Les diplômés
aile68
Nous étions une bande d'étudiants, nous fêtions les diplômes de Laura et Johannes, couronnes de lauriers sur la tête. ça se passait dans un grand espace vert bordé d'arbres et de roseaux. Andrea jouait de la flûte traversière, perché sur un pin parasol. Nous avions inventé une danse à la chorégraphie un peu folle, nous étions plusieurs à faire les clowns, Charlène et Sandra s'appliquaient, sérieuses comme d'habitude. La famille de la diplômée était venue, mille kilomètres en voiture, c'est quelque chose, mais c'était le résultat d'une année d'étude, ça valait le coup de se déplacer. La zone balnéaire n'était pas loin, nous sommes allés piquer une tête là-bas, c'est là que Johannes a déclaré sa flamme à Laura, toute l'année il l'avait approchée, mais après la fête il devait s'en aller, retourner dans son pays, l'année universitaire a été si courte. Le suivrait-t-elle là-bas, de toute façon elle était appelée à quitter sa famille pour chercher du travail ailleurs, dans une grande ville, à Paris ou à Milan. Ils s'étaient tous deux diplômés en sciences politiques, ils voulaient voir du monde, travailler à l'étranger. Leur diplôme c'était un peu pour leurs parents qu'ils l'avaient eu, elle était prête à vendre des glaces en Sardaigne et lui des chouchous sur les plages de la Côte d'Azur. Non, ce serait trop bête qu'ils vivent chacun de leur côté. Sandra était allée leur parler, séparément ça va de soi, elle voulait qu'ils montent un projet ensemble, ils s'entendaient trop bien, ce serait dommage qu'ils se séparent. Même si Laura aimait Johannes comme un frère, elle devait rester en contact lui, que dis-je, elle et lui devaient rester ensemble.
Il a longtemps gardé l'espoir que les sentiments de la jeune fille changent à son égard, ils se sont vus à Londres, à Berlin, la ville natale du malheureux garçon, ils ont failli vivre ensemble, en amis mais en fin de compte ça ne s'est pas fait, l'ambassade de France à Rome a proposé un poste à Laura.
Berlin-Rome, ce n'est pas si loin, sur le bureau de Laura et Johannes, une photo de l'année où ils se sont diplômés. Ils étaient si beaux, si brillants! C'est moi qui avais pris la photo. J'étais un peu l'aînée de la bande, je redoublais mon année. J'étais une fille ambitieuse, je voulais travailler à New-York, j'avais choisi de faire une thèse en économie. Nous étions tous attirés par le monde entier, l'international ça nous bottait. Nous nous étions connus à l'université de Bologne, en Italie, la plus ancienne d'Europe. J'aimais Johannes, personne ne l'a jamais su. J'ai bossé, ici et là pour l'Europe, pour mes parents, un journal, pour oublier Johannes. Mes photos de l'époque, je les avais mises dans une boîte que j'emportais dans tous mes déménagements, jamais je n'aurais pu vivre sans elle. Et puis un jour, j'ai décidé de vivre pour moi. J'ai laissé ma boîte et beaucoup d'affaires chez mes parents, j'ai vendu des sandwich à Londres, toute mon ambition s'était envolée avec mes amis qui se trouvaient à présent à l'étranger. C'est drôle je ne me sentais pas étrangère à moi-même partout où j'allais en- dehors de mes frontières. J'ai revu Sandra et Charlène, Andrea, Isabelle. Qui s'était marié, qui vivait en concubinage, avec ou sans enfants, toute une époque s'était refermée comme un livre. J'ai su par Charlène que Johannes avait monté une start-up à Berlin. Il fallait que j'y aille, que je lui dise que je l'aimais.
(à suivre...)