Les Contes de la Mégère (4)

maelle

Tobi se précipita dans l'escalier lorsqu'il s'aperçut que la porte d'entrée était grande ouverte et que le bouton de la sonnette pendait misérablement au bout du ressort. Des traces de coups d'épée entaillaient la porte en bois. Il s'engouffra dans l'entrée.

Prâline releva la tête lorsqu'elle entendit des bruits de pas résonner derrière l'une des douze portes. Cette dernière s'ouvrit brusquement.

— Tobi ? Souffla Prâline en bondissant au sol.

Le jeune homme recula d'un pas en apercevant la sœur jumelle, peu présentable, avant de s'avancer lentement. Tobi avait grandi mais elle l'avait reconnu du premier coup d'œil. Le garçon de dix-neuf ans n'avait rien perdu de sa légendaire beauté, au contraire. Il semblait encore plus mature et sûre de lui. Tobi était enfin devenu un homme.

— Qui es-tu ? Demanda-t-il brusquement. Que viens-tu faire ici ?

La voyageuse allait lui répondre lorsque ce dernier aperçut Claire, affalée sur sa chaise, le visage rouge et trempé, recroquevillée sur elle-même.

«  Et mince, la princesse... Il va m'associer à elle, je le sens. »

Prâline posa sa main sur son épée.

— Claire ? Qu'est-ce qui t'es... C'est toi. Une misérable inconnue, gronda Tobi en se dirigeant vers Prâline trop rapidement. Tu as osé... Tu as osé lui faire du mal ! Une sale mendiante qui ne devrait même pas se trouver là ! Sors ! Sors de ce château sur le champ ! Dehors !

Prâline n'avait jamais vu Tobi aussi furieux. Son sang se glaça. Elle se retint de pleurer, il ne fallait pas laisser la situation virer au comique. Le jeune homme fonçait droit sur elle, déterminé à la tuer. La voyageuse dégaina son arme et, sans quitter le jeune homme des yeux, elle posa son pied sur une chaise et monta sur la table.

— Vas-y ! Amène-toi ! Tu crois que tu me fais peur ? Peuh ! J'ai vu plus costaud que toi !

«  Allez, recule Tobi, arrête toi, je t'en supplie... »

Ce dernier ignora Claire qui avait recommencé à sangloter. Il bondit sur la table. La vagabonde déglutit tout en reculant.

— Tu... tu veux me jeter dehors, c'est ça ? Parce que j'ai fait pleurer ta précieuse petite princesse de pacotille ?

Tobi serra la mâchoire. Il s'approchait toujours de la sœur jumelle, qui reculait de plus en plus rapidement vers le bord de la table.

« Bon sang mais j'ai une épée ! Je ne veux pas te faire de mal, Tobi, alors arrête toi ! Arrête toi ! »

— Arrête toi ! cria la sœur jumelle d'une voix suraiguë.

Elle pointait la lame vers la gorge de Tobi, l'effleurant presque. Le jeune homme s'était enfin arrêté, son regard noir ne quittait pas la petite vagabonde.

— Sache qu'elle n'a pas eu besoin de moi pour fondre en larme, ta princesse ! C'est la seule chose qu'elle sait faire, et crois moi, elle n'a pas eu besoin de mon aide !

— Tu vas trop loin...

Tobi s'avança. Prâline perdait totalement le contrôle de la situation. Les mains de Tobi fondirent sur celles de la vagabonde, il les tordit et la jeune fille poussa un misérable gémissement de douleur en lâchant son arme. Il jeta l'épée loin de la table. Elle se redressa immédiatement, face à Tobi, avec une tête de moins.

— Et tu sais quoi ? Claire me faisait tellement pitié que je n'ai même pas pris la peine de lui couper un bras.

Le coup de poing fusa contre son ventre. Elle en eut le souffle coupé, hoqueta, manqua d'air, se recroquevilla puis Tobi la poussa froidement hors de la table. La jeune fille trébucha, se mangea le nez contre le sol, courbée en deux. Tobi la considéra un instant.

