Les carnets de Gumersindo Garcia II

Victor Khagan

"J'avais toujours pensé que le plus joli et le plus utile de l'existence, le plus transcendantal, était de connaître, de communiquer, d'apprécier, d'estimer et de chérir. Et de comprendre, de pardonner, d'aider, d'être un ami. D'être amis : partager, avoir confiance en toi, être pour toi digne de confiance, de ta confiance. Je me préparais pour cela, je m'en réjouissais à l'avance, je rêvais en voyant les couples d'amis, d'amies, de fiancés, et je me préparais. Pour me sacrifier suffisamment au nom de notre amitié, pour vivre en fonction de toi, de nous."

"M'entretenir de confidences avec toi, savoir tes histoires, te dire les miennes, commenter nos craintes, s'exalter de risques, d'audaces réelles ou ... fictives; je pensais que tu aurais des yeux de je ne sais quelle couleur mais qu'ils seraient lumineux et, que, en eux, je trouverais cette âme tienne que je désespère tant de rencontrer ...! Ta beauté physique, je n'y attachais guère d'importance, elle ne m'importe pas. ...Enfin, aujourd'hui, j'y pense mais j'allais être fier de pouvoir dire par-dessus tout : lui, elle, est mon amie ou mon ami, et moi, le sien. Elle ou lui et moi, tous les deux : comme l'ongle dans la chair. Bien sûr, je suis fait de chair jusqu'au bout des ongles pour le meilleur et pour le pis. Pourtant, chaque jour qui passe, il me semble que je suis plus ongle car l'on me recoupe régulièrement mes privilèges de quelques longueurs. Et tu n'es pas là, toi, pour les en empêcher ! Chaque année, mon univers se rétrécit un peu. Tous les jours que Dieu fait, j'apprends combien je suis petit et limité. Malgré tout, je continue à penser à toi parce que j'ai besoin de toi et que tu me manques."

"Et je continue à me préparer. Je veux être parfait, plus tolérant, plus intéressant aussi et plus noble afin de mériter toute cette estime mutuelle qui va surgir et exister entre toi et moi. J'ai appris qu'on va se disputer et se chamailler : au début, je répondais que non, qu'entre nous, cela n'arriverait pas. Je le disais d'un ton péremptoire, avec autorité, avec passion mais... je n'étais encore qu'un enfant !"

 "Je pensais alors que tout était grand dans la vie, que vivre était une aventure - et ça l'est, bien sûr - et que ce serait comme quelque chose d'infini. Et je me souvenais alors de ma campagne natale, je m'identifiais à elle sans limites et j'imaginais, en mon for intérieur, que la vie serait grandiose au sein de la nature et que tu y serais avec moi."

"Je comprends que maintenant que je suis encore enfant, je dois être seul parce que c'est ainsi : la vie des enfants est dure car il faut faire des mérites. Mais quand je serai grand, je serai heureux. Je le suis déjà en partie car je pense beaucoup à toi, dernièrement, et je sais que je suis un peu mieux préparé, plus libre et, surtout, plus responsable : aujourd'hui, je me sens davantage capable, alors je suis un peu plus heureux. Je pense que nous aurons un foyer et, que ce soit une amitié ou un amour de femme, il se formera un lien. J'ai observé ça dans les maisons de mes petits camarades. Voilà ce que je veux, un jour, avoir ! Mes parents disaient que je n'avais pas d'ambition. Aujourd'hui, je sais qu'ils se trompaient : c'est ça, mon ambition, ...une famille !"

"Comme je serai bientôt un adulte, je pourrai prétendre à la Liberté. Dans le programme de ma liberté, ce qui entre en premier, c'est toi. Aussi, j'ai décidé de t'écrire car je n'ai certainement pas été assez expressif. C'est sûrement ma faute. On me l'a déjà dit plusieurs fois : " les gens ne savent que te dire parce que tu n'es pas expressif ! " Maintenant, grâce à cette lettre, tu le sais : je compte sur toi ! Tu devrais le savoir depuis longtemps... D'ailleurs, je crois que tu vois les mêmes choses de la vie que moi et je me doute que tu dois avoir mûri aussi car le temps passe. L'autre jour, j'ai même pensé : peut-être qu'il ou elle n'est pas blanc ni blanche, peut-être que c'est quelqu'un de couleur provenant d'un pays tropical ! Mais tu penseras comme moi... Alors, sache quelque chose : la vie n'a pas de limites mais notre vie si qu'elle en a. Si nous sommes prêts et mûrs pour la vie en commun et pour les confidences, il ne faut pas attendre plus, parce que ce qui est bon, dans la vie, c'est de faire des choses et pouvoir se les rappeler. Faire ça ensemble, c'est vraiment ce qu'il y a de meilleur. Je n'ai pas encore eu l'occasion de connaître cela mais je le sais dans mon cœur. Je l'ai bien senti et je veux vivre cela avant de mourir. Je ne crois pas au paradis, tu sais : je crois seulement en ça. Me réveiller le matin et savoir que tu seras dans la même maison, que nous prendrons le café en écoutant les nouvelles ensemble, au salon ou à la cuisine. Je me souviens de l'avoir fait chez ma tante, celle qui est gentille. À cette époque, tout avait un sens : je me sentais bien... Je pense que vivre bien, ça doit être ça et que, vu que je vais bientôt être adulte, j'aurai ce droit, n'est-ce pas ? "

"Et toi qui n'a pas voulu être mon ami ou mon amie quand nous étions enfants, alors que nous pouvions parfaitement l'avoir été, pense que s'il faut attendre beaucoup plus, nous connaîtrons la tristesse et, cela, c'est pire que la mort ! Alors, ne permets pas que je parte avant d'avoir vécu avec toi, d'accord ? Je me prépare, je ne te décevrai pas !"

Garci referma son cahier de "réflexions personnelles" et retourna s'étendre sur son lit. Il rêva un moment et se rendormit.

VK - Entre le doute et le rêve - En cours de réédition.

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