Les carnets de Gumersindo Garcia

Victor Khagan

Après sa mort, Anna qui, nonobstant, avait conservé ses lettres et les poèmes qu'elles contenaient et même un peu d’amour pour lui malgré ses craintes, envoya à la mère de Gumersindo Garcia ce qui paraissait le plus lisible. C’est dans ses fameux carnets qu'on put lire un de ses messages les plus exaltés et que je note ici parce qu'il dévoile bien le caractère extrêmement idéaliste de Gumersindo García :

" Aussi courte qu'ait été ma liaison avec Anna, c'est elle qui m'a donné le plus grand bonheur qu'il m'ait été donné de connaître. Ce dialogue grandissant dans une recherche mutuelle sincère est bien la vocation véritable de ce que les hommes ont appelé l'humanisme. La femme demande-t-elle à être guidée et dirigée? Un être dominé, culpabilisé, soumis par la force et par les idées, s'est vite persuadé - malgré ses révoltes - de son incompétence et de son infériorité. Non point tant par son instinct qui, plus qu'à nous, lui fait sentir animalement les voies de son équilibre, que par les siècles d'esclavage qu'elle a connu et que sa race, comme celle des Noirs, a assimilé comme une destination de sa nature. Le psychisme humain se nourrit de l'amour et, hors de lui, il n'y a que survie, déséquilibre, donc perte d'assurance et refoulement des possibilités créatrices. La femme qui est faite pour donner la vie et pour s'offrir au nom de cette vie, doit absolument arriver à ses fins. Pour cette raison, elle a préféré subir la loi de l'homme porteur des germes. Le développement de l'instinct chez elle est peut-être la compensation que la vie lui a envoyée dans sa justice pour lui permettre d'assurer son rôle. La femme, un être inférieur ? C'est bien nous qui l'y aurions réduite ! Voyez les peuples neufs : convaincus comme des adolescents de défendre leur liberté, ils s'acharnent dans des erreurs catastrophiques que notre autorité possessive leur impose. L'adolescent, le Noir ou la femme sont tellement pressés dans l'illusion de devoir prouver leur identité qu'ils en sont maladroits et, désespérés de liberté, ils s'acharnent erronément sans comprendre la longue réadaptation qui leur est nécessaire. Nous leur faisons payer tellement cher la moindre aide et, non contents de cela, nous dirigeons tellement son utilisation que celle-ci leur est, en fin de compte, préjudiciable. "

 " Rendons-nous compte que, tous, humains, nous sommes complémentaires ! Quand Aragon criait : ‘La femme est l'avenir de l'homme !’ c'est qu'il avait compris l'immaturité de celui-ci. Obsédés, maniaques, ambitieux, orgueilleux ou sportifs, ivres de pouvoirs, narcissiques, impies, racistes, sans scrupules, malades, mégalomanes, mythomanes, violeurs, fascistes, maquereaux, exploiteurs, asservis par la boisson ou par quelque instinct mauvais où nous cherchons refuge contre la matérialité dont nous habillons la vie, nous détruisons nous-mêmes ce que la vie a créé pour nous aider à vivre. Et quel exemple donnons-nous à ceux que nous asservissons ? Celui d'autocrates faibles, vendus par notre insécurité psychique à un égocentrisme destructeur. Pour continuer à croire en nous, nous formons des assemblées, des sociétés, des organisations secrètes, des "ordres", des "fraternités" qui, par leurs lois, nous soutiennent comme des béquilles, comme la discipline militaire nous oblige à rester droits ou, tout au moins, debout comme des immeubles dont les piliers seraient la structure psychologique, afin de supporter sans l'avouer notre détresse, nos fondations inondées mais aussi notre solitude et notre doping moral. Nous nous poussons à l'héroïsme par notre aveuglement mais cet héroïsme est inutile car il est stérile. Les femmes, les adolescents et les Noirs nous méprisent sans le voir car, victimes de nos idées, c'est nous qui nous acharnons dans l'erreur, aidés en cela par nos religions qui devaient soumettre nos victimes. Car ce sont des victimes : nous les massacrons de paternalisme inhibiteur, nous condamnons moralement et matériellement le devenir de leur essence propre, nous les enchaînons dans des rôles où nous croyons les contrôler pour leur intérêt quand nous essayons seulement de nous rassurer par leur échec ou de nous assurer la suprématie par leur exploitation et de nous convaincre, par notre dirigisme, de notre autorité. Là, nous atteignons la criminalité. Criminels sans conscience mais méchants par veulerie, nous les dévions. Par mimétisme et valeur exemplative, ces femmes, ces adolescents et ces Noirs, profondément éprouvés, torturés sans cesse, humiliés et bafoués, spoliés de leurs forces sacrées, celles de la justice, de l'amour et de l'espérance, sont et deviennent ignorants d'autres lois que les nôtres. Peu à peu, ils nous copient, restructurent leur société de nos schémas car, dans l'aliénation de leur vie quotidienne, ils arrivent à annihiler d'eux-mêmes leur essence : parce que nous rions de leurs illusions, parce que, persuadés par notre aveuglement que nos lois sont celles de la Vie, nous, sclérosés et cancéreux, nous avons commis le crime de les violer dans leur essence naturelle, dans leur rôle authentique et dans leur fidélité à la Vie. Nous en avons fait des putains, des flics ou des exploiteurs à notre image. Nous les avons détournés de leur épanouissement parce que celui-ci aurait donné à la vie l'arme de sa loi, que nous ne voulons admettre par peur ou médiocrité, lâches que nous sommes et faibles, encore une fois, devant le courage nécessaire à notre remise en question. Que nous sommes malheureux dans notre mensonge - aux autres et à nous-mêmes - creusant notre tombe et celle de ce que l'on a appelé l'Humanité ! "