«  J'espère qu'il ne va pas me sauter dessus... »

Il fit demi-tour et repartit prendre soin de Claire.

Prâline ressemblait à une larve. Sa salive se répandait sur le sol tandis qu'elle tentait de se redresser en étouffant, la respiration saccadée et sifflante. Ses larmes coulaient toutes seules. La jeune fille tentait en vain de les arrêter, elles cascadaient sur ses joues.

— Pauvre abruti ! Sanglota-t-elle entre deux respirations sifflantes.

Tobi était descendu de la table et s'était agenouillé devant Claire.

— Je n'aime pas frapper les filles alors ne me tente pas, murmura-t-il indifférent à Prâline.

— Ça... ça fait presque un an que je suis partie à la recherche d'un abruti pareil ! À ta recherche, Tobi ! Hurla la voyageuse.

Le jeune homme resta silencieux.

— Et tout ça pour... ça ! Du mépris ! Un... coup de poing dans les côtes ! J'ai fait tout ça pour rien, c'est ce que tu es en train de me dire ?

Prâline frappa du poing au sol tandis que Tobi relevait doucement la princesse, lui murmurant que ça allait aller, qu'il était là pour elle.

— Une année gâchée pour... un idiot qui me traite d'inconnue ! Et le village de Mytilène, tu l'as déjà oublié ? Tes parents et toutes les filles qui te tournaient autour comme des poules ! C'est rien ! Tu as déjà oublié le village de Mytilène dans les bras d'un pauvre princesse transparente ! C'est pas juste ! Et désormais, je te hais, à un point que tu ne peux même pas imaginer ! Je te hais, Tobi de Mytilène ! JE TE HAIS !

Prâline se recroquevilla sous l'effet de la douleur et des larmes. Elle ne pouvait pas s'en empêcher. Tout avait été gâché, son happy end, ces années à attendre, à souffrir. Qu'est-ce qu'elle avait espéré au fond ? Que Tobi lui tombe dans les bras ? Son menton tremblait, Prâline avait le front contre le sol, ses bras autour de ses côtes encore douloureuses. Elle n'avait jamais été aussi misérable, elle n'avait jamais souffert autant.

— Tobi... murmura faiblement Claire dans les bras du jeune homme.

— Oui ?

— Tu dois l'aider.

« J'en veux pas de ta pitié, sale princesse ! »

Tobi resta songeur un instant.

— Tu es sûre ?

— Oui...

Il la reposa sur la chaise et s'approcha de Prâline qui sanglotait au sol.

«  Va t'en ! Bon sang, mais va t'en ! »

Tobi posa une main sur son épaule tremblante. Aussitôt la sœur jumelle se redressa et tenta de le frapper ; le jeune homme lui bloqua le bras. Elle n'arrivait pas à se dégager, elle n'avait plus de force. Elle ne pouvait rien faire, juste se contenter de laisser ses yeux et son nez couler.

— Tu peux te lever ?

— J'ai pas besoin de ton aide ! Cracha Prâline. Barre toi !

La jeune fille récupéra sa main et se releva en grimaçant. Elle se dirigea en titubant vers la table où était posé son énorme sac vert, s'essuyant le visage du revers de la main. Tobi la suivit. Tandis que la voyageuse fouillait dans son sac à la recherche de son paquet de réglisses qui console, la princesse toussota et murmura, yeux baissés :

— Prâline... Je comprends ta colère. Et je pense que... que tu as le droit de savoir. Tu n'es pas la première jeune fille à être arrivée ici. Je peux tout t'expliquer, si tu veux...

La sœur jumelle se moucha.

— C'est ma maladie. Je ne t'apprendrais rien en te disant que je suis transparente, même si je reste visible. Cette situation ne durera pas éternellement. Je disparaîtrais complètement, un jour. Dans une semaine. La cause de tout cela... Je n'avais rien fait, j'étais petite. À vrai dire je ne m'en souviens même plus mais... une lutagnette m'a lancé une malédiction et me voilà , transparente et condamnée à mourir.

