Les champignons géants d'Arwen
Serge Boisse
Prologue.
J'ai réussi à pénétrer en Transylvanie Méridionale ! Je suis le premier non-transylvanien à avoir réussi cet exploit, depuis un siècle. Ce que j'y ai vu dépasse l'imagination la plus folle, et c'est pourquoi je ressens le besoin impérieux de raconter mon aventure. Du moins s'il reste quelqu'un hors-TM pour la lire. Je suis inquiet ce sujet.
Personne ne sait plus où se situe la Transylvanie Méridionale. La page Wikipédia qui concerne ce pays a été mystérieusement effacée, de même que toutes les autres pages Internet qui la mentionnent, de sorte que sa localisation même est incertaine. Certains la situent au cœur de l'Europe (si tant est que l'Europe ait un cœur), d'autres en Amérique du nord, en Amérique latine, en Amérique centrale ou aux caraïbes, d'autres encore entre l'Inde et le Népal, ou encore en Australie, en Afrique ou au Japon.
C'est le pays le plus secret du monde. Nulle route n'y conduit, nul avion ne s'y pose. Elle n'est pas même reliée à Internet, sauf pour les échanges bancaires évidemment. Derrière les hautes montagnes qui la protègent et la cachent au regard, elle est invisible. Ce qui convient très bien à ses quelques milliers d'habitants formidablement riches.
Comme vous le savez sans doute, c'est le pays le plus riche du monde, du moins depuis cinquante ans. Il n'en a pas toujours été ainsi bien sûr. Il y a soixante ans, le pays était quasi désert. Ça, c'était avant qu'une espèce endémique de lichen aux propriétés extraordinaires n'y soit découverte, qu'Anastase Bangabulle et Camilla Grossenprüt n'y installent leur laboratoire de biologie moléculaire, puis que Helmut Schlaffenzigut n'y crée la première usine transylvanienne de fabrication de semences GM, et qu'enfin Bigben Wang n'y fonde la première banque. (Les transylvaniens méridionaux ont tous des noms bizarres ; cela est dû à la vague d'immigration qui a suivi la découverte d'Anastase et Camilla ; la première année après la découverte, les gens ont afflué en provenance de tous les pays du monde, mais dès la seconde année la Transylvanie Méridionale, devenue fabuleusement riche, a bloqué totalement les frontières et dissuadé les nouveaux arrivants en les trucidant purement et simplement.)
Comme vous le savez sans doute également, cette découverte, c'était la possibilité de créer des végétaux ou champignons génétiquement modifiés de n'importe quelle forme spécifiée à l'avance. Les transylvaniens méridionaux ont ainsi vendu au monde entier des graines de champignons géants (délicieux, pesant plus d'une tonne, capables de pousser sur n'importe quel substrat, et qui ont mis fin à la famine dans le monde), des graines de maison (vous plantez la graine dans votre terrain, et votre maison pousse en moins d'un an, selon le plan que vous aurez choisi), des graines d'ordinateurs (fonctionnant par optoélectronique, et créés à partir d'un croisement de gènes de lichen et de méduse phosphorescente génétiquement modifiés), et j'en passe.
Selon la légende, ils auraient aussi créé de telles armes qu'aucune nation n'a osé les attaquer. C'était bien sûr avant qu'ils n'effacent, il y a plus de quarante ans, et Dieu seul sait comment, tous les documents, informatiques, et même papier, qui les concernaient de près ou de loin, dans le monde entier, à l'exception de leurs coordonnées bancaires. Ce jour-là, ils ont disparu du monde, en tout cas de sa mémoire.
Mais moi, j'ai trouvé où ils se cachent. Peu importe comment. Après un harassant voyage et d'innombrables épreuves, que je vous conterai une autre fois, j'ai fini par arriver chez eux. Je me suis mêlé à leur population étrange et bigarrée, uniquement composée de milliardaires excentriques, insouciants et inconscients. Et j'ai pris des notes, sous formes de petites histoires. C'est l'une de ces histoires que je vais vous raconter maintenant.
