la renaissance de l’armée allemande.
Le 15 septembre 1935, quatre mois après le fameux discours de paix du mois de mai, au congrès de Nuremberg, son président, Hermann Goering présenta la loi pour la protection du sang allemand et les lois d’exclusion contre les juifs, dénoncés comme des sous-hommes.
Le parlement l’adopta à l’unanimité.
Le 26 juillet 1936, Hitler décida de soutenir Franco contre les républicains espagnols. En envoyant la légion Condor, Goering allait pouvoir tester la qualité de son aviation en bombardant et rasant sans risque des villes espagnoles ; entre autres, Guernica, le 26 avril 1937.
Franz l’attendait à la gare. Lorsqu’ils arrivèrent devant ce que Franz appelait la maison de famille, Julius fut émerveillé par le classicisme du petit manoir, au bout de l’allée bordée de peupliers. Franz arrêta la voiture devant le perron. Un valet en gilet rayé se précipita pour ouvrir la portière et prendre la valise de Julius.
--- Allons prendre un verre. Mes parents nous rejoindrons plus tard. ils font probablement une promenade à cheval.
Julius ne laissa rien paraître, mais il fut véritablement ébloui par la vaste entrée de cette vénérable demeure dont le centre était occupé par une table de pur style Biedermeier, aux pieds en forme de lyres. Une porte à double battant, peinte de scènes champêtres s’ouvrait sur un immense salon dont chaque meuble était signé par les grands ébénistes allemands. Il pouvait notamment admirer un secrétaire monumental incrusté de marqueterie représentant une allégorie des quatre saisons conçue par Roentgen. Franz était très fier de détailler chaque meuble, chaque peinture en citant le nom de leur auteur. Quelques années plus tard toutes ces merveilles seront anéanties par l’avance des armées soviétiques. Ils s’installèrent au fumoir, Franz servi deux verres de cognac et parlèrent de choses et d’autres. Une femme belle et élégante d’une cinquantaine d’années fit son entrée vers 18 heures. Elle vint vers lui en lui tendant les deux mains et dit. ---Voilà donc Julius ! Franz m’a souvent parlé de vous. Se tournant vers son fils. --- Il y a longtemps que tu aurais dû inviter ton ami. Ton père arrive tout de suite. Elle s’assit sur le canapé près de Julius, et la conversation continua d’un ton badin jusqu’à l’arrivée de M. Bauer. Cet homme grand, mince, droit comme un arbre impressionna Julius. Son regard bleu le fixa avec intensité un court moment, puis il lui fit un grand sourire et vint lui serrer la main. Ce fut un des journées de rêve, comme il en avait rarement connu. Il eut une très intéressante conversation avec M. Bauer. ---Je peux te faire rentrer dans une école de l’Ordre Nazi, où sont formées les élites de la future Allemagne. Tu y resteras trois ans pour recevoir une formation intellectuelle, sportive et militaire. Je te préviens, il faut de la volonté et être prêt à donner ta vie au Führer. ---Si tu es d’accord, ajouta Monsieur Bauer, je peux tout régler en 15 jours. De grandes choses se préparent en Allemagne, et tu peux faire partie des bâtisseurs de l’ordre nouveau. C’était la première fois qu’on prenait Julius en considération, c’était la première fois qu’on le considérait comme un bâtisseur et c’était la première fois qu’on le prenait pour un sujet d’élite.
Il serra chaleureusement la main de M.Bauer,--- Plus vite je commencerai, mieux ce sera. Il venait d’entrer dans un monde qu’il ne soupçonnait même pas. Parrainé par une famille aussi respectable que celle de Franz, il allait enfin faire partie de quelque chose de grand, servir le Reich, devenir quelqu’un. En cette fin de journée, pour la première fois depuis la mort de son père, il oubliait sa condition. Le plus difficile sera d’expliquer à Ethel que pour le moment, il fallait qu’elle reste dans l’ombre et qu’il allait partir trois ans à Marienburg en Prusse-orientale, pour devenir officier SS.
Le lundi,19 juillet, de retour à Berlin, il tomba de haut lorsque Sarah Birnbaum lui apprit qu’Ethel était partie.
---Elle est partie où ?
---Chez une amie, elle va y rester jusqu’à la fin de l’année.
Julius, perplexe, ne comprenait pas le pourquoi de cette décision. Il ne pouvait pas savoir que la lettre de Franz avait été la goutte d’eau qui avait décidé de son départ précipité. Ses recherches pour la retrouvée furent infructueuses. Deux mois plus tard, le 2 septembre 1935, il reçu sa convocation pour se rendre à Marienburg.
