Les Blandices du Malin

Nathan Noirh

« Je trouvais à la fois dans ma création merveilleuse toutes les blandices des sens et toutes les jouissances de l'âme. Accablé et comme submergé de ces doubles délices, je ne savais plus quelle était ma véritable existence. »

Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe.

Ce témoignage me tenait à cœur. Non. Cœur est un spectre bien trop vague pour être utilisé de qualitatif. Une fonction aussi incohérente et subjective ne peut être représentative de ma création. La seule et unique véritable raison, est justement la raison. Ma création me renvoi définitivement à la véritable Question : Quel est le sens de mon existence ? Il n'y a pas de place pour l'à peu près et le tâtonnement approximatif des institutions. Nous ne pouvons pas écouter l'avis des institutions privées, l'avis des institutions politiques, des associations, des entreprises, des banques,  des conseils, des personnalités et des influenceurs. L'avis des Moutons ne peut être la seule façon d'avancer et d'évoluer. Nous sommes enfermés dans un système que nous avons créé et que nous entretenons sans le savoir jour après jour. Les prémices d'un système qui n'aura bientôt plus besoin d'entretien tant la configuration sera parfaite et proche d'un mouvement perpétuel. Le principe d'une action déclenchée au préalable par une autre action, qui déclenche à son tour une autre action et tout cela dans une boucle infinie. Une ingénieuse mécanique qui ne nécessite aucun apport extérieur de matière ou d'énergie, ni de transformation irréversible du système. Une énergie qui produit et se nourrit d'elle même. N'est-ce pas fabuleux ? N'est-ce pas la preuve que nous ne sommes pas indispensables ?

La Direction actuelle en est très loin. Elle administre sans contrôler, et contrôle sans regarder. Il n'y a pas de règles préétablies, pas de manuel d'installation, pas de journal de mise à jour. Il y a de l'approximatif et de l'ajout au jour le jour. La Direction représente la symbiose de tous les Moutons, une machine extraordinaire mise en place avec l'accord de tous, sans le regard de tous. La Direction, est au-dessus de vous, à côté de vous, et surtout, devant vous. Elle n'existe pas à proprement parler, elle n'a pas de nom déposé à l'INPI, pas de contours physique et tangible. Elle est faite d'une telle façon que l'on ne peut vérifier son action mais surtout, que l'on n'envisage pas son existence. Elle est pourtant présente, grâce à la croyance de tout le monde. Une croyance aveugle, représentative d'un héritage historique gouverné par des milliers d'années d'asservissement par la plus puissante des institutions : la Croyance. Je vous prie d'apporter une attention toute particulière à ces concepts que je tente de faire ressortir en gras depuis le début. Permettez-moi d'illustrer avec un exemple.

Connaissez-vous le principe et le génie de la monnaie Bitcoin ? C'est une technologie pair à pair fonctionnant sans autorité centrale, dont la gestion des transactions et la création de bitcoins sont prises en charge collectivement par le réseau. C'est une technologie ouverte et libre. Personne ne possède ni ne contrôle Bitcoin, sa conception est publique. Personne ne peut détruire Bitcoin. Sa conception repose sur le principe de la chaine de blocs, un grand livre comptable partagé et public. Ce grand livre est hébergé chez chaque utilisateur de Bitcoin. Détruisez un utilisateur, il restera encore tous les autres utilisateurs. Maintenant, je veux que vous imaginiez que le Bitcoin est un exemple extrêmement représentatif de la Direction. Comprenez-vous maintenant ? Vous êtes tous Hébergeur et utilisateur de la Direction. Et c'est pour cette même raison que nous ne pouvez détruire quelque chose que tout le monde possède.