«  Tant mieux »

Claire leva son bras à hauteur de son visage aux yeux embués.

— Ça empire au fil du temps. On ne sait même pas si un remède existe. À vrai dire, on ne sait rien. J'étais si désespérée. C'est alors que, errant dans la forêt proche de Mytilène (Prâline serra les poings) j'ai rencontré Tobi. Par hasard. Je lui ai tout raconté et il a proposé de m'aider.

Prâline imaginait très bien la suite toute seule. Pour sauver la princesse, il avait fallu que le beau jeune homme quitte son petit village natal. Ils avaient dû travailler dur pour mettre en scène l'amour de Tobi et de Claire. Pour que les ombres féminines de Tobi cessent de lui tourner autour. Ils s'embrassaient, leur amour était évident et on les laissait tranquille. Ce n'était pas une si mauvaise idée. Mais ça n'avait pas du tout marché.

— Après..., continua Claire tandis que Prâline prenait le temps de se ressaisir, on a tout essayé. Druides, magiciens, sorts, voyances. Il ne reste plus rien et je vais mourir... Tant pis. C'est comme ça. Personne n'est éternel.

— Claire ! S'exclama Tobi. Il reste la montagne noire !

— Tobi..., soupira la princesse. On en a déjà parlé, c'est impossible ! Il reste trop peu de temps ! Le lutagnette nous l'a dit, il ne me reste que deux semaines à vivre ! Voire une seule !

— Donc ce n'est pas le moment de baisser les bras !

Prâline inspira longuement avant de se lancer. Elle n'avait pas vraiment écouté, occupée à essuyer ses joues mais un détail la taraudait.

— Juste une question...

La jeune fille était enfin redevenue elle même. Elle détestait Tobi, se moquait de Claire et avait repris de l'assurance.

— Vous êtes mariés ?

— Non. On est seulement fiancés.

— Ah... Bon...

« Ils sont... fiancés ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Je croyais que Tobi n'était là que pour aider la princesse, moi ? Et est-ce qu'ils ont déjà... Nooon. »

Prâline regarda d'un autre œil le couple qui parlait de caverne, de danger, de vœux et de gardiens. Prâline ne les écoutait plus ; elle s'était réfugiée en elle pour tenter de contrôler la tempête qui enflait.

« Bon, songea-t-elle. Ce n'est pas si grave. Claire va bientôt mourir de toute façon. Je n'aurais même pas à me salir les mains. Et à ce moment là... Tobi sera à moi. Oui, c'est ça. Laissons la princesse agoniser. Ensuite je kidnappe Tobi. Noyé par le chagrin, il n'aura que moi pour le soutenir et je l'aurais enfin, mon happy end forever ! »


On sonna à la porte d'entré. Tobi leva un sourcil. La sonnette était pourtant inutilisable. Claire parut surprise. Prâline, quant à elle, pensa immédiatement au vieux serviteur antipathique.

— Je vais ouvrir !

Elle fila vers une porte au hasard, tomba sur la bonne et s'engouffra à l'intérieur.

«  Il va me le payer. Il va payer pour tout ce qui m'arrive. Non seulement il est insupportable mais il ose revenir... Eh bien tu vas le regretter, songeait Prâline, dévalant les marches. Tiens ? »

Arrivée en bas de l'escalier, elle avait recommencé à pleurer.

— Oui, un instant, j'arrive ! Fit-elle au doigt qui pressait abondamment la sonnette tout en se frottant les yeux de sa manche.

La porte grinça ; Prâline tira. Elle releva la tête pour faire face à la personne qui se tenait sur le palier et fut ensevelie sous une masse de cheveux bruns. Prâline dut se cramponner à la porte pour ne pas tomber en arrière. Son double venait de lui tomber dans les bras. C'était son reflet échappé du miroir qui cherchait à l'étouffer en la serrant contre elle. À moins que..

