Les déviants
Kanon Gemini
C'est l'histoire d'une chronique datant d'il y a deux jours, sur la dissolution de la responsabilité. C'est l'histoire d'un lycéen, Nicolas, 15 ans, qui s'est donné la mort le jour de la rentrée. C'est l'histoire de parents, désemparés, faisant confiance à l'État et à l'Éducation Nationale, qui ont tenté d'alerter le lycée et les autorités compétentes. C'est l'histoire d'un monstre administratif sans tête qui n'a su que renvoyer les parents à de supposées névroses. C'est l'histoire d'une hiérarchie qui redescend tous les échelons pour se défausser de sa responsabilité. Dans un pays normal, il s'agirait d'un cas isolé. Mais au Tragikistan, il est malheureusement monnaie courante.
Car, comme à chaque fois, les langues se délient, bien trop tard, et la presse, servile qu'elle est, ne commence à faire son boulot d'investigation qu'une fois qu'elle est devant le fait accompli. On apprend ainsi qu'Antoine, père d'une jeune fille de 11 ans, a alerté l'établissement de sa fille et le rectorat pour des attouchements qui auraient été effectués dans le cadre du périscolaire par un animateur. Et, vous aurez du mal à y croire (ou pas), il a eu la même réaction de l'établissement et le même courrier du rectorat, à savoir circulez, il n'y a rien à voir et un copier coller de la missive reçue par les parents de Nicolas où le mot harcèlement a été changé par attouchements.
Et c'est sans aucune surprise qu'on apprend que le Ministère des jeunesses macroniennes annonce, suite à l'audit réclamé par Gaby (il est Ministre mais pas responsable), que ces courriers ne seraient pas isolés dans l'académie de Versailles : " Selon les premières remontées de l'audit qu'il a déclenché, d'autres courriers de ce type ont été envoyés à plusieurs familles". Combien, qui, les motifs ? Basta, on repassera. L'omerta perdure et le Ministre continue de protéger ses ouailles. Ainsi, il déclare sans aucune honte que "Nous ne laisserons pas cette pratique ternir le travail de tous les chefs d'établissements, enseignants, personnels éducatifs et administratifs, qui œuvrent au quotidien au service des élèves et en harmonie avec les familles". En effet, les parents de Nicolas peuvent témoigner du travail du personnel éducatif au service des élèves. Ils sont tous coupables. Coupables d'avoir tourné les yeux alors qu'il était harcelé. Coupables de ne pas l'avoir signalé. Coupables de ne pas avoir averti les parents. Coupables de l'avoir laissé mourir à petits feux. Vous vous cachez derrière des textes de Lois qui ne vous protègent que vous, derrière des procédures que vous ne respectez même pas, comme en témoigne le père de la fillette : « Mais selon moi, non, elle n'a pas du tout été respectée, puisque nous n'avons pas été avertis que notre enfant a été interrogé par une personne extérieure à l'école, sous la responsabilité de la directrice. La police n'est pas avertie, le procureur n'est pas averti, la hiérarchie de l'Éducation Nationale n'a pas été avertie, donc selon moi, il y a un problème. »
J'expliquai également que ces affaires se termineraient sans doutes par une Schiappa (je ne savais pas). Des fois, j'aimerais me viander et présenter des excuses dans le billet suivant. Malheureusement, on apprend que Charline Avenel n'est plus rectrice de l'académie de Versailles depuis juillet 2023. Elle a souhaité apporter ses compétences dans le privé ( je l'aurais bien vue chez Orange). Elle se dit effondrée de ce qui est arrivé aux élèves et aux parents mais… ( en général, quand il y a un mais, tout ce qui a été écrit avant ne compte pas) elle n'était pas au courant de ce courrier ni des autres, se défaussant sur les ressources humaines car elle et son adjoint étaient en congés. Tout juste reconnaît elle avoir validé le principe de ces courriers, mais pour des lettres agressives et menaçant le personnel, assure t'elle. Déjà, quand les deux principaux responsables sont en congés en même temps, on peut se dire raisonnablement qu'il y a un soucis de planning.
Mais après, il suffit de quelques clics pour arriver sur le Wikipedia de la dame et voir la liste de ses méfaits. Après avoir vagabondé de ministères en ministères, toujours dans les bons coups, elle profite d'un assouplissement des règles pour devenir rectrice de la plus grosse académie de France, ce qui n'a pas manqué de faire grincer des dents, elle une proche de Micron. Par la suite, elle se distinguera avec l'affaire des voiles de Clamart, où elle écourtera sa visite car trois femmes voilées accompagnaient les élèves. Intolérable. L'athéisme du service public ne s'en relèverait pas. Elle continue son parcours de haut vol avec l'affaire Samuel Patty. Il se sentait menacé et avait envoyé un courrier à la rectrice pour obtenir une protection. Elle, avec toute la compréhension et la compassion qui la caractérise, s'était décidée à lui envoyer l'inspection académique pour lui rappeler « les règles de neutralité et de laïcité ». Chapeau l'artiste. Pour finir par partir pantoufler dans le privé.
Malheureusement, elle ne sera jamais poursuivie pour manquements graves, les responsabilités n'étant qu'une vague notion dans la fonction publique. Elle restera haut fonctionnaire, elle restera à disposition de l'État et, si d'aventure le privé était moins complaisant avec elle, il est écrit qu'elle aurait une place toute chaude qui l'attendrait. Les parents n'ont plus que leurs yeux pour pleurer, personne n'étant responsable de ces courriers envoyés. Le Ministre ne sait pas ce que fait sa rectrice, qui ne sait pas ce que fait son service des relations humaines, qui ne savent pas ce que fait la directrice, qui ne sait pas ce que font les professeurs. Ces cas, tantôt tragiques, tantôt ubuesques selon l'administration, mais toujours inhumains, nous amènent à tous ces drames qui émaillent les journaux, tristes Charon de toutes ces vies fauchées par ces monstres. On ne fait pas de Cerfa sans cassées des vies.