Les défaitistes
haylen
Blum se surprenait à attendre Léo, assise sur le banc de l'arrêt de bus. Il ne comprenait pas l'intérêt de la ponctualité et elle le rouspétait tout le temps sur ça.
« Désolé… »
Elle tourna la tête, il se tenait à côté d'elle, essoufflé, les mains sur les genoux.
« Sérieux, tu fous quoi de tes journées pour arriver systématiquement en retard ? »
Il haussa des épaules, avant de pousser Blum pour s'asseoir. Elle soupira. Ce qu'il pouvait être agaçant.
« J'ai une vie plutôt mouvementée, B.
_ Je n'en doute pas. »
En fait, elle n'en savait rien. Elle ne savait pas d'où il venait exactement. Rien n'avait été clair entre eux. Elle avait fait des suppositions auquel il n'avait daigné donner de réponse. Elle mourrait d'envie de tout savoir sur lui, sa famille, son mode de vie. Mais elle se retenait, il se moquerait d'elle.
« Je sens que t'as envie de me demander un truc. »
Blum regarda Léo en lui demandant :
« Pourquoi ?
_ Tu trépignes, constata-t-il en montrant du doigt son pied qui tapait sur le sol sans qu'elle ne s'en rende compte. A chaque fois que tu veux me demander un truc, tu trépignes. Ce qui est en soi, très agaçant. »
Instinctivement, elle arrêta de bouger son pied droit. Elle soupira. Ça faisait maintenant cinq jours qu'ils se connaissaient et ils passaient le plus clair de leur temps ensemble.
« Je pense qu'on devrait prendre nos distances, Léo.
_ Et pourquoi ça ? »
Elle observa son air amusé.
« Parce que pour connaître mes manies, c'est qu'on passe beaucoup trop de temps ensemble.
_ Tu connais mes manies, à moi ? »
Elle le regardait allumer sa cigarette.
« Tu détestes les roulées. »
Il faillit s'étouffer en entendant ses paroles.
« Comment tu sais ?
_ Question de logique. En général, quand on est aux blondes depuis un certain temps, les roulées nous écrasent la gorge. Et en plus, tu n'as pas nié. »
Il haussa des épaules en souriant.
« Démasqué, je suis. »
Le bus de Syd venait d'arriver devant eux, ils allèrent entrer quand le chauffeur de bus les arrêta d'une main.
« Hans est venu me voir tout à l'heure, il ne pourra pas venir vous faire cours aujourd'hui.
_ Quoi ? Mais pourquoi ? s'exclama Blum.
_ Il y a des émeutes dans le quartier des filles. »
Léo allait demander à B quel était le quartier des « filles » mais elle lui donna un coup sur le côté, signe qu'il fallait qu'il se taise.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
_ Comme la dernière fois, B… »
Elle hocha de la tête avant de répliquer :
« Si tu croises Hans, dis-lui de passer me voir ce soir. »
Syd acquiesça avant de fermer les portes du bus et de s'en aller. Blum, surprise parce qu'elle venait d'entendre, s'adossa contre un mur.
« Je peux savoir ce qu'il se passe ? »
Elle releva la tête vers Léo qui semblait aussi médusé qu'elle.
« C'est quoi le quartier des ‘filles' ? »
Elle se mordit l'intérieur de la lèvre avant de répondre :
« C'est le quartier des filles… de joies, si tu vois ce que je veux dire. »
Il la regardait, toujours aussi inerte.
« Elles se prostituent.
_ Quoi ? Mais pour qui ?
_ A ton avis, Léo ? Pour les vivants. »
Il se mit à rire nerveusement, en se passant les mains dans les cheveux.
« C'est pas possible, pourquoi ils feraient une chose pareille ? »
Blum haussa des épaules. Parfois certaines choses ne changent pas.
« Elles ont besoin d'argent pour vivre. »
Il prit une grande inspiration avant de poser la question qui le travaillait depuis un moment :
« Il y a combien de quartier ici ?