Les champignons géants d'Arwen
Gustav Gandalfson enfourne délicatement la tarte dans le four géant, à l'aide d'un énorme tractopelle, qu'il a fait construire spécialement pour l'occasion. Gustav n'est pas peu fier. Il vient de créer la plus grande tarte aux pommes du monde, et cela à l'aide d'une seule pomme ! La pomme en question mesure trois mètres de diamètre et elle est issue d'un pommier dont les dimensions défient l'imagination. Gustav sourit. C'est bien, pense-t-il. Cette petite peste d'Arwen Hobbitdottir en sera pour ses frais, avec ses foutus champignons géants. Je vais l'obliger à manger une grosse part de ma tarte, et elle sera obligée de la bouffer, c'est l'usage. Puisse-t-elle s'étouffer avec !
Gustav et Arwen sont voisins. Enfin, en Transylvanie Méridionale tout est relatif. Le pays est peu peuplé, et l'espace ne manque pas. Leurs propriétés respectives ne font pas moins de dix kilomètres carrés chacune. Gustav fait pousser des pommiers GM, et Arwen crée des champignons GM. Le problème, c'est que la Transylvanie méridionale est un pays battu par les vents, et que les spores des champignons d'Arwen s'échappent de chez elle et se déposent également dans la propriété de Gustav. S'il s'agissait de champignons ordinaires, il n'y aurait pas de problème. Mais les champignons d'Arwen font cinq mètres de haut, et ils prolifèrent avec une telle rapidité que, l'an dernier, ils ont tout envahi et failli étouffer tous les pommiers de Gustav. Ce dernier n'a pas eu d'autre choix que de modifier génétiquement ses pommiers pour qu'ils soient plus grands, et qu'ainsi ils puisent prospérer au-dessus de la mer de champignons que sont devenues leurs deux propriétés.
Gustav n'est pas le seul à être mécontent. D'autres voisins commencent, eux aussi, à être envahis par les champignons géants. Gustav compte profiter de la fête qu'il va donner pour célébrer sa première tarte à la pomme géante, pour que lesdits voisins crient haut et fort leurs doléances à cette petite traînée.
Ce n'est pas la première fois qu'une chose semblable se produit en Transylvanie méridionale. Et à chaque fois, le fautif a dû faire amende honorable et détruire sa production. Ce qui n'est pas toujours simple. Il y avait dix ans, lorsque Thor Sylvebarbe avait créé ses souches de blé de trente mètres de haut, dont chaque épi fournissait suffisamment de farine pour faire un pain, ces derniers avaient envahi la moitié du pays avant que, l'un de ses voisins, excédé, finisse par créer une moisissure proliférante qui s'attaquait spécifiquement à cette variété de blé… Enfin presque spécifiquement. Dans le domaine complexe de la génétique moléculaire, une erreur de conception est toujours possible et ladite moisissure avait, bizarrement, montré un appétit vorace pour non seulement le blé GM, mais aussi pour les fraises des bois, dont l'espèce avait du coup entièrement disparu. Dommage collatéral.
*
La tarte à la pomme, de vingt mètres de diamètre, était magnifique, et la dégustation fut un grand succès. Plus de deux mille invités !
Gustav Gandalfson, aux anges, allait et venait entre les tablées, dressées à l'ombre du pommier gigantesque, dont le tronc faisait plus de cinq mètres de diamètre, lesquelles débordaient de mets divers et variés, provenant de divers endroits de la Transylvanie Méridionale : énormes parts de tarte bien sûr, mais aussi grains de raisin gros comme des pamplemousses, et pamplemousses gros comme des grains de raisin, que leur créateur avait réussi à enchâsser dans des cerneaux de noix creux, sans qu'il soit possible de comprendre comment les en retirer, de sorte que l'on était obligé de les manger ensemble ; radis GM, dont les formes sensuelles et les couleurs intensément érotiques avaient sans aucun doute contribué à faire rougir les tomates ; et bien d'autres en-cas délicieux, sans oublier le cidre, l'hydromel, et le vin extraordinaire, probablement le meilleur grand cru du monde, que Guenièvre Merlin, l'une des invitées d'honneur, produisait dans ses vignes GM de la vallée voisine.
— Quelle merveille que cette tarte à la pomme ! s'exclama-t-elle. Et ces noix serties de raisin, quel délice ! Dommage, cependant, qu'il n'y ait plus de fraise des bois, ajouta-t-elle tout à trac, tournant la tête vers son voisin de table en faisant virevolter sa splendide chevelure blonde pour lui décocher un sourire moqueur.
