Les derniers rois d'Ecosse
Wilou Riamh
Ils couraient à en perdre haleine dans les rues désertes d'Edimbourg. Les cendres jonchaient l'asphalte, le ciel était couvert, et on ne pouvait plus vraiment dire si c'était le jour ou la nuit. Mais quelques lumières filtraient au travers des nuages. La course était folle. Les rires se réfractaient sur les angles des bâtiments. A chaque coin de rue, un nouvel écho s'évadait.
Elle allait plus vite que lui. Peut-être était-ce son dynamisme naturel, ou bien était-elle seulement plus légère. Ses cheveux blonds étaient nattés à la va-vite, et son sourire se reflétait dans les vitres. Ces dernières semblaient trembler devant une telle joie de vivre.
Il la rattrapa bientôt sur Royal Mile, après avoir traversé le pont qui passait au-dessus de la gare et des voies ferrées. Il avait des cheveux sombres à peine coiffés. Une incisive était cassée mais n'entachait en rien son visage juvénile si vivant.
Il attrapa sa main. Devant eux, le château, en haut de la rue, sur son pic rocheux planté au milieu de la ville. Ils se regardèrent brièvement, avec un air de défi qui n'en était pas un. Il n'y avait plus de défi, plus de menaces, plus d'illégalité, plus de réprimandes. Il n'y avait qu'Elle et Lui, la poussière, les murs évanescents, les briques fugaces qui apparaissaient comme par magie, dès que soufflait le vent.
Ils s'embrassèrent avec la fougue et la passion de leurs jeunes années exaltées. C'était comme s'ils avaient vu le jour la veille. Ils avaient poussé leurs premiers cris. Le matelas leur avait donné la vie. L'air s'était insufflé dans leurs poumons, en rythme. Quelques saccades, quelques spasmes. Leurs peaux luisantes et leurs intimités s'étaient parlées, caressées, pénétrées. Et à présent, ils étaient comme neufs. Plus tout à fait enfants. Pas tout à fait adultes. Quelque part en chemin.
Et il n'y avait personne d'autre qu'eux pour célébrer ce moment.
Ils avancèrent vers le château main dans la main, reconnaissant les anciennes boutiques, les restaurants, la maison musée sur la droite. La rue montait. Derrière eux, tout en bas, Holyrood. Une autre colline. Le château n'avait pas tellement de secrets pour eux. Mais ils se remirent à courir, le premier arrivé gagne ! Et la grille était fermée. Il lui fit la courte-échelle et elle passa au-dessus. Elle lui tendit la main, et il escalada à son tour. Accroupis de l'autre côté, ils goûtaient l'interdit... sauf qu'il n'y avait personne pour leur dire que c'était fermé. Ils se relevèrent et marchèrent sur les pavés humides.
Ils passèrent la seconde porte, celle qui autrefois désignait l'entrée officielle, celle où l'on présentait son ticket et louait un guide audio. La petite maison était toujours là. Ils montèrent l'escalier juste derrière et observèrent les alentours. La vue était bouchée. On ne voyait plus l'estuaire, on ne voyait plus les collines alentours. Alors ils descendirent et firent le tour, vers la demeure principale. Il se souvenait avoir vu une démonstration de musique de la Renaissance, dans cette salle là. Elle se souvenait avoir pris un thé dans le petit café de la cour.
Ils se regardèrent de nouveau. Il semblait lui dire « j'ai encore envie de t'explorer », comme s'il n'en avait pas eu assez la veille. C'était plutôt que ça avait un goût de revenez-y. Elle lui sourit. Ils entrèrent dans une salle. Il y avait une armure, des armes, quelques tentures. Des écriteaux qui n'expliquaient plus rien. Ils déambulèrent de pièce en pièce, et s'assirent sur un lit en rigolant comme des enfants préparant un mauvais tour. Ils s'allongèrent l'un à côté de l'autre et observèrent le plafond. Il croisa les bras. Il eut une idée. Il se tourna vers elle et caressa sa joue droite.
- On n'a qu'à habiter ici.
C'était mieux que la galerie marchande explosée de Prince Street. Elle lui sourit et acquiesça. Ils s'embrassèrent et se découvrirent lentement, tout en se glissant sous la couverture royale, vestige d'un temps révolu depuis bien des siècles. Il passa au-dessus, souriant de plus belle. Ils pouvaient être les rois du monde, ici, dans leur toute petite ville. Peut-être le seul château d'Ecosse encore debout. Il y avait beaucoup à faire, bien sûr... mais ils n'étaient pas pressés. Alors ils prirent leur temps pour se donner l'un à l'autre, en silence. Fenêtres fermées, rideaux tirés.
Ils restèrent pelotonnés l'un contre l'autre pendant des heures. Ils ne voulaient plus quitter cet endroit. Ils s'appartenaient. Tout leur appartenait. Le temps, le lieu. Ils se décidèrent à sortir quand la faim les tirailla. Ils se rhabillèrent sans un mot, à la confidence de ces anciens rois et reines qui avaient vécu ici. Les murs avaient désormais de nouveaux secrets.
Il entra dans le café. Tout avait été laissé tel quel. Il n'y avait plus d'électricité, mais il y restait quelques denrées non périssables à déguster froid. Ils trouvèrent aussi quelques décorations de Noël qui n'avaient pas été enlevées. Elle tourna une boule violette dans ses mains. Elle ne savait plus. Pourquoi était-ils seuls ? Pourquoi tout n'était que poussière et obscurité ? Pourquoi était-elle heureuse ? Elle observa son jeune compagnon fouiller dans les placards. Il était beau à sa manière. Sa démarche un peu chaloupée, son côté un peu voyou, mais pas trop. Ses yeux expressifs. Il se retourna et l'observa, brandissant une boite de chocolats. Elle se sentit frémir en repensant à leurs corps en mouvements. Mécanique céleste.
Il posa la boite sur une table et ils s'assirent sur les chaises. L'endroit était presque intact. Ils émirent quelques rires et mangèrent les chocolats, en essayant de se retenir de se jeter dessus. Puis un bruit interrompit ce festin. Il y avait, dans l'embrasure de la porte, un homme, plutôt grand. Du moins, ils supposèrent que c'était un homme, car il était dans une combinaison spatiale. Ils se regardèrent intensément, puis le spationaute retira son casque.
- L'air est respirable...
Les deux adolescents restèrent silencieux. L'homme se demanda comment ils avaient pu survivre à la terraformation. Mystère ou Miracle?