LES CORPS BEAUX [2 Gouttes de Cendres]

Lesaigne Paracelsia

(crédit image: Peinture de Christian Shloe ©)

Devant la maison des Mantis, il n'en menait pas large. Ce quartier était inquiétant, mais il aimait y venir. À ses heures perdues, le maître proposait des leçons pour les plus démunis. Dispenser des cours aux enfants défavorisés lui procurait une immense joie. La porte s'ouvrit sur un visage lugubre, non avenant, qu'il ignora sciemment en saluant avec entrain la ravissante Chloé. L'état de ses habits et de ses ongles dénotait un manque d'hygiène certain.

— Bonsoir demoiselle, je suis Anthony. Je suis venu parce que ton papa m'a dit au téléphone, que tu avais quelques difficultés.

Ravie, elle le mena à sa chambre d'enfant où chaque coin de la pièce était recouvert de poupées toutes plus effroyables les unes que les autres. Seuls, ils prirent place au petit bureau de la fillette. Elle était adorable, très intelligente pour sa condition de miséreuse. Pas une seule erreur ; elle ne faisait aucune faute pendant sa lecture et la résolution des problèmes. Cela étonna Anthony : pourquoi l'avait-on fait déplacer ? Mais il perdit le fil, car Chloé soutenait son regard avec une telle maturité qu'il finit par retrouver son excitation. Le vernis noir craquelé sur les petits orteils de Chloé réveillait ses instincts les plus sauvages. Comme les autres crève-la-faim, elle ne ferait aucun bruit. Il pensa même à verrouiller la porte afin que le sinistre oiseau lui servant de père ne les dérange pas.

— Ho ! Vous y pensez ?

Il fut surpris par cette interrogation. Elle semblait répondre à ses intentions. Mais il n'eut pas le temps de lui poser la question. Elle lui prit la main, ce qui fit naître dans son esprit des idées sordides.

— Nous allons voir maman, d'accord !

"Et puis nous remonterons pour que je te fasse taire". Il la suivit vers la cuisine, ému par la chaleur de son étreinte innocente. Anthony eut le loisir d'observer l'état piteux du mobilier et du salon. Tout était rance et poisseux.

Lorsque Chloé ouvrit la porte, le spectacle horrifia le professeur. Il resta figé en découvrant la forme sépulcrale d'une créature informe. Ses vêtements déchiquetés laissaient apparaître un corps rachitique. Ses os saillirent lorsqu'elle renifla vers eux, fermant les petites fissures sur sa face maculée d'un liquide noirâtre qui zébrait sa peau piquetée de plumes éparses. La cruauté se lisait sur sa figure. Les cheveux emmêlés en nid de paille, elle était effrayante.

— Maman, c'est Anthony.

Les yeux et les babines de la chose immonde s'étirèrent, révélant un sourire plein de méchanceté. Face à elle, au bout de ses doigts hideux, osseux d'où pendaient des griffes longues et sales, un intestin glissait entre ses paumes. Anthony suivit la courbe de l'organe jusqu'au ventre offert d'une femme suppliante. Plaintive, les yeux révulsés, elle agonisait nue au milieu d'une boucherie.

— Maman est artiste, souffla Chloé.

À ces mots, il crut entendre un soupir de satisfaction. Paralysé par l'ensemble de cette exhibition, Anthony éprouva un sentiment d'urgence... L'urgence de filer. Mais les phalanges de Marie s'enfoncèrent dans sa chair si profondément qu'elles se fondirent dans ses muscles. Il hurla de douleur, saisi par la brûlure de la plaie, consterné par la soudaineté de l'attaque... Ceci allait bien au-delà de toute compréhension.

— Marie ! Marie ! Le dîner ! La petite à faim ! Marie !

Mr Mantis venait d'apparaître dans la Fosse aux horreurs. Ses hurlements ressemblaient à des croassements. Il n'accorda aucun regard à Anthony qui souffrait le martyre. D'ailleurs, étaient-ils humains ? Ébaubi et dans l'impossibilité de protester, le professeur n'arrivait plus à prononcer aucun mot; la salive lui dégoulinait des lèvres, l'envie de vomir se faisait pressante.

— Il va salir le plancher, Marie !

Monsieur Mantis se jeta sur lui toutes dents dehors. Ce fut le trou noir.

En ouvrant les paupières, la peur le gagna à nouveau. Une odeur nauséabonde gagna ses narines, le forçant à rendre encore une fois.

— Il faudra le nettoyer, quel animal ! hurla monsieur Mantis quelque part dans la pièce. La petite doit manger !

Celle qu'il nommait Marie, semblait ravie du retour d'Anthony parmi eux. Elle émit un couinement laborieux. La proie arborait, sur toute la surface de son abdomen, une couture de chair indiquant qu'on l'avait raccommodé maladroitement. Elle était mise en scène ; les bras crucifiés au mur, les yeux mendiant le ciel, les jambes écartées. L'ouverture obscène de son sexe épilé était tournée vers le professeur. Il émanait une absence totale de miséricorde en ces lieux. La créature prénommée Marie lui montra alors une longue tige sombre qu'elle dirigea vers les parties intimes de la sacrifiée en prenant soin de dégager les lèvres afin d'y introduire l'objet dans le méat urinaire. Cela provoqua des applaudissements du côté des autres membres de cette ménagerie qu'Anthony ne pouvait voir : on l'avait solidement attaché. Il aurait voulu se débattre ou hurler de toutes ses forces, mais pour appeler qui ? Il ne ressentait plus rien. Baissant les yeux vers ses jambes, il vit son pénis gonflé et violacé, agrafé à son ventre. Son urètre débordait de sang et de clous épais. Anthony pleura, il avait encore ses larmes pour lui. Marie s'avança vers le corps de l'inconnue refroidie. Elle appuya dans le renfoncement de son aisselle et son index rentra comme dans du beurre, déclenchant un nouveau rejet acide du professeur. Monsieur Mantis aida Marie à se redresser, elle s'accrocha fermement à lui pour ne pas chanceler. Anthony crut distinguer un bec là où ses lèvres auraient dû se trouver. Tous deux couvaient de tendresse la petite Marie qui buvait la fontaine macabre qu'elle avait provoquée.

Anthony ferma les yeux. Bientôt, ce serait son tour.

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