Les Contes de la Mégère (3)
maelle
Praline ouvrit les yeux. Elle ne reconnaissait pas plus le plafond que la texture du lit dans lequel elle était allongée. La jeune fille ferma les paupières.
« Prâline... Tobi ! »
La sœur jumelle se redressa brusquement. Sans un bruissement de tissu, elle se dirigea vers la porte avant de s'immobiliser, main sur la poignée.
« Trop tard. »
Ses bras retombèrent mollement le long de son corps. Ce dernier se dirigea à pas lents vers la fenêtre, bousculant la table de chevet au passage. La fenêtre fut ouverte, des bras s'y accoudèrent ; la journée était belle. Le vent s'engouffrait, caressant le visage. C'était doux. Praline redécouvrit la grande rue qui traversait la village de ??? avant de s'engouffrer dans la forêt des chevaliers. Sa sœur jumelle venait de passer. Son odeur âcre et doucement sucrée flottait encore dans le vent. Praline avait suivi les pas de sa sœur. Pendant un an. Elle avait quitté la maison familiale comme tous les autres. Jeunes filles à la recherche de Tobi, adolescents à la recherche d'épouses... Ils avaient tous quitté Mytilène. Même la grand-mère qui avait insulté Claire avait plié bagage et s'était aventurée sur les routes.
Praline n'avait pas le courage nécessaire pour Tobi. C'était sa sœur, et uniquement sa sœur qui comptait. Elle devait revenir chez leurs parents. Pour eux, pour elle, pour ses amies et puis pour son propre bien parce... parce qu'elle ne pouvait pas vivre une vie de vagabonde éternellement ! Praline pensait rapidement rattraper la fugueuse. Les Dieux de la Fortune s'étaient moqué d'elle. Elle poursuivait sa sœur jumelle depuis un an.
Praline se trouvait à quelques heures du château de Brocéliande. Si un chevalier ne l'avait pas enlevé sur le chemin, elle savait sa sœur ou dans la forêt des chevaliers ou dans les bras de Tobi. Et la jeune fille baissait les siens pour retourner à Mytilène. Le jeune homme ne l'intéressait plus ; sa sœur lui coulait entre les doigts. Praline n'écoutait plus son cœur palpitant depuis longtemps. Elle avait déjà assez souffert et s'affala sur le rebord de la fenêtre. Plus de force. Elle avait fait le voyage pour rien. La jeune fille plongea dans ses pensées au lieu de plonger dans le vide.
« L'aventure est finie... »
On toqua à la porte. Praline se redressa, la porte pivota et un jeune homme d'une vingtaine d'année, baquet d'eau fumante entre ses grandes mains, entra en sifflotant. Il s'arrêta ; ils se fixèrent en silence.
— Excusez moi ! murmura le garçon d'une voix trop forte. Je croyais que vous dormiez ! D'ailleurs... bonjour.
Un timide sourire naquit sur son visage où s'étalaient quelques tâches de rousseur.
— Je m'inquiétais un peu. C'est la première fois qu'on nous apporte une fille évanouie à l'auberge. En pleine rue ! Il faut faire attention, vous savez ! Vous mangez correctement au moins ? Manque de sommeil ? En tout cas, il vous fallait beaucoup de repos ! Heureusement vous êtes réveillées désormais...
« Et oui, songea Praline. »
— J'ai apporté de quoi vous laver, continua le bavard en posant le baquet au sol.
Praline le remercia d'un hochement de la tête et il se passa la main dans ses cheveux bruns emmêles.
— Vous avez dormi toute la matinée. Alors j'ai pensé... Voilà quoi ! … Il fait un peu frisquet, non ? Ah, mais la fenêtre est ouverte ! Bien sûr...
Praline restait muette. Il suffisait d'être patiente, c'était le meilleur moyen. Qu'il la laisse tranquille et seule.
— Vous n'avez pas faim ? Sûre ? Bon... Vous devez être vraiment fatiguée, conclut-il. Évidemment... Ne vous inquiétez pas pour le paiement, il a déjà été effectué par le monsieur qui vous a amené ici ! Adorable, non ? … Reposez-vous encore, c'est ce que vous avez de mieux à faire dans notre auberge. Et si vous avez besoin de quelque chose, appelez-moi ! Au fait, je m'appelle Esteban.
