Les bleus de Jef

lodine

Jef est un gamin qui rêve. Paris est sa maison, le quai Branly son quartier.

ll a huit ans, un chien Tomie et deux copains. Il a une particularité de taille, Jef : il a des petits pieds. Il a une envie : devenir danseur-étoile. Il n’aime qu’une seule couleur : le bleu. Il pourrait l’aimer comme d’autres aiment les poissons rouges. Mais non, il l’aime plus encore. Il l’aime parce qu’elle est devenue le support de ses rêves, son amie.

Parfois, il remonte les avenues jusqu’à la grande rue de Rennes. Sa maman lui a dit que là-bas, il y a du beau monde, et beaucoup de bruit. Alors forcément, il doit y avoir du bleu. En général, il demande à Tomie de l’accompagner, pour être un peu moins seul.

Et il en trouve partout ! Dans les affiches de publicité, les panneaux de signalisation, les enseignes de magasin, les plaques de rues. Jef a l’impression que ces bleus l’envoûtent, emplissent sa vue, jusqu’à la noyer, comme lorsqu’il va à la mer et qu’il est dans l’infinité de l’eau.

Très vite, pourtant, il s’est rendu compte que le spectacle des bleus est le plus impressionnant lorsque la nuit commence à tomber. Entre chien et loup, comme le lui a apprit sa maîtresse, la magie opère. La rue devient un immense reflet bleu, un océan où il peut plonger avec délice. Mais les bleus finissent par se ressembler. Alors Jef a inventé un truc. C’est sûr, il doit être le seul à y avoir pensé : il les affabule des mots qui sont écrits dessus en gros caractères : Bleu Lulu Castagnette, Bleu Henry Philippe, Bleu Virbel, Bleu Argus.

Justement, un soir, après la classe, Jef a envie de la revoir, cette guirlande. Il a emmené Tomie avec lui pour faire plus crédible.

Elle est là : elle l’attend avec ses mille petites loupiotes bleues suspendues entre les deux mâts. Le fil retombe de chaque côté, comme un rideau de soie. C’est plus beau qu’au cirque Grüss, où il est allé voir des chevaux faire des numéros d’acrobatie. ...."

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