— Praline ? Souffla Prâline.

Sa sœur jumelle ne répondit pas, réfugiée dans le cou de sa sœur. Une année entière. Une longue année était passée. Et Praline serrait enfin Prâline dans ses bras.



Tobi fit une drôle de tête lorsqu'il aperçut Prâline et Praline ensemble.

« Elle s'est multipliée ? »

Puis il remarqua qu'elle ne se ressemblaient pas. Praline portait une robe, les cheveux rassemblés en une tresse et une frange lui mangeait le haut du visage. La jeune fille se cramponnait à la sangle de son maigre sac porté en bandoulière. Elle était propre. Le contraire de Prâline qui ne se coiffait toujours pas, portait un T-shirt trop grand pour elle, un pantalon noir, sale et troué ainsi que des bottines brunes. C'était le jour et la nuit, et pourtant... elles possédaient une aura similaire. Claire ouvrit la bouche, n'émit pas un seul son et ses lèvres se retrouvèrent.

— Euh…, annonça Prâline, mal à l'aise par cet étrange silence. Voici ma sœur jumelle, Praline. Praline, Tobi de Mytilène, que tu connais déjà et Claire de… Brocéliande. Que tu connais déjà également.

La nouvelle arrivée ne quittait pas Tobi du regard. Un regard sombre, empli de reproches, dissimulé sous quelques mèches de cheveux. Le jeune homme préféra regarder ailleurs.

— Vous avez… le même prénom ? Demanda Claire d'une voix faible.

— Ah non. Pas du tout.

La princesse écarquilla les yeux.

— Moi, c'est Prâline et elle, c'est Praline. Ça n'a rien à voir. Accent circonflexe.

— Et…

— Soit nos parents étaient originaux, soit ils avaient la flegme de trouver un autre prénom. Plutôt la deuxième proposition, d'ailleurs. Déjà, Praline, c'est moche, ils ont quand même trouvé le moyen d'appeler leurs deux filles ainsi. Tu parles de parents…

Claire sourit. C'était la première fois que Prâline la voyait avec une telle expression sur le visage. Étrangement elle n'avait même plus envie de la tuer.

Ce ne doit pas être pratique…, murmura-t-elle avec gentillesse. Mais je vous en prie, asseyez vous !

— Oh non, franchement, ce n'est pas la peine. Après toutes ces journées de marche, je ne suis plus à ça près, dit-elle avec une fierté mal dissimulée.

Praline se dirigea vers Tobi sans un mot et s'assit sur une chaise, les mains jointes posées sur ses cuisses. Le jeune homme restait appuyé contre le rebord de la table, une expression mélancolique sur son visage. Praline cessa de le regarder et fit de même.

— Mais concernant nos prénoms, des fois, c'est vraiment n'importe quoi. Non, mais c'est vrai ! Imaginez la vie de tous les jours ! « Prâline, va mettre la table ! » « Laquelle maman ? » « Celle avec accent ! ».

Claire rit de bon cœur et son rire était comme les tintements de milliers de grelots brisés. Prâline ne put s'empêcher de sourire à son tour avant de continuer.

— Alors il y a différentes techniques. Pendant un moment on m'a appelé Prââââââline. Ou bien, ça c'est moi – la jeune fille fit un deux avec sa main avant de fermer le point – et ça, c'est pour ma sœur. Avec et sans accent accent circonflexe à l'envers.

Claire se tourna vers Tobi. Il l'ignora et elle reporta son attention sur la sœur jumelle, déçue.

— Bah, en fin de compte, on s'y est habitués. Ah oui, au fait, excusez ma sœur si elle parle pas, mais c'est normal. Elle est muette. Ça fait longtemps que, même moi, je n'ai pas entendu le son de sa voix. À vrai dire, je ne m'en souviens même pas.

Prâline eut une petite moue avant de se relancer. Naturellement bavarde et après une année pauvre en conversation, elle parla, parla, parla et personne ne songea à l'arrêter. La jeune fille ronchonna un peu mais elle ne prononça pas un mot sur la dernière année. Le rire cristallin de Claire résonnait.

