Les démons de la mémoire 6 et 7
Violette Ruer
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Depuis plus d’une semaine, le commissaire avait l’impression d’effectuer les travaux d’Hercule avec tous les rebondissements et évènements imprévus de cette affaire ! Etre un ermite juste une journée dans un refuge sous le toit du monde, loin de tout, serait génial ! Bon ne rêvons pas se dit-il en enfilant son manteau pour aller chez Didier Wagner.
Mince alors ! Le bougre saucissonné était bien mal en point. Pouvait-il parler ? Apparemment non… Et la galère continuait ! Pourquoi ne pas l’avoir détaché ? Pour les indices…Pris au piège depuis quelques jours ce devait être épuisant et inconfortable… Donc cas de force majeure… Tonio marmonna : Pourquoi ne pas avoir perquisitionné partout lors de la découverte du cadavre de la femme ? Toujours la même chose, pas d’initiative ces inspecteurs… Il faut tout leur dire…
L’ambulance arrivait et le diagnostic pas vraiment engageant : déshydratation sévère, il fut donc immédiatement transporté à l’hôpital. Tonio se dit qu’il valait mieux rentrer au château avant la nuit, de toute façon il ne pouvait plus rien faire pour le moment, la suite pour le lendemain.
Son arrivée chez lui fut mémorable. Accueilli à bras ouverts par les copains, par contre face aux femmes muettes dont la maitresse de maison, cela n’augurait rien de bon après le départ des convives ! Tant pis, il allait se détendre un peu avec le champagne, rayonner un peu avec les blagues amicales, il serait largement le temps de se prendre la tête plus tard avec Victoria.
Il ne se passa rien du tout, Victoria refusait de parler alors il s’endormit dès qu’il fut couché…Pas du tout le même tabac au petit matin ! Elle lui rafraîchissait la mémoire et il eut le déplaisir de l’entendre dire : Cela ne peut plus continuer ainsi, ton travail empiète trop sur notre vie privée, une vraie fiction notre intimité, je n’ai plus le courage de continuer ainsi…Avait-elle envie de le quitter ? Mais non, quelle idée saugrenue ! Elle voulait juste qu’il ralentisse un peu… Ouf ! Il se sentait mieux. Il lui promit que le week-end suivant il ne travaillerait pas, qu’au pire il se ferait remplacer.
Quand il arriva au commissariat dans la salle de dégrisement un homme déclamait des vers de Baudelaire. Tonio le rejoignit et dit : oh la poète, du calme, tu n’es pas au théâtre ! Il s’assit ensuite derrière son bureau et examina ses notes : Régis Wagner était devenu Régis Martini, Charlène Wagner était morte tandis que son mari, Didier, était ligoté dans la cave…. Ce dernier était l’amant de Mylène Martini depuis un an… Régis Martini était sur l’autoroute mais où se trouvaient sa femme et ses enfants ? Il appela un inspecteur : Allez, on va à l’hosto, Didier Wagner doit être réveillé…
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En effet, Didier Wagner émergeait, il parlait avec difficulté conséquence de l’effet des calmants. Connaissait-il ses agresseurs ? Il fit non de la tête puis : ils m’ont assommé et quand je me suis réveillé j’étais pieds et mains liés sur une chaise, un foulard sur la bouche. Combien d’agresseur y avait-il ? Au moins deux, peut-être plus, ils avaient surgi derrière lui dans son bureau et l’avait assommé. Hommes, femmes ? Il ne saurait le dire… pas le Pérou cette déclaration ! Comment mettre de l’ordre dans ce capharnaüm ? Et Mylène Martini ? Le visage du malade se figea, ses yeux devinrent tristes et il ne répondit pas à la question. Savait-il que Régis Martini était au courant de leur liaison ? Oui… Et sa femme ? Non, je vous en prie, ma femme ne doit rien savoir…
Apparemment Didier Wagner ignorait le décès de son épouse… Justement il demandait de ses nouvelles… Où était-elle ? Comment lui expliquer qu’elle avait subi une phlébotomie avec une sauvagerie qui l’avait vidée de son sang ? Tonio tenta de détourner la conversation mais Didier insista : Etait-elle attachée comme moi ? Là le commissaire put répondre sans mentir : oui elle était ligotée… Didier s’agita : est-elle dans cet hôpital ? Là encore le policier répondit : oui, elle est bien là, mais… L’homme devenait de plus en plus nerveux, il n’allait pas être dupe longtemps, il fallait lui dire la vérité : Monsieur Wagner, je suis désolé de décevoir vos espérances… Madame Wagner est décédée… L’homme hurlait comme une bête blessée : Je veux la voir ! Dans son état ce n’était pas conseillé… Rien ne pouvait plus l’arrêter, qu’on l’emmène immédiatement à la morgue ! Il aurait dû y passer de toute façon pour reconnaître officiellement sa femme, alors le commissaire demanda une chaise roulante et le conduisit lui-même au sous-sol.
Quand Didier releva le drap, il crut s’évanouir ! Avait-elle été violée car sa jupe était tâchée de sang à hauteur du pubis ? D’après le médecin légiste, non… Pourquoi cette peinture bleue sur le front et ce mot abject Cocue ? C’était justement ce que le commissaire désirait savoir.
Quelle horreur répétait Didier Wagner, il avait réussi à réparer la barque de son couple en colmatant toutes les brèches pour qu’elle pût continuer à naviguer sur la rivière de leur existence… Bon Dieu ! Qui avait-pu faire une telle chose ? Le commissaire lui demanda soudain : Aviez-vous rompu avec Mylène Martini ? Oui, il avait cessé toute relation avec cette femme quand le mari de cette dernière l’avait menacé de tout révéler à son épouse. La double vie lui convenait quelques temps puis Mylène s’était mis en tête de vivre avec lui.
Tonio Perlicchi ramena le blessé dans sa chambre mais en passant devant celle de Régis Martini, il s’arrêta. Il pouvait crever l’abcès tout de suite… En voyant les deux hommes face à face, dans un désarroi profond, il comprit que ces deux là n’avaient rien fait de répréhensible, ils étaient tous deux des victimes. Il commençait à entrevoir la vérité… Quelques éléments du puzzle manquaient encore mais il voyait l’affaire, à présent, comme au bout d’une longue avenue s’éclairant au fur et à mesure qu’apparaissaient les concordances….
A suivre...