Praline cligna des yeux pour acquiescer ; il en profita pour la dévisager. Ses traits fins, son doux silence et ses yeux bleus cachés sous sa frange lui plaisaient. Il y décelait un mélange de douceur et de pureté accompagnée d'une force dissimulée.
Le regard d'Esteban croisa les yeux bleus de Praline. Monde nouveau ; le garçon se troubla, il perdit son souffle, incapable de décrocher son regard. Ses pensées s'emmêlaient et se cognaient. Praline détourna le regard et l'aura magique disparut aussitôt.
— Euh.. Sur ce... Bon, je... je vous laisse.
Il repartit, bouleversé, et referma la porte le plus doucement possible. Praline claqua la fenêtre. Elle avait froid et se tourna vers le baquet d'eau chaude ; un chiffon y était plongé. Elle ne s'était pas lavée depuis si longtemps. La jeune fille se débarrassa de sa robe crasseuse et entreprit de se laver le visage à l'aide du tissu. Elle avait maigri. Évidemment... Cette vie d'aventure dans les bois lui réussissait moins qu'à Prâline. La jeune fille se nettoya le torse, se frotta les bras, ses jambes, eut plus de mal pour le dos et termina sa toilette par les pieds. Praline commanda une nouvelle robe à Esteban. Puis elle laissa ses pieds tremper dans la bassine en somnolant. Esteban avait raison : il n'y avait rien de mieux à faire pour l'instant.
« Prâline doit être avec Tobi près du cadavre de Claire désormais, pensa la jeune fille emmitouflée dans la couette. »
C'était fini, les deux sœurs jumelles ne se reverraient plus. Pas dans les bras de Tobi ; ça ferait trop mal. Praline s'était décidée depuis longtemps. Ils vivraient de belles années ensemble.
« Et moi, je repartirais demain matin. »
***
Ding dong.
Ding dong.
Toc toc toc.
BLAM !
Ding dong. Ding dong.
Prâline se retint de donner un coup d'épée dans la sonnette. Cinq heures ! Elle attendait devant la porte du château de Brocéliande depuis cinq heures ! La sœur jumelle avait tout essayé. Sonnettes, coups de pieds, de poings, coups de nez jusqu'à enfoncer la porte de ses fines épaules. Rien. C'était la porte, la porte si fortement désirée qu'elle était apparue dans ses rêves. Dernier obstacle avant Tobi. Et tandis que rêves et réalité se confondaient, que la porte était là, en face de la vagabonde, elle refusait de s'ouvrir. Fermée à clé. Depuis cinq heures. Solide. Et striée d'entaille d'épée.
Évidemment Prâline aurait pu escalader le château, creuser un trou, entrer par un autre endroit. Mais elle y tenait. C'était sa porte à elle, celle qu'elle avait convoité durant tous ces mois à dormir dehors. Elle franchirait l'entrée principale pour le geste et signerait la mort de Claire comme ça, pas autrement. Prâline était un démon ; la porte marquait le début de l'enfer.
La jeune fille s'acharna une fois de plus sur le bouton de la sonnette. Ding dong. Elle donna un grand coup de pied dans la porte. Blam ! Elle prit son élan et fonça, épaule en avant, s'écraser contre le bois. Boum. Les habitants du château de Brocéliande comprendraient que la jeune fille n'abandonnerait jamais, quitte à devoir attendre cent ans.
— Hé, le château de Brocéliande ! hurla-t-elle de sa voix cassée et rauque. Ouvrez cette f****** porte ! Il faut que je trucide la princesse Claire ! On me l'a dit, je dois me venger ! Alors laissez moi entrer ! Ou je défonce la porte ! Ohé, vous m'entendez ? Je vous dis de m'ouvrir !
Prâline s'étouffa soudainement, prise de toussotements rauques, se recroquevillant sur elle-même. Elle avait tout de même veillé à ponctuer chacune de ses phrases d'un coup de pied dans la porte. Une fois la crise de toux passée, la sœur jumelle reporta son attention sur la sonnette avant de se jeter contre le bois tambouriner de ses petits poings écorchés.