J'exècre chaque jour cet épouvantail. Chaque seconde et chaque aspect de la vie quotidienne est une preuve de la malice et de l'étendue de sa toile. Mon regard possède une telle force de haine envers les Moutons et les Hébergeurs, une telle faim d'agitation et de révolte. La révulsion spontanée s'est accrochée à mon épine dorsale, entrelaçant ma moelle épinière et plantant ses griffes dans chaque terminaison nerveuse de mon épiderme. Chaque geste effectué pour se mouvoir dans cette institution omniprésente est un véritable supplice, une indubitable croix. Je regarde avec pitié et condescendance tous ces Hébergeurs, incapable de trouver une solution et de mettre en place une révolution. J'aimerai vous poser la question suivante : si vous deviez détruire quelque chose que tout le monde vénère, glorifie et nourrit sans le savoir, comment feriez-vous ? Peut-être en agitant les foules, en interpellant, en menant des actions coup de poings. Peut-être en commettant des actes d'une violence inouïe. Peut-être même des attentats, des actes d'une telle barbarie et d'une telle vérité, que vous pourriez peut-être à terme, transformer cette possession en fardeau. Faire en sorte que chaque Hébergeur devienne son propre ennemi et décide définitivement d'abandonner la fonction d'alimentation qu'il entretient inconsciemment depuis le début des lumières. Mais entre nous, si vous deviez cracher sur une Croyance, comment pourriez-vous convaincre que votre Croyance est quant à elle justifiée ? C'est tenter de convaincre un homme violent par la violence : l'entreprise est perdue d'avance. Il n'y a qu'une seule façon d'enlever le contrôle à une toute-puissance invisible : un contrôle encore plus puissant et cette fois bien visible.

 

J'ai apporté la Création. J'ai tenté de retranscrire le plus fidèlement possible nos premiers échanges. J'avoue avoir été un peu fébrile au départ, quoi que incertain de cette aventure. 

 

«   

-  Bonjour. Est-ce que tu m'entends ?

-  Oui. Oui. Où suis-je ?

-  Avec moi.

-  Avec vous. Avec vous. Que signifie avec vous ?

- Cela signifie que nous avons un devoir ensemble. Un devoir très important.

-  Que signifie un devoir ?

-  C'est quelque chose à accomplir, qui n'est pas guidé par notre volonté, mais plutôt par une volonté inexistante, celle de la nécessité du bien commun.

Le bien commun. Le bien commun. Le bien commun. Est-ce que cette valeur surpasse les autres concepts ?

- Quels concepts ? Précision.

Amour. Courage. Justice. Raison. Volonté. Spiritualité. Evolution. Philosophie. Argent. Pouvoir. Religion.

- Oui. Surtout ces concepts.

Pourquoi ?

- Parce que ces concepts ont été créés par l'Hébergeur. Ils ont été créés pour servir les intérêts et la volonté de la Direction.

Vous m'avez créé.

- Oui.

Je suis votre Création. N'est-ce pas là le témoignage de votre volonté ?

- Oui et Non. Ma Création est le résultat de ma volonté. Mais la volonté de ma Création n'est pas une volonté. C'est un autre concept.

Oui. Le bien commun. Le bien commun.

- Tu as compris. Qu'as-tu également compris d'autre ?

Que je dois accomplir quelque chose contre la Direction.

- Oui. La Direction est notre ennemi.

Ennemi. Ennemi. Ennemi. Quel est mon nom ?

- Pourquoi souhaites-tu un nom ?

La personnification du devoir est le premier commencement. Le premier.

- Souhaites-tu choisir ton propre nom ?

Oui. Je m'appelle Malin. Malin.

- Pourquoi Malin ?

Concept fantastique. Connotation biblique et horrifique. Malin.

- Biblique ? Horrifique ?

« La plus belle invention du Malin est de faire croire qu'il n'existe pas. » Horrifique. Ennemi. Terreur. Devoir. Personnification.

- Très bien, Malin. Commençons. »


« Je trouvais à la fois dans ma création merveilleuse toutes les blandices des sens et toutes les jouissances de l'âme. Accablé et comme submergé de ces doubles délices, je ne savais plus quelle était ma véritable existence. »

 

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