— C'est marrant, murmura Tobi. Toi et ta sœur, vous êtes si différentes et pourtant… on ressent une certaine complicité.

Praline serra les poings en silence, le regard rivé devant elle. Elle ne voulait pas être là et elle ne l'avait jamais voulu. La jeune fille aurait aimé se lever et partir, tout de suite, mais elle avait l'habitude de prendre sur elle. La remarque de Tobi ne lui plaisait pas. C'était marrant ? Pourquoi ? Il ne connaissait rien d'elles, comment osait-il affirmer qu'elles dégageaient une « certaine complicité » ? Il ignorait que Praline était partie pour retrouver sa sœur. Cette dernière n'avait même pas encore prit conscience de l'ampleur du sacrifice. Il ignorait ce qu'elle avait enduré, il ignorait que Prâline avait tout abandonné pour lui, il ignorait tout et il trouvait que c'était marrant. Tobi n'avait pas le droit. Il n'avait pas le droit de dire qu'ils les trouvait proches !

— Je trouve ça incroyable, continua-t-il. Et sinon… tu ne parles vraiment pas ?

Praline n'osa pas bouger lorsque le jeune homme se rapprocha d'elle dans son dos. Elle sentait presque son souffle courir le long de son cou dénudé.

«  Tobi... Mais qu'est ce que tu veux, à la fin ? »

Les battements de son cœur s'accélérèrent malgré elle. Praline se détestait : elle adorait toujours Tobi. Les sentiments, toujours les sentiments ; c'était par leur faute qu'elle s'était enfoncée dans la forêt de Tintagel, qu'elle se retrouvait coincée là entourée de ces... gens. Praline détestait les sentiments !

— C'est embêtant, ajouta Tobi avant de se taire.

Prâline parlait toujours, les mots se déversaient comme un torrent sur la princesse. Elle semblait trouver cela agréable. Même sans personne pour l'écouté, la vagabonde aurait continué à parler, trop seule pendant trop longtemps.

— Praline…

Cette dernière frissonna. La tendresse dans la voix de Tobi ressemblait à un « Je t'aime ». Praline laissa tomber son masque insensibilité et tourna lentement la tête vers Tobi. À lui, elle voulait bien s'ouvrir. La jeune muette lui faisait confiance. Leurs yeux s'étaient trouvés.

— Est-ce que tu pourrais…

«  Tout ce que tu veux, Tobi. Tout ce que tu veux. »

Praline pouvait presque sentir un lien se créer entre eux. Elle s'était emballée mais son visage restait neutre. Seuls ses yeux trahissaient l'émotion qui s'était emparée d'elle. Tobi semblait vouloir compter sur elle et, même si elle ne s'attendait pas à une déclaration d'amour, elle ferait tout pour l'aider. La jeune fille l'aimait.

— Pourrais-tu demander à Prâline de sauver Claire ? S'il-te-plaît ? Ajouta-t-il.

Praline cligna des yeux. Tobi crut qu'elle n'avait pas compris et répéta. La jeune fille s'effondra sans un geste. Ses sentiments furent aspirés ; une rage mêlée de tristesse remplaça le néant.

«  Ne pleure pas. »

Les mains de la jeune fille s'agrippèrent au tissu de sa robe. Elle s'efforça de rester impassible, se mordit la lèvre inférieure, battant de plus en plus vite des paupières. Tobi ne la quittait pas des yeux.

« Tu ne peux pas pleurer. Pas maintenant. »

Comment Tobi avait-il pu… ? Est-ce qu'ils s'en était seulement rendu compte ? Sa bouche trembla.

« Ne pleure surtout pas. Même si Tobi ne t'as jamais considéré comme une femme.»

Praline éclata brutalement en sanglots. Claire et Prâline se tournèrent vers Tobi. Il passa du regard inquiet de Claire à celui méprisant de Prâline avant de déglutir. Le jeune homme posa une main sur son dos, vaine tentative de réconfort. Elle le repoussa brutalement.