Le pire dans cette histoire, c'est qu'elle n'avait pas profité de l'occasion. Un vieux serviteur antipathique lui avait ouvert. Il avait à peine écarté le battant, l'avait détaillé d'un coup d'œil, son sourire sonnait faux et l'entrée s'était brusquement refermée. Prâline en était restée muette. On venait de la traiter comme la vulgaire vagabonde sale et décoiffée qu'elle était. Depuis, elle improvisait.
— Laissez moi entrer ! Rugit-elle du peu de voix lui lui restait. Je veux tuer la princesse ! Et vous ne pourrez jamais m'en empêcher !
La jeune fille reprit son souffle, tête contre bois.
« Quoique... une simple porte peut m'arrêter. Bon. De toute façon, ils finiront bien par sortir un jour ou l'autre, non... ? Tiens. »
Le cliquetis ne laissa aucun doute. Aussitôt la sœur jumelle se redressa, posa la main sur son épée, fit une courte prière avant de laisser la rage, la colère et la culpabilité, toutes les émotions qu'elle avait soigneusement amassé, s'emparer d'elle. Le glissement de la porte lui parut interminable, superposé au glissement de l'épée contre le fourreau. Prâline dégaina au même moment que la jeune fille apparaissait sur le seuil.
« A l'attaque. »
Yeux baissés, fines épaules blanches tremblotantes
« La princesse, en plus. Parfait. Je ne pouvais pas rêver mieux. »
Claire s'effondra lorsque Prâline leva son épée.
« Pardon ? »
Ses bras se baissèrent tout seul et la haine déserta brutalement. La vagabonde s'était pourtant attendue à tout : de la résistance, des cris, des pleurs, des supplications, une déclaration d'amour, tout. Mais pas à ce que la princesse soit résignée et si facilement à sa portée.
— Hé, princesse...
Prâline l'effleura du bout du pied, les bras ballant. Des sanglots perlés lui parvinrent. Elle n'était pas princesse pour rien. Ses joues transparentes et rouges contrastaient avec la pâleur de ses membres et la sœur jumelle pencha la tête sur le côté.
« Allons bon... Elle me fait quoi, la princesse ? C'est que ce n'était pas prévu dans le scénario, ça. C'est une feinte ? Une double feinte ? Une triple ? »
Prâline s'écarta prudemment, elle jeta un coup d'œil en arrière sans pour autant lui tourner le dos. Elle ne repéra rien qui ne lui parut suspect. À part la jeune pleurnicharde ramassée sur elle-même aux épaules tremblantes.
« Ne réfléchis pas, Prâline. »
La sœur jumelle brandit son épée.
« Puisqu'elle veut mourir... »
Toute la haine avait disparu de ses bras. La vagabonde ferma les yeux. Elle était venue accomplir ce qu'elle avait décidé de faire, c'était tout. Prâline rouvrit brusquement les yeux et dans un même mouvement l'épée s'abaissa, sifflante.
— Tobi..., sanglota Claire.
L'acier dériva de quelques centimètres à temps. La jeune fille n'en revenait pas. La princesse n'avait même pas pensé une seule seconde à sa mort. Elle ne pensait qu'à son Tobi chéri qui lui manquait. Prâline fit une grimace, dégoûtée du peu de considération avant de rengainer son épée. La vagabonde décapiterait la princesse quand elle serait de meilleure humeur. En attendant... elles ne pouvaient pas rester attendre Tobi au seuil du château, ce serait absurde.
« Bon... »
Prâline effleura la princesse du bout des doigts, osant à peine la toucher. Claire ne tressaillit même pas. La jeune fille prit sa décision ; elle chargea la princesse sur son dos et fit son premier pas à l'intérieur du château.
La jeune fille cligna plusieurs fois des fois pour s'habituer à l'obscurité régnante. C'était petit. Les chaussures s'alignaient par rangées, un balai sale traînait dans un coin, concept intéressant. Devant la jeune fille, un long escalier en pierre. Sa bouche se tordit.
« Ben alors, Prâline ? Tu te prends pour un chevalier maintenant ? »
Elle était venue pour tuer Claire, pas pour la trimbaler en se cassant le dos. Peut-être la vagabonde découvrirait-elle également Tobi, sangloté dans un coin du château avec d'autres pleurs de cristal. Prâline sourit et elle entreprit l'ascension. À chaque marche, la princesse semblait prendre un kilos de plus. Une silhouette vaguement définie se discerna lentement lorsque Claire pesa une tonne.
