Les brûlures de la glace

Pierre Carmody

Il est déjà à la fenêtre quand le réveil sonne. Il regarde entre les blocs, mais il n’y a encore personne. Bientôt, par ici, le silence ne règnera plus. Combien de jeunes, vaincus par l’oisiveté, ou las d’aller pointer, viendront y passer une journée de plus ?

Cuisine. Il se sert un café datant de la veille et allume la radio. Les infos annoncent les projets du gouvernement jusqu’aux prochaines élections. Du vent.

Un courrier de sa banque veut lui vendre une autre épargne-retraite. Mais il n’a pas de job et sait que sa rente sera misérable, dans le meilleur des cas.

Tous ces gens qui veulent préparer son futur, pour lui. Quel altruisme, vraiment.

On s’obstine à parler d’avenir quand le présent est trop bousillé. Il prend une gorgée de café, grimace, jette le reste de la tasse dans l’évier.

Salle de bains. L’eau coule dans le lavabo. Il regarde le reflet de ses cernes dans le miroir. Il se dit que même si l’objet est devenu commun, il régule pourtant tout. C’est sûrement là où le miroir est génial : nous nous sommes persuadés de sa nécessité.

Le miroir. Il se rend compte que plus personne n’a envie de le traverser. Non, tout le monde veut devenir celui de l’autre. Des miroirs en pagaille pour se fondre dans la masse. Des miroirs malheureusement sans teint, qui ne réfléchissent pas. Il se dit que la vie n’est plus pour lui qu’une suite infinie d’ajustements, pour rester dans la norme, ressembler aux reflets des autres.

Rien n’avance, ni en haut, ni en bas. Plus personne n’a le courage de perdre. Qui les blâmerait ? Lui aussi aimerait bien arrêter sa descente.

Dans cette société de compétition, toute chute équivaut à une disqualification dans la course au bonheur. Mais qui peut gagner, puisque seuls les autres participants décident du vainqueur ?

Il ouvre la page de son journal et soupire, en se disant que le regard des autres a déjà désigné son reflet comme étant celui d’un perdant. Mais même disqualifié, il continue à courir.

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