Ledit voisin, Thor Sylvebarbe, sourit en retour.
— Je ne vous le fait pas dire. Je me demande ce que donnerait un mélange de sirop de fraises avec l'un de vos délicieux vins blancs. Hélas, à ma connaissance il ne reste plus aucune fraise sur toute la planète. Quel dommage !
Assis à la table voisine, je ne perdais rien de leur conversation. Quelque chose me disait qu'un événement important allait se produire.
— Il reste des champignons, en tout cas, intervint Gustav, qui venait de s'asseoir en face de Thor. N'est-ce pas, mademoiselle Arwen ?
Arwen Hobbitdottir lui jeta un regard dont la noirceur ne pouvait se comparer qu'à celle de Cygnus X1, le trou noir qui siège au centre de la voie lactée. Elle était assise à sa droite, et donc en face de Guenièvre. Celle-ci intervint avant que les choses ne s'enveniment :
— Allons, Gustav. Ne blâmez pas cette pauvre Arwen. Je suis persuadée qu'elle regrette que ses champignons aient dépassé les limites de sa propriété, et envahi une partie de la vôtre. Je ne doute pas qu'il est possible de trouver une solution à ce problème.
— Absolument, renchérit Thor. Nous avons déjà eu ce genre de pépins, et cela a été résolu. Lorsque mes plants de blé-séquoia ont envahi la Transylvanie, les moisissures GM en ont finalement eu raison. Et croyez-le ou pas, même si je déplore que nous n'ayons plus de fraises, j'en suis heureux. Je me suis reconverti dans la fabrication de ces noix-surprise, dont les cerneaux contiennent un grain de raisin…
— Oh, c'est vous qui les produisez ? S'exclama Guenièvre. Quelle merveille !
— Oh, vous n'avez encore rien vu. Bientôt je compte obtenir des noix-cerises fractales. La noix contiendra une cerise, dont le noyau sera une noix, et ainsi de suite. J'espère arriver jusqu'au niveau moléculaire…
— Quelle amusante idée !
— Si ça ne vous ennuie pas, je peux en placer une ? Intervint soudain Arwen d'un ton glacial qui jeta un froid polaire sur l'ensemble de la tablée. Il n'est pas question qu'une quelconque moisissure s'attaque à mes champignons géants. Et ce pour deux raisons…
Gustav l'interrompit pour lui répondre d'un ton tout aussi glacial, mais où perçait une sourde colère contenue :
— Je me fiche de vos raisons ! Vos champignons sont chez moi, ils ont tout envahi, j'ai dû en détruire des dizaines pour nous faire de la place ici même, et vous allez les éradiquer, ou c'est moi qui m'en chargerai, en portant l'affaire devant le Conseil !
— Allons, Gustav, l'apostropha à nouveau Guenièvre. Laissez-la parler. Chacun a le droit de dire ce qu'il pense. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de convoquer le conseil. Cela n'a pas été fait depuis des années et des années. Nous ne sommes pas des barbares !
— Ah ? Et que sommes-nous ? Lui répondit Arwen. Une bande de milliardaires arrogants et prétentieux, qui jouons avec nos créations biologiques comme des gamins avec leurs jouets, sans en mesurer les conséquences, qui peuvent pourtant être terribles, comme l'éradication de la fraise nous l'a démontré. Voilà ce que nous sommes !
— Parce que vous, sans doute, lui répliqua Gustav d'un ton sardonique, vous mesurez les conséquences de ce que vous faite ? Si c'était vrai, vos champignons ne seraient pas en train de tout saccager chez moi !
— Je vends ces champignons dans le monde entier. Ils ont résolu le problème de la faim dans le monde. Moi, je ne m'amuse pas comme une gamine. J'aide à résoudre les problèmes de la planète. Votre petit problème n'est pas si grave, au regard de cela.
— Peuh ! Le monde, on s'en fout ! C'est pour cela que nos parents ont créé la Transylvanie Méridionale, justement : pour profiter de nos découvertes entre nous, tout en vivant à l'écart du monde.