Après un voyage difficile, Ethel avec un maigre bagage, arriva à Rheinfeld le 11 novembre 1935. Accueillie chaleureusement par Martha Feininger, la maman d’Amélia, une femme d’une cinquantaine d’années, assez forte et souriante à l’abondante chevelure poivre et sel. Elle la serra dans ses bras et sans poser de question, elle prit la valise, --- Suivez-moi, Amélia m’a tellement parlé de vous. Elle fait quelques courses au village, elle va bientôt revenir. Nous parlions de vous hier soir, vos oreilles ont dû teinter. Amélia me disait qu’elle ne serait pas étonnée de vous voir débarquer un de ces jours. Elle va être à peine surprise. Quoi qu’il en soit, vous êtes la bien venue. Installez-vous dans la salle à manger, Je vais vous préparer une chambre. Je pense que vous n’êtes pas venu nous dire bonjour avec une valise.
Ethel, timidement acquiesça. Depuis son arrivée, elle n’avait pas dit un mot. Une vraie tornade, pensa-t-elle. Adossée à un buffet campagnard brillant de patine, son regard fit le tour de la pièce. Sur des murs blancs, étaient accrochés des tableaux, particulièrement des scènes de chasse. Une grande table rustique entourée de chaises cannelées trônait au centre. Deux bergères 1900, les dossiers et les accoudoirs protégés par des napperons en dentelle, devant une cheminée protégée par un pare-feu en cuivre rutilant. Le lent mouvement du balancier rythmé par le tic-tac d’une pendule à poids attira son attention. On pouvait lire dans la partie supérieure du cadran entourée d’une fine marqueterie représentant des fleurs : A.Lange&Söhne Plus bas Glashütter. Cette ville était connue pour ses horloges de qualité.
Au-dessus de sa tête elle entendait les pas actifs de Martha, qui s’affairait dans tous les sens. Ethel s’avança, par une porte entrouverte, elle admirait dans la cuisine, un rang de casseroles en cuivre brillantes comme des miroirs. Des carreaux de faïences polychromes, encore des scènes de chasse couvraient le mur derrière un poêle en fonte de Fumay. Il devait être merveilleux de mitonner des plats dans une telle cuisine, pensa Ethel.
Elle ferma les yeux ; elle s’était déplacée dans un autre univers. Toute la maison respirait la quiétude, la paix. Pour la première fois depuis longtemps les battements de son cœur s’apaisait. L’émotion l’obligea à s’assoir.
Ethel fut distraite par un bruit de porte. Amélia fit son entrée et poussa un petit cri, puis laissant tomber ses paquets elle se précipita dans les bras de son amie.
C’est dans cette position que Monsieur Feninger les trouva. Son père, souffleur de verre, très réputé dans la région, homme imposant avec des mains comme des battoirs faillit lui rompre les os en la prenant dans ses bras.
---Merci de me recevoir chez vous Monsieur Feninger.
---Il n’y a pas de M. Feininger ici, mais il y a un Werner.
Après ces dernières années d’agitation et d’angoisse, il lui semblait être arrivé au paradis.
Rheinfeld, petite ville moyenâgeuse, avec ses deux tours, restes d’anciennes fortifications, lui semblait un havre de paix ou la politique semblait absente. Toute la région, lui remettait en mémoire les contes de son enfance. La tour des Sorcières, le chemin du Diable, la forêt des Lutins semblaient sortir des histoires merveilleuses que lui lisait sa mère, le soir pour l’endormir.
L’ironie du sort, pensa-t-elle, était que sans julius, elle n’aurait probablement pas quitté Berlin. Elle raconta à Amélia, les derniers événements avant son départ, elle n’omit rien et en particulier, sa dernière nuit. Amélia n’était pas vraiment une spécialiste des aventures amoureuses, mais en savait suffisamment pour comprendre les sentiments d’Ethel. Elle la prit dans ses bras, lui mit la tête contre sa volumineuse poitrine,--- T’en fais pas, ici on va te faire oublier Berlin.
Ethel fut présentée comme une cousine, venant, de Francfort pour des raisons de santé. Les traits fins de son visage, ses cheveux blonds pouvaient très bien la faire passer pour une pure Aryenne. Ethel s’était rapidement intégrée à la famille Feninger. Elle les aidait aux différentes tâches de la maison, et avait réorganisé la comptabilité de Werner, qui s’emmêlait plutôt les pinceaux dans tout ce qui était papier et tracasseries administratives, de plus en plus contraignantes. Attenant à la maison, Werner dirigeait cinq ouvriers dans son atelier.
Elle ne lisait aucuns journaux et ne voulait plus rien savoir de la politique. Même en se mettant des œillères, elle ne pouvait pas ignorer cette jeunesse, fille et garçon en uniforme avec le brassard à croix gammée. La nazification s’organisait implacablement. Les écoles, dans lesquelles la plupart des enseignants servaient la cause du nazisme, les autres avaient été exclus, endoctrinaient les jeunes Allemands. Dés l’âge de 6 ans commençait l’apprentissage du futur nazi. À 10 ans il entrait dans Jungvolk ou il devait prêter serment, et jurer fidélité au fürher jusqu’à la mort. À 14 ans il entrait dans les jeunesses hitlériennes, jusqu’à 18 ans. Ensuite il passait dans le monde du travail ou l’armée.
