Les élections dangereuses 1/12

L'effet papillon

Paris, 26 avril 2027

En cette journée pluvieuse d'avril, Adam tentait de se lever. La difficulté était grande, mais pas insurmontable. Avait-il trop bu la veille me direz-vous ? Non ! C'était une habitude chez le jeune homme. Le ciel grisâtre l'aidait encore moins. Il jetait un coup d'œil régulier à son réveil en se disant qu'il se lèverait dans cinq minutes. Mais ce manège se reproduisait plusieurs fois, jusqu'à l'échéance fatale. Et comme souvent le petit déjeuner n'avait pas été pris dans ce genre de situation. Pourtant bon nombre de nutritionnistes passaient beaucoup de temps dans les médias, à donner différentes recommandations pour une alimentation saine, aux concitoyens tels qu'Adam. Mais ce dernier les ignorait. Peut-être en signe de protestation à cette nouvelle forme de dictature. Ce n'était pas aux pouvoirs publics de se soucier de sa santé. À moins que cet argument ne serve de prétexte à cacher son absence d'organisation et son manque de temps. Malgré cela, Adam s'avérait être un ingénieur extrêmement brillant dans un secteur d'activité de pointe. Cette qualité était suffisante pour que ses retards fréquents ne gênent en rien son employeur.

Le jeune homme sortit de chez lui et se dirigea vers la bouche de métro la plus proche. Il descendit les marches le conduisant vers le quai à toute enjambée. Il traversait les couloirs à toute allure sans se soucier de la présence des autres. Certaines bousculades et chocs avec les autres usagers devenaient inévitables.

— Faites attention, apostropha une jeune femme.

— J'y penserais la prochaine fois, répondit Adam.

— 'spèce d'idiot, termina-t-elle.

Adam n'avait pas fait attention à cette dernière remarque. Il était bien trop absorbé par son objectif : attraper son train à l'heure.

Il arrivait sur le quai juste à temps. Le train était arrivé et les gens finissaient de s'empiler comme des sardines dans chacune des rames. Il tenta sa chance dans l'une d'entre elles qui était déjà bien remplie. Il se fit une petite place en bousculant quelques personnes. Quelques râles se faisaient entendre. Adam se positionna de manière à ne pas bloquer la fermeture des portes. Il réussit tant bien que mal à se placer dos aux portes. Tout se passait bien et le témoin sonore de fermeture des portes n'allait pas tarder à retentir.

Adam se mit soudainement à pencher en arrière et à perdre l'équilibre. Quelque chose lui avait attrapé son col de chemise. Il essaya de s'agripper à tout ce qui pouvait. Mais aucune réaction autour de lui. Aucune personne pour l'aider. Adam réussit à éviter la chute tant bien que mal. Mais à présent, il se retrouvait à deux mètres des portes de la rame. À sa droite, une femme de petite taille était en train de prendre sa place sans sourciller. Elle était très âgée et s'aidait d'une canne pour ses déplacements. Cet objet était sûrement l'arme qui lui avait servi à l'éjecter de la rame. Les autres usagers en avaient fait la même conclusion. Certains d'entre eux se sentaient même menacés.

Un bruit se fit entendre et les portes de la rame se refermèrent.

Les gens restés sur le quai regardèrent Adam avec une pointe de moquerie.

— Je compatis cher Monsieur, dit un passant plus indulgent.

— Merci !

— Cette femme n'a aucune excuse. Elle aurait pu attendre le prochain train. Je parie qu'elle est autant à la retraite que moi, continua l'homme.

Adam fit un bref signe amical à l'homme avant de s'éloigner.

Il était très énervé. Il s'empressa de regarder l'heure du prochain train, sur le panneau de signalisation des horaires.

— Merde !!! J'en ai pour vingt minutes. Je n'arriverais jamais à temps à la réunion, songea-t-il.

Adam décida de s'asseoir et de prendre son mal en patience. Il se plaça entre un homme âgé en costume cravate et une jeune femme avec un bébé. L'homme à sa droite était en train de lire son journal numérique. C'était un des derniers modèles à écran flexible. La publicité en faisait l'éloge. Le contraire aurait été étonnant car aucune agence de publicité ne se risquerait à décrédibiliser le produit d'un client l'ayant gracieusement payé. Cependant, le jeune homme devait se rendre à l'évidence, le produit semblait être de très bonne qualité et d'une flexibilité à toute épreuve, au regard de l'usage du détenteur du produit. Les anciens modèles beaucoup plus fragiles n'auraient pas survécu. Adam l'aurait bien testé, mais cela s'avérait très peu convenant de nos jours, de manipuler les produits ne nous appartenant pas. Mais cet objet lui servit de prétexte à lancer la conversation avec son voisin :

— Joli petit bijou technologique, dit Adam à destination du propriétaire du journal.

— Merci, jeune homme. C'est le cadeau d'amis pour mon soixantième anniversaire.

— Vous avez des amis admirables. Si je peux me permettre une remarque, je trouve que vous ne faites pas votre âge.

— Vous êtes bien urbain, répondit l'homme, Cela devient une denrée rare.

— Je ne vous le fais pas dire.

Adam se remémorait le comportement de la vieille dame, en disant ces mots. Mais sa mémoire s'était montré bien sélective, car le souvenir de son mauvais comportement de début de matinée s'était évaporé.

Adam jeta un bref coup d'œil sur la Une du journal :

1ᵉʳ tour des Présidentielles : un dictateur à l'Élysée ?

— À la vache ! s'écria Adam.

— Qu'est-ce qui vous