 " Esclaves, nous-mêmes, de notre facilité intellectuelle, ouvrons-nous donc à la Vie, libérons vraiment ceux que nous asservissons afin que, en eux et par eux, nous puissions enfin vivre libres, nous aussi de nous-mêmes et de nos asservissements. Écoutons leur maturité tâtonnante, maladroite ou naïve, approchons leur pureté et rinçons-nous en les veines; avouons notre humilité, descendons de nos tours d'ivoire, donnons-leur la main - la gauche, celle du cœur - réapprenons à vivre en les guidant vers la Vie parce que nous connaissons sa réalité, si nous ne sommes pas complètement idiots; donnons-leur envie de venir nous chercher car ils sauront nous aimer et nous donner la main. Leur force peut nous être communiquée car nous en avons besoin et c'est leur capital. Nous casserons leurs frontières, nous déferons les liens diaboliques que nous avons créés en eux par nos lavages de cerveau. Par notre patience, notre douceur, et aidés en cela par la soif inextinguible de donner que nous possédons peut-être encore et qui est la source de notre libération et la force d'un nouvel équilibre. Effaçons de nos âmes tout calcul et laissons-nous guider par leur sensibilité. Soyons encourageants et patients devant leurs peurs, celles-là mêmes créées par notre despotisme pour des êtres merveilleux et admirables par le renoncement que leur générosité a pu déployer dans l'innocence de leur dépendance. Car nous sommes nous-mêmes des victimes : nous aussi, anciens adolescents, nous avons accepté que notre foi soit utilisée par nos pères, à moins que, comme eux, nous ayons désiré que le monde soit laid, attirés par le mirage de la puissance, cette arme volée à la nature. "

 " Reconnaissons que nos rôles sont frustrants, que nous souffrons de cette solitude dans laquelle nous avons enfermé nos égaux, utilisant pour cela le miroir de leur différence. Nos forces, alors, celles que nous avons trouvées dans la haine, la vengeance ou le masochisme, ces forces feront de nous des guides, des amants ou des frères, permettant ainsi à la Vie de trouver en nous les chemins de sa pureté. Regardez vos mensonges, écoutez les chants de la révolte, vous y trouverez l'amour et celui-ci vous donnera la paix, celle que vous cherchez dans la guerre et dans le vice. Guidez vos femmes vers vos corps, aimez vos enfants et libérez vos frères : ils y trouveront les chemins de vos âmes et vous révéleront à vous-mêmes. "

Le pauvre Garci, dans ses envolées utopiques, trop longtemps enfermé entre ses murs et en lui-même, cherchant le chemin de l'Humain, pensait connecter avec l'humanité souffrante et parler en son nom. Mais ce n'étaient que des élucubrations passagères à travers lesquelles son esprit cherchait un équilibre et la réalité du monde.

"Entre le doute et le rêve" Victor KHAGAN - Chloédeslys édit

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