— Absolument, confirma Thor. Nous avons coupé tous les liens avec le reste de la planète, sauf les liens bancaires évidemment, précisément pour ne pas être emm… avec leurs problèmes. Vous voulez remettre cela en question, alors que c'est le fondement même de notre communauté, dont pourtant vous faite partie, et dont vous profitez de tous les avantages ?
— Mais regardez-vous ! S'écria Arwen. Que sommes-nous devenus ? Une bande d'égoïstes richissimes, vivant sur le dos des autres êtres humains, comme des parasites ! Des enfants, voilà ce que nous sommes ! J'ai honte d'être parmi vous !
Guenièvre posa sa main sur celle d'Arwen, avant qu'elle ne se lève pour quitter la table.
— Cessons ces querelles philosophiques, dit-elle. Elles ne mènent à rien. Revenons au problème pratique de savoir comment empêcher vos champignons de tout envahir. Vous avez dit qu'il y avait deux raisons qui nous empêcheraient d'employer la solution que nous avions utilisée pour les blés-séquoia de ce cher Thor ?
Arwen, qui était effectivement sur le point de se lever, se rassit.
— Oui, dit-elle. En effet. La première raison, c'est que mes champignons sont utiles. Ils nourrissent le reste de planète…
— On s'en fout, firent ensemble Thor et Gustav, à voix basse. Heureusement, Arwen ne les entendit pas, ou ne voulut pas les entendre.
— …La seconde raison, c'est qu'on ne se peut pas se débarrasser des champignons avec des moisissures.
— Et pourquoi donc ? Demanda Guenièvre
— Parce que les champignons sont des moisissures !
— Hum, fit Thor. Ça, c'est un problème. Il faudrait trouver un agent biologique qui s'attaque à ces champignons…
— Sans pour autant les détruire ! Objecta Arwen. N'oubliez pas qu'ils sont utiles !
— Sans compter qu'ils sont très bons, en plus ! Ajouta Guenièvre.
— Moi, ce que je veux, intervint Gustav, c'est ne plus voir un seul de ces foutus champignons géants chez moi !
— Hum, fit Thor derechef. Peut-être un régulateur de croissance ? Un truc qu'on vaporiserait dessus et qui les empêcherait de grandir ? J'imagine que pour créer vos champignons géants, Arwen, vous avez utilisé un gène accélérateur de croissance à déclenchement et stabilisation retardée ?
— En effet ! Je vois que vous connaissez le processus. Mes champignons restent minuscules pendant dix ans, puis ils grandissent en une seule année, de mille fois leur taille, avant qu'elle ne se stabilise. Comme j'ai commencé mon travail il y a onze ans, seule une petite partie de mes jolis champignons a atteint l'âge adulte, si l'on peut dire.
— Vous voulez dire, objecta Gustav, qu'actuellement, en plus de ces... (d'un large geste, il désigna la forêt de champignons géants qui entourait la clairière où poussait le pommier géant) … monstruosités qui ont envahi ma propriété, il y en a encore plus, prêts à… bourgeonner un peu partout ?
— Des milliers, probablement, oui ! Répondit tranquillement Arwen. Ces champignons ont un nombre de spores proportionnel à leur taille.
Ce qui eut pour effet de faire sortir Gustav de ses gonds. Il se leva d'un bond, en hurlant.
— Mais vous êtes complètement malade !
Tous les visages de l'assemblée se tournèrent vers leur table. Même Guenièvre était choquée.
— Arwen, dit-elle d'un ton qu'elle s'efforçait de garder calme, dites-moi que vous avez une solution !
Arwen sourit.
— Oui, j'en ai une.
Le soulagement de l'auditoire était palpable.
— Laquelle ?
— Il m'a fallu dix ans de recherches pour trouver, mais j'ai enfin pu créer un nouveau champignon, minuscule celui-là, dont les spores sont des régulateurs de croissance. Ils bloquent la croissance des autres champignons à l'âge de dix ans. De sortes que si nous disséminons ces nouveaux champignons, les autres resterons minuscules, comme des champignons ordinaires.
Gustav hurla de nouveau.
— Et bien, qu'est ce que vous attendez pour les disséminer, vos fichus micro champignons régulateurs ?
— Je n'ai pas fini tous les tests.
