"Les Chatouilles ou la danse de la colère "

gautier

Une chronique sur une des pièces du 50 ième festival d'Avignon OFF , aujourd'hui "Les Chatouilles ou la danse de la Colère " de et avec Andrea Bescond (retrouvez le format audio sur le lien média.)


Un corps abîmé, amputé de sa virginité infantile par une main d'homme, on parle bien ici de pédophilie. Ce corps en colère compose alors instinctivement, viscéralement une danse, semblable au vol du bourdon devant l'essaim familial, annonçant un danger, une dépression à venir. La vocation de la danse n'est alors plus un choix mais une nécessité vitale, celle d'une expression de corps à corps avec la famille, les grands et les petits amis pour ne pas être dévoré de l'intérieur par cette bête immonde qu'elle sentira longtemps entre ses jambes. Lorsque la bouche devient incapable d'articuler l'impensable, l'innommable, les maux du ventre et de la chair prennent le relais dans un autre langage. La corps et graphie au sens premier, avant l'intention artistique, socialement plus acceptable devient un cri des bras, un hurlement des jambes, un spasme de contraction de l'être physique tout entier, un message hurlé en braille, pour qu'une mère sourde, enfermée dans un déni à la limite de la complicité de faits, comprennent enfin et pour qu'un père aveugle par naïveté regrette, lui aussi, son absence cruelle  de réactions.

Avec Eric Métayer, metteur en scène, au côté d'Andrea Bescond auteur, chorégraphe et interprète d'Odette, la petite victime, mais aussi de tous les autres personnages de la pièce, la question se pose tout naturellement: Peut-on rire de tout?  Oui sans hésitation, à conditions de savoir de quoi au juste et avec qui sur scène? D'où l'infinie précision de l'écriture, la subtilité de la dramaturgie et la justesse du propos. On ne sourit jamais du viol mais des réactions de ceux confrontés à la victime. Si le rire n'est jamais cruel envers Odette, il l'est en vérité pour le spectateur. Pensant être protégé par la contraction naturelle de son bas ventre, on est aussi au festival d'Avignon OFF, lorsque que l'atrocité survient par la simple pensée de l'acte pédophile, il se retrouve seul dénudé, légèrement honteux parfois, le spectateur vient de passer du rire à l'émotion frissonnante en un instant et parfois dans le même temps. Alors il souffre lui aussi dans un spectacle sur vivant, au-delà du conventionnel, mais avant tout il comprend avec l'émotion et non pas avec le sentiment. La compassion, c'est être avec, physiquement.

A cela s'ajoute une structure dramatique étonnante. Tout part et revient vers une scène centrale, la consultation du psy avec Odette et sa mère. De ce huit clos thérapeutique s'évadent des bulles de savon en forme de souvenirs. Sans réelle chronologie, nous revivons l'itinéraire d'une jeune fille abusée, délaissée, d'une jeune femme désabusée, laissée pour compte par sa mère.  À chaque nouvelle évocation, les personnages animés par Andrea se mettent à vivre comme une marionnette unique et plurielle à la fois. Ils créent des interactions surprenantes avec le présent, contestant leur caricature exposée au psy. On rit et dans la seconde d'après on pleure, car notre imaginaire est infernal. Pourtant il y a de la pudeur chez Andrea, au lieu d'une description de l'acte, elle parle du cérémonial, de la persuasion psychologique, des objets entourant ce sacrilège.
Quant à savoir si Andreas parle d'elle ou pas, cela n'a en vérité aucune importance pour nous spectateurs, pas pour elle évidemment. Cela n'enlève rien à la qualité de cette création ou de sa renaissance. Car à travers elle, Andrea parle de toutes et de tous ces jeunes garçons et filles à qui on a volé un jour…des jours…des mois et mêmes des années durant, des morceaux entiers d'intégrité à les rendre définitivement vide d'amour propre!

                                                                                                              Thierry Gautier (copyright SACD Avignon OFF 2015)

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