À Marienburg, pendant trois années, Julius reçu une instruction intensive. Son cerveau fut remodelé pour devenir un fidèle serviteur du nazisme. À force de lui répéter qu’il était un élément de la race supérieur, Julius fini par le croire. À la fin de son cycle d’apprentissage, il était prêt. Durant cette période, toutes les paroles du discours de mai 1935 furent reniées. Le 12 mars 1938 , l’Allemagne envahi l’Autriche. Le 30 septembre 1938, à Munich, les Français et les Anglais sacrifièrent laTchécoslovaquie par un accord infamant. Le 15 mars 1939, Hitler entre à Prague. Cette même année Julius fut nommé SS Oberstumfürher. Il était maintenant conditionné pour que chaque action du Führer lui semblât légitime.
Ces trois années à Marienburg, sans avoir, une seule fois des nouvelles d’Ethel lui avaient semblé longues et courtes à la fois par son travail intensif. Trop dangereux d’envoyer des lettres à une juive. Personne dans l’école à qui se confier, ni même faire passer un courrier. Plusieurs fois il avait demandé à sa mère, si elle avait donné signe de vie. La réponse avait toujours été la même ; non. Lorsqu’au mois d’août, il revint à Berlin, dans son bel uniforme, il se précipita chez M. et MM. Birnbaum. Il sonna et la porte fut entre ouverte par une inconnue en peignoir, cigarette au bec.
D’une voix éraillée elle demanda, --- Vous désirez ?
Julius était maintenant capable de prendre le ton correspondant à son nouvel état. D’un ton sec, qui ne permettait aucune réplique, --- Qui êtes vous, madame ?
Impressionnée, elle ouvrit la porte en grand. ---Eva Brunner, nous habitons ici, depuis peu. Cet appartement nous a été attribué. Mon mari est oberleutnant.
--- Savez-vous ce que sont devenus les anciens locataires ?
---Avant nous, c’étaient des juifs, je ne les ai pas connus, je sais seulement qu’ils ont été obligés de partir. Personne ne sait vraiment ce qu’ils sont devenus. Depuis les nouvelles lois, tous les juifs ont été regroupés. Que leur voulez-vous ?
Julius hésitant,---Rien...non,rien.
Il avait espéré voir Ethel avant de rejoindre sa nouvelle affectation, située près de la frontière polonaise. Il avait le pressentiment qu’il ne reverrait plus jamais Ethel et ses parents. Il se trompait lourdement.
Quelques semaines après son arrivée, Ethel dû se rendre à l’évidence, elle était enceinte. Martha qui avait un bon sens pratique, suggéra que la meilleure solution était de continuer comme d’habitude, tant que cela ne se verrait pas et ensuite cacher Ethel jusqu’à l’accouchement. Elle se faisait forte de s’occuper de la naissance.
Le 12 juillet 1936, Martha et Amélia aidèrent Ethel à mettre au monde une petite fille, prénommée Erna.
Toute la maison s’organisa autour de la nouvelle venue. Ce fut ainsi pendant les six premiers mois, pendant lesquels Martha, Amélia et Werner, propagèrent parmi les proches, les voisins et les amis, qu’une jeune sœur de Werner vivant à Bonn, très malade allait leur confier son bébé. Un jour de novembre, comme par enchantement, Erna sorti au grand jour.
Deux mois plus tard, le 5 novembre pour être précis, lors d’une réunion secrète avec son état-major, Hitler déclara que l’Allemagne avait besoin d’espace vital et annonça sa décision irrévocable de faire la guerre. Toutes les méthodes étaient bonnes pour éliminer les moins belliqueux parmi l’état-major. Ainsi pour se débarrasser du Feldmarschal von Blomberg, veuf et qui venait de se remarier, il fit valoir des “ preuves “ que sa jeune femme était une ex-prostituée. Le général von Frutsch, commandant des armées, fut dénoncé comme homosexuel. Bien que cela soit reconnu comme faux, il fut limogé. Les ministres, militaires qui avaient joué un rôle important dans l’ascension du fürher, avaient été éliminés et remplacés par des hommes, peut-être moins efficaces, mais plus malléables. Le temps passait et la guerre approchait. Hitler, ne tarda pas à se faire nommer commandant suprême des armées. Le 12 mars, les Allemands entrèrent en Autriche. Le 30 septembre 1938, la France et l’Angleterre abandonnèrent la Tchécoslovaquie à la rapacité d’Hitler.