— On s'en fout, de vos tests ! Si ça se trouve, la moitié de la Transylvanie Méridionale est déjà contaminée…
— Ensemencée, pas contaminée. Et pas la moitié. La totalité. Et sans doute au-delà de nos frontières.
Gustav leva les mains vers le ciel en signe de désespoir, puis sauta sur la table et apostropha l'auditoire, à présent silencieux.
— Ecoutez tous ! Vous avez entendu Arwen ? Si nous ne faisons rien, d'ici un an ou deux, la totalité du pays sera envahie par ces champignons géants ! Qui parmi vous souhaite que cesse cette abomination ?
Tous les transylvaniens levèrent la main.
— Bien ! Arwen nous affirme qu'il existe une solution, des micro champignons régulateurs. Qui parmi vous souhaite qu'elle les dissémine dès maintenant ?
A nouveau, tous les transylvaniens levèrent la main. Je fus le seul à ne pas le faire, mais personne ne le remarqua.
— Selon les lois de notre pays, Arwen, vous êtes désormais dans l'obligation de vous soumettre à la décision collective. Immédiatement !
Arwen se leva, très digne.
— Bien, dit-elle. Puisque c'est ainsi. J'espère que nous n'aurons pas à le regretter.
Elle quitta la table pour s'éloigner. Discrètement, je me levai moi aussi, et je la suivis. Je la rattrapai juste avant qu'elle n'atteigne le véhicule automatique qui la remmènerait chez elle.
— Mademoiselle Arwen, s'il vous plait, l'apostrophai-je.
Elle se retourna vers moi.
— Qui êtes-vous, monsieur ? Je ne crois pas vous connaître.
J'éludai la question.
— Lorsque vous avez dit que vous n'aviez pas fini tous les tests, de quels tests s'agissait-il ? Quels sont les risques ?
Elle me regarda attentivement. L'examen dut être favorable, car elle sourit.
— Je crois que vous n'êtes pas comme tout les autres, alors je vais vous répondre. Je ne suis pas sûre que les spores régulatrices n'agissent que sur les champignons géants.
— Ils pourraient inhiber la croissance d'autres espèces de champignons ?
Son sourire s'effaça.
— Pas seulement de champignons. D'autres végétaux. Et peut-être même des animaux. Peut-être même les humains.
— Quoi ?! Mais ça pourrait être dangereux ! Que se passerait-il, si ces spores agissaient sur les êtres humains ?
— Eh bien, la croissance physique des enfants s'arrêterait à l'âge de dix dans. Mentalement, ils continueraient de grandir et de vieillir. Mais physiquement, ils resteraient des enfants de dix ans.
— Mais c'est terrible !
— Oh, c'est très peu probable !
Nos regards se croisèrent, et je sus qu'elle avait menti. Elle savait ce qu'elle allait faire, et je ne pus réprimer un frisson.
— Vous avez entendu la décision de cette assemblée d'incapables. Je dois m'y soumettre, telles sont nos lois.
Elle ouvrit la porte du véhicule.
— Une minute, dis-je alors qu'elle allait embarquer. Ces champignons régulateurs… Comment allez-vous les contenir dans les limites du pays ?
— Ce sont des champignons. Leurs spores sont disséminées par le vent. Et ils sont extrêmement nombreux. D'ici quelques années, toute la planète sera touchée.
Elle s'assit, et me regarda. Son regard était d'une tristesse insondable.
— Vous avez des enfants, monsieur ?
— Non.
— Moi, si. Ils n'auront jamais plus de dix ans. Leurs organes sexuels n'atteindront pas leur maturité. Ils ne pourront pas se reproduire.
Avant que je puisse faire quoi que ce soit, elle claqua la portière et le véhicule démarra en trombe.
Terrifié, je restai là, les bras ballants. Soudain, un fracas énorme se fit entendre, du coté de l'assemblée. Le sol trembla légèrement. Tournant la tête, je vis qu'une pomme géante venait de se détacher du colossal pommier, et avait chu sur la table de Gustav, Thor et Guenièvre, les touant sur le coup. Dans la confusion qui suivit, tout le monde oublia Arwen et la décision qui venait d'être prise.
Je crois que nous sommes la dernière génération d'humains.