« Tobi… ? »
Le vieux serviteur. Il portait deux malles et était chaudement habillé.
— Hé, toi ! Viens m'aider à porter la princesse !
Le serviteur l'ignora, marcha droit devant lui, bouscula Prâline au passage qui manqua de tomber et passa sans un mot. La jeune fille se retourna car son poing la démangeait mais il avait déjà descendu les marches et claqué la porte.
— Quel ! Quel... rustre ! Humpf !
La colère l'aida à finir et elle arriva devant une autre porte de bois, la main sur la poignée. Seconde pièce.
« C'est quoi, cet endroit ? »
La porte se ferma toute seule. La salle était de forme ronde ; aux murs Prâline compta douze portes. Au centre, une grande table rectangulaire, entourée de douze chaises grossièrement taillées dans un bois sombre, minuscules en comparaison avec les dimensions de la salle, représentaient le seul ameublement. L'architecte était sans doute fanatique du nombre douze. Puis Prâline leva les yeux au plafond et sa respiration se bloqua. Le toit n'avait pas de fin. S'élevant en un cône recouvert de fenêtre taillées directement dans la roche, il lui donnait l'impression que son âme venait d'être aspiré. Les fenêtres projetaient de petits rectangles de lumière sur les murs et le sol.
La jeune fille s'avança rapidement vers la table, posa Claire sur une chaise et s'éloigna à la recherche de son sac sans reprendre sa respiration. Après s'être trompé deux fois de porte, elle descendit les escaliers, remonta, le sac vert sur les épaules, avant de s'asseoir, ,à son tour, sur la table. Claire ne pleurait plus, murée dans un silence que Prâline trouvait inquiétant à cause d'un regard flottant. Elle haussa les épaules avant d'attendre, ses jambes se balançaient d'avant en arrière. En attendant Tobi.
***
— Ne t'inquiète pas ! Ça va aller ! Tiens bon, mon chéri !
Le chevalier émergea lentement du brouillard ; ouvrit les paupières. Une lumière blanche l'aveugla. Edward parvint à saisir les contours d'une silhouette.
« Chéri... Une femme en détresse... ? »
Il se força à regarder droit devant lui et manqua de s'évanouir à nouveau. Une telle... Non. C'était impossible. Une créature pareille ne devait pas exister. Une femme. Comme l'avait deviné le chevalier, malgré une voix grinçante. Très vieille, si âgée que les rides creusées dans sa peau formaient de minuscules rigoles pour les larmes. La grand-mère souriait. Cela l'enlaidissait. Ses traits ratatinés se plissaient davantage, ses vieilles dents jaunes ressemblaient à du pop-corn, ses yeux gris étaient injectés de sang et son nez, en forme de poivron, effleurait presque le visage d'Edward. Ce dernier recula, pétrifié devant ce visage trop près du sien, souhaitant de tout son être sortir de ce cauchemar. Un petit cri pitoyable sortit d'entre sa bouche tordue de frayeur.
— Reste pas par terre, espèce de corniaud-couinard !
La grand-mère saisit Edward par les épaules avec toute la douceur dont elle était capable et le releva brusquement. Le chevalier, hébété, put alors admirer de magnifiques cheveux gris broussailleux, noués en un chignon et ignorants l'usage familier d'un peigne. La coiffure sublimait ce magnifique visage au double menton où poussaient quelques poils, entouré d'oreilles touffues et aux épais sourcils rappelant le buisson-chevelu. La grand-mère avait plongé ses énormes yeux marron dans ceux du chevalier.
« Quelle horreur. »
Malgré son trouble, il réussit à bégayer :
— Qui... qui êtes-vous... grand-mère ?
— Ah non ! Non, non et non ! S'énerva la vieille.
Edward crut en mourir de frayeur.
— Oh, et puis zut : ne m'appelle pas grand-mère, ça me rend vieille ! Je suis la Mégère ! La Mégère, petit, t'as compris ? C'est comme ça que tout le monde m'appelle au royaume ! La seule, l'unique, la Mégère, tout simplement !