_ Il y en quatre. Sans compter celui des riches. Le quartier des ouvriers, des filles, des esclaves et le centre-ville. »
Il fronçait des sourcils. Lui qui se baladait de rue en rue depuis des mois, n'avait aucune idée de ce qu'il se passait dans cette ville.
« Des esclaves ?
_ Ceux qui travaillent pour les riches. Ils vont de l'autre côté de la ville pour faire votre ménage, votre lessive. Ils nettoient votre merde et retourne dans la leur, le soir même.
_ Chaque personne a sa fonction, n'est-ce pas ? »
Elle hocha de la tête en baissant des yeux.
« Et toi, quelle est la tienne ? »
Elle ne pouvait pas lui répondre pour le moment. Elle était vouée à travailler à l'usine comme tous les autres de son quartier, mais elle ne pouvait pas. Elle ne le voulait pas.
« Je devrais avoir les mains noires, moi aussi. Bientôt.
_ Dans combien de temps ?
_ Quand ils viendront me chercher.
_ Mais qui ça, « ils » ? demandait Léo, en criant presque.
_ Les riches. Ils contrôlent notre vie, tu n'étais pas au courant ? »
Il secouait la tête, il ne pouvait pas comprendre après tout.
« Ils viennent dans chaque quartier nous assigner une fonction. Tous les cinq ans, ils viennent voir les personnes qui vont bientôt devenir majeures. Parfois, ils peuvent nous assigner une autre fonction que celle de notre quartier. Je pourrais très bien aller chez les esclaves comme chez les filles. Si je n'accepte rien de tout ça, j'irais au centre-ville avec les sans fonctions. Les SDF, si tu veux. »
Plus elle parlait, plus il n'en revenait pas.
« Tu ne peux pas faire ça, B. Tu vaux mieux que ça.
_ Et qu'est-ce que t'en sais ? Tu es dans ce quartier depuis combien de temps, hein ? Tu crois qu'en venant ici avec ta sale gueule de bourgeois, t'allais tout connaître ? »
Elle ne se contrôlait plus. Il jugeait tout et tout le temps. Il fallait qu'il comprenne une bonne fois pour toute.
« Les choses marchent de cette manière depuis des décennies. Rien, ni personne ne pourra changer ça. »
Il ne pouvait plus l'entendre parler de cette manière. Depuis quand elle ne croyait plus en l'humanité ? Pourquoi est-ce qu'elle allait en cours pour apprendre si elle restait aussi défaitiste ?
Alors qu'elle allait continuer à parler, il l'arrêta en plein élan.
« Je te promets que tu ne deviendras pas une de ces personnes, B.
_ Et qu'est-ce qui te fait croire ça ? »
Léo se rapprocha de la jeune femme. Instinctivement, elle se raidit en sentant le jeune homme aussi près d'elle.
« Je ne les laisserais pas faire. »
Merci , j'ai lu tous tes textes, c'est un vrai privilège... j'aime tout : l'univers, l'atmosphère, les personnages, les détails, merci de partager ton écriture , hâte de lire la suite, je suis resté captivé tout du long
· Il y a plus de 8 ans ·torpeur
J'aime beaucoup ton histoire qui est magnifique ! J'adore Blum et sa façon de voir le monde, elle est cynique à souhait alors que Leo, lui, ne comprends rien ! On dirait qu'ils s'apprenent l'un à l'autre. J'adore l'histoire et ton style, ce monde découpé en faction ...
· Il y a plus de 8 ans ·Angéline Richard
C'est exactement ça, ils se complètent à leur manière finalement ! Merci beaucoup en tout cas
· Il y a plus de 8 ans ·haylen
J'aime beaucoup votre façon d'écrire et votre univers, on se laisse très vite y être emporté.
· Il y a plus de 8 ans ·elixir
Merci beaucoup !
· Il y a plus de 8 ans ·haylen