Les écrits du fou

A l'heure où le cruel taxidermiste scrute l'horizon, perché sur son balcon, guettant, je présume, une bestiole nocturne, je déambulais dans la forêt.

Muni d'une torche électrique, la cueillette des champignons était une passion de gourmand que rien n'arrêtait et certainement pas la fraîcheur des nuits de mai. Mes recherches avaient bien commencé : en une heure, j'avais pu remplir ma besace à moitié. Puis, s'épaississant, l'obscurité rendit ma tâche plus compliquée. Grâce à ma connaissance du terrain, j'avançais néanmoins d'un pas assuré, sur un chemin sauvage que ma lumière épousait. Celui-ci m'avait conduit au coeur même des bois, là où un menhir taillé était entreposé depuis des milliers d'années. Le vent bruissait autour de moi et, sous la lumière cendrée, les arbres se confondaient avec des silhouettes obscènes et efflanquées, tordues par la concupiscence de leur sève.

Je commençais à douter de mes sens lorsque le souffle délicat se mût en gémissements langoureux : j'aperçus, entre deux corps ligneux, un homme blond qui se caressait, demi-nu. Il me regardait avec insistance et je ne parvenais à quitter ses yeux. Je me sentis envahi par ce regard, prostré par le désir ; mes oreilles ne percevant que jérémiades ininterrompues auxquelles malgré moi je participais. Un corps froid et humide se répandit alors depuis mes pieds jusqu'aux genoux tandis qu'un délicieux parfum excitait mes sens.  Enivré, mon esprit se livrait dénudé : sa prison, toutes de lianes tissée, se resserrait autour des contours nébuleux de son enveloppe. L'inconnu s'approcha alors de moi.  Je m'inclinais machinalement devant lui : le corps et l'esprit assoiffés d'une totale servitude. Renonçant à toute dignité, j'implorais par d'innombrables suppliques qu'il fît de moi son jouet. Ses yeux se plongèrent dans les miens puis sa langue vint ouvrir ma bouche. Toute frémissante, ma chair fut saisie bestialement par des bras robustes et secs. L'étreinte, irrésistible, était tour à tour brûlante et glacée. Dépossédé d'ego, je pris goût aux morsures de mon prédateur, les sollicitant même par des borborygmes incontrôlés. Son souffle parcourait ma peau diaphane de haut en bas. Mes cheveux entre ses mains,  je fléchissais sous l'injonction de ses muscles. Son sexe plongea aux tréfonds de mon abîme en l'irradiant de chaleur solaire. Cela dura une éternité, j'en perdis la conscience du temps et de l'être. Je n'étais plus qu'une onde douloureusement exquise, secouant de soubresauts une intelligence endormie.

Le lendemain, un chasseur me retrouva inconscient, couvert de mousses et de racines, les vêtements déchirés, le corps tatoué de griffures.

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Cette éclipse incandescente n'en finissait plus de prendre des vies : le nuage noir s'étendait de jour en jour.

Après le Japon, la Chine fut touchée : on vit alors des scènes de panique d'une violence inouïe. Se déchaînant les uns après les autres, les éléments ravagèrent les terres où s'empilaient par centaines de millions des monceaux de cadavres calcinés. Harcelées par la peur, les populations survivantes tentèrent de fuir le vent ardent. Après avoir longtemps glorifié son savoir, l'humain acheva le panégyrique de sa propre folie. Seul l'Antarctique était sûr désormais, et c'est en ce lieu que ma vie commença.

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Je ne nous apprécie guère et nous ne saurions l'ignorer ! Il faut dire que ni ma tronche, ni nos insupportables sourires ne jouent en ta faveur. Tu exhales la vanité dans ma fausse candeur. T'accaparant l'exquis pour le muter en dégoût, tu nous inventes tout un monde où tu vis en gourou. Naufragé ambitieux qui suinte le mépris, cultivateur d'ombres arborant le vomi, comme emblème intemporel des castes de nantis, vous démasquer en ces lieux est un jeu bien poli.

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Regrettant le temps d'antan en ce dimanche grimaçant, je me sens comme une endive plantée devant mon écran. Les verres d'absinthe s'accumulent sur le bureau encombré et de curieux calembours s'articulent dans mon crâne détraqué. Pas un ami à contacter, je me pense délaissé. Et dehors ? Un ciel d'airain et un chêne à la ramure éprouvée : le vent s'évertue à en chasser le feuillage. J'ouvre une fenêtre et respire profondément. Le 4ème étage du pavillon laqué m'offre une vue singulière : l'écorce de l'arbre solitaire me rappelle un code binaire échappé d'un film pour ados pré pubères. Je soupire d'ennui ; quel mystère encore derrière ces chimères ? Un autre verre résoudra l'affaire : ma gorge est comme un tonneau des danaïdes et mon esprit un puits assoiffé où les pensées s'évaporent...il me faut bien calmer l'inflammation !

Qu'étais-je sensé faire aujourd'hui ? Ah oui ! Répondre à cette lettre reçue voilà maintenant deux semaines. Jérémiah allait se marier avec sa crasseuse de secrétaire, pour faire plaisir à sa mère je présume, mais cette dernière information ne figure nulle part sur le faire-part !

Après mures réflexions, comprenez huit verres d'alcool exagérément fort, je me décide enfin. J'examine l'enveloppe : un courrier ordinaire. L'invitation sera réputée perdue lorsque l'on constatera mon absence. J'ai la nausée et m'allonger est la meilleure chose à faire.

Et dire que depuis deux ans son portrait n'a de cesse de me regarder dormir !

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"J'ignore comment poursuivre ma route. Le temps se dérobe à mes doigts et c'est mon avenir qui se perd. Je redoute une nouvelle atroce qui viendra saborder une fois encore mon entreprise. Je continue pourtant à vivre mais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Combien de meurtrissures me faudra-t-il éprouver pour cesser de côtoyer la douleur ? Malheureusement, bien souvent les évènements s'engendrent conformément à mes craintes.

Aujourd'hui s'ouvrent les portes de l'automne, les arbres perdent déjà leur feuillage et les fleurs se flétrissent depuis plusieurs lunes. Collectionnant des piles de kimonos rares depuis ces 15 dernières années, les étés se succèdent au rythme du shamisen sur mon visage sans émoi. Je ne saurais voir mon apparence devenir comme celle de tant de créatures adipeuses et joufflues que l'amertume a défigurées. Je préférerais me nouer le cou sur une chaise que de subir ces outrages.

J'attends, encore, encore et encore. Les défaites s'accompagnent souvent de fumée, de larmes et de honte."