Edward déglutit. Il ignorait qu'elle telle chose existait au royaume de Tinténiac. Il se dépêcha de hocher la tête face au regard mauvais de la vieille. Comment avait-il transité d'une jeune fille caractérielle à cette... chose ? Une véritable sorcière, oui ! Vieille comme le monde et bien plus encore. Edward supplia les Dieux et divinités de la Nature.
« Pitié, qu'elle ne me demande rien, qu'elle soit déjà mariée, que je ne sois pas obligé par le code de la chevalerie de l'épouser, qu'elle ne... »
— Hé ! Écoute moi bien, beau gosse.
Edward dé-joignit ses mains et ouvrit prudemment un œil. Jambes écartées, mains sur les hanches, la Mégère se tenait face à Edward. Elle n'était même pas plus grande que le chevalier assis.
— Tu vas m'emmener voir les lutagnettes à la colline du loup. Compris ? Alors en route petit !
Elle possédait une douce voix de lardons brûlant en fond d'une casserole.
— Mais qu'est-ce que tu fais ? Dépêche-toi !
Le chevalier manqua de fondre en larmes tandis qu'elle grimpait sur Éclair. C'était fini. Ses rêves de conquête, de beauté, de gloire et de femmes s'envolèrent comme la fumée qui sortait des oreilles de la grand-mère s'acharnant sur la selle. Edward n'en serait pas là si la jeune fille avait accepté son aide.
« Je la déteste. »
— Ouh ouh ! Fit la Mégère en agitant une paire de mains ressemblant à de l'écorce devant la figure d'Edward.
Il finit par émerger et son regard devenu sombre s'éclaircit.
— Bon, on y va ?
— M... moi ?
— T'es stupide ou quoi ? Non, je parlais à ta moustache !
— Mais... je n'ai pas de..., fit le chevalier curieusement soulagé.
Il se reçut une minuscule bottine brune puante dans la figure. Puis la Mégère sauta à cloche-pied jusqu'à la chaussure et la relaça.
— Mais c'est qu'il est aussi crétin qu'il en a l'air !
Elle saisit le chevalier par le col et planta ses yeux dans ceux turquoises d'Edward.
— Debout ! Vociféra-t-elle. Allez, lève-toi !
Il leva les bras en signe de soumission avant de se relever très lentement, ne quittant pas la vieille des yeux. Elle avait craqué. Encore plus rouge que Praline, plus furieuse qu'un dragon en colère, poussée à bout, la Mégère s'agitait dans tous les sens en profanant d'innombrables grossièreté. Le chevalier fut surpris de découvrir que ses oreilles poilues s'agitaient sous l'effet de la colère.
Edward et la Mégère – qui gesticulait toujours autant – se hissèrent sur Éclair.
— Hum hum..., fit le chevalier en se raclant la gorge.
— Quoi ?
— Par... pardonnez cette question indiscrète, se reprit-il maintenant qu'il ne la voyait que de dos. Mais …Êtes vous mariée ?
La grand-mère s'esclaffa si fort qu'Éclair baissa les oreilles et tapa nerveusement du pied.
« Je sais. Moi aussi, mon vieux, moi aussi... »
Quand elle fut enfin calmée, la grand-mère s'exclama bruyamment :
— Moi ? Jamais de la vie ! Qu'elle bonne blague !
Le chevalier se détendit alors et rit à son tour. Elle ne voulait pas de mari. Tant mieux…
— Mais j'avoue que, maintenant que tu m'en parles... Ça ne me déplairait pas, un beau blond dans ma couchette.
Puis elle se retourna pour lui adresser un clin d'œil complice tandis que les couleurs désertaient le visage d'Edward. Ses mains se tendirent sur les rênes.
« Reste calme... Ne t'effondre pas... Article 3.5 du code de la chevalerie : aucun chevalier ne montre jamais la moindre faiblesse, quelque soit la situation. Jamais. »
Le chevalier ravala ses larmes et secoua la tête pour se ressaisir.
« Courage Edward... Tu vas... t'habituer ? »
Ses yeux turquoises s'éteignirent. La Mégère semblait n'avoir rien remarqué. Elle avait commencé à chanter d'indescriptibles chansons paillardes en parlant avec ravissement de maisons closes. Sa voix de chats agonisants acheva le chevalier.