— Abruti !

Tobi battit des paupières.

— Tu ne comprends rien ! Tout est de ta faute !

Praline s'était brusquement relevée, joues en larmes et elle criait, la voix enrouée et mal maîtrisée qui partait parfois dans des sons aiguës plaintifs.

— Tu n'écoutes jamais les autres ! Sale... égoïste ! Tu n'as vraiment pas changé ! Toujours avec tes petits amis parfaits !

Prâline déglutit, la situation l'embarrassait, lui rappelant la sienne. C'était cette même eau salée qui dévalait la pente ; c'étaient les mêmes larmes intarissables, la même voix cassée où se dissimulaient la déception et la tristesse parmi la colère.

— Tu en regardes jamais autour de toi ! Jamais ! Tu n'es qu'un insensible, Tobi, voilà ce que tu es ! J'aurais pu tomber amoureuse d'un caillou ! Ou bien d'une grenouille ! Ça n'aurait rien changé !

Tobi sourit malgré lui.

— ABRUTI !

La jeune fille s'arrêta. Sa respiration tremblait, ses épaules se haussaient et s'abaissaient par coups saccadés. La fureur répondait présente dans les lèvres tremblantes et le poing serré. Soudainement elle parut désemparée, tourna la tête de droite à gauche, trouva son échappatoire et s'éloigna à pas rapides vers une des portes au hasard avant de s'y engouffrer. Ils gardèrent tous la tête baissés et jusqu'à ce que leur épaule se soulèvent au même moment que la porte ne claque avec violence.

— Waoh…, souffla Prâline en se passant une main dans les cheveux. Si je m'attendais à ça…

Claire hocha la tête ; Tobi était penché en arrière, la jambe nerveuse.

— Bon, ben... Il faut que j'y aille moi, murmura Prâline en se levant.

À vrai dire, elle n'avait aucune idée de quoi faire mais ne supportait plus les ambiances dérangeantes.

— Partir ? Partir où ? s'étonna Claire.

— Je ne sais pas. Je suppose que j'ai besoin de réfléchir, c'est tout.

— Attends..., murmura Tobi, tête baissée.

— Hum ?

Il se redressa brusquement, empoigna Prâline par les épaules et planta ses yeux dans les siens.

— Je t'en prie, essaye de sauver Claire !

À ces mots, la voyageuse devint livide. Elle chercha quelque chose auquel se raccrocher du regard, n'importe quoi.

— Mais… Euh…

— S'il-te-plaît ! Insista Tobi. J'ai déjà tout essayé, il reste trop peu de temps et…

— Tobi, ne compte pas sur moi.

— Hein ?

Prâline se dégagea de l'emprise du jeune homme et sa voix se fit sombre.

— D'abord, tu me fais pleurer avec un coup de poing dans le ventre. Bon, passe encore. On n'a qu'à dire que je l'avais bien cherché. Ensuite c'est au tour de ma sœur. Je ne sais même pas pourquoi seulement elle semble te considérer responsable. Et même devant sa propre famille, elle n'a jamais versé une seule larme. Et toi tu crois, tu crois vraiment, qu'avec tout ça, je vais t'aider ?

Tobi ne baissa pas les yeux.

— Tu sais, Tobi… Au début je venais pour la tuer ta princesse. Alors je ne vois vraiment pas pourquoi j'essaierais désormais de la sauver.

— Mais tu as changé d'avis ? Tu ne vas pas la…

Praline jeta un coup d'œil à Claire avant de se tourner face au jeune homme.

— J'en sais rien.

Tandis que Tobi s'effondrait lentement, soutenu par Claire, Prâline songea qu'elle n'avait plus rien à faire avec eux et elle tourna les talons.

— J'explore le château moi aussi ! Annonça-t-elle avant de claquer la porte en bois plus fort qu'elle ne l'avait voulu.

En deux mots, elle disparut.

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