Souvent, Ethel pensait à sa vie antérieure détruite en si peu de temps et se demandait, ce qu’étaient devenus ses parents. Avaient-ils quitté Berlin ? Il était trop dangereux d’essayer d’avoir des nouvelles et ne voulait surtout pas que Julius puisse remonter jusqu’à elle.
Un nouveau coup était porté à la communauté juive. Un décret de juillet 1938, stipulait que les artisans, les petits commerçants et les professions libérales devaient cesser toutes activités avant le 31 décembre 1938. Au début de 1939, la famine et le travail forcé affaiblissaient la communauté juive qui n’était plus que l’ombre d’elle-même.
Le dernier obstacle pour attaquer la Pologne fut levé le 23 août 1939, lorsque les deux ennemis jurés, Hitler et Staline conclurent un pacte de non-agression et dans une clause secrète ils décidèrent de se partage la Pologne. Le 1e septembre 1939 les Allemands franchirent la frontière polonaise et ce fut le début de la deuxième guerre mondiale.
Le 31 octobre 1941 un décret du ministère du travail stipula que les juifs devaient accepter n’importe quel travail de jour comme de nuit pour un salaire que déciderait l’employeur.
Cette année-là, Erna, avait 5 ans 1/2 et ne savait pas qu’Ethel était sa mère. Celle-ci voulait mettre sa fille à l’abri d’une arrestation possible lui laissa croire qu’elle était une cousine éloignée. Au mois d’octobre 1941 la déportation des juifs Allemands vers les ghettos des territoires conquis devint systématique. Lodz, Varsovie, étapes avant l’impensable, l’inimaginable, excepté pour les schizophrènes du parti nazi : les camps d’extermination d’Auschwitz, Treblinka, Chelmno.
Depuis plusieurs jours Ethel semblait inaccessible, préoccupée. Cela n’avait pas échappé à Amélia. ---Tu semble nerveuse. Quelle chose t’inquiète ? Elles étaient dans la cuisine préparant le dîner. Ethel arrêta de touiller la soupe et posa sa cuillère en bois, --- J’ai l'intention de partir loin de Rheinfeld.
Amélia la regarda éffarée,---Tu ne peux faire ça, et ta fille.
---Ma fille ne sait pas que je suis sa mère ; je pars sans elle.
Voyant la détermination d’Ethel elle dit,--- mais pourquoi ?
Tu sais très bien que les familles allemandes qui apportent de l’aide aux juifs sont arrêtées. Tu veux que je sois responsable de votre perte ? Il y a une autre raison ; Sans moi Erna sera à l’abri des SS.
---Mais ou veux-tu aller ?
---N’importe où, partir loin d’ici. Tu diras à tout le monde que je suis retourné à Francfort pour m’engager dans l’armée.
N’ayant aucun argument à opposer à la décision d’Ethel, Amélia ajouta d’une voix faible,---Reste avec nous, mes parents ont déjà eu l’idée de construire un abri pour te cacher.
---Non c’est trop dangereux, je vivrai dans une angoisse perpétuelle...vous aussi... et comment le faire comprendre à Erna. Ma grande satisfaction c’est de savoir qu’elle sera avec toi, dans sa famille. C’est tout ce que je veux. Cette guerre, ne durera pas très longtemps. Peut-être nous reverrons-nous, qui sait?
Pendant qu’elle parlait, les larmes venaient aux yeux d’Amélia. Elle ne dit mot. Toutes les deux savaient qu’il y avait très peu d’espoir, de se revoir un jour.
Dans un sanglot, Amélia demanda,---Tu pars quand ?
---Demain matin, très tôt. Ne parles pas de mon départ à tes parents avant l’heure du déjeuner.
Elles se jetèrent dans les bras l’une de l’autre, puis séchèrent leurs larmes pour donner le change à Werner et Martha qui n’allaient pas tarder à les rejoindre.
Ethel tendit une lettre,---Si je dois disparaître tu donneras cette lettre à Erna. Tu jugeras lorsqu’elle sera en âge de comprendre. Tu dois être une tombe concernant Julius. Son père doit, à jamais, rester un inconnu.
Au petit matin, avant de quitter la maison, silencieuse, Ethel, sans la réveiller, contempla une dernière fois sa fille endormie. La demi de 5 heures sonna à l’église Saint Andréa. Ethel sursauta ; il était temps de partir. Elle se baissa, embrassa la petite tête blonde d’Erna, ramassa son sac : quelques vêtements, un peu de nourriture et sortit sans faire de bruit pour se mélanger aux ouvriers qui prenaient le car pour Bonn. Elle fut arrêtée par la Gestapo, quelques jours plus tard, lors d’un contrôle de routine dans le train Bonn-Berlin.
A suivre....
La machine infernale est en route, texte bien documenté. Amitiés.
· Il y a plus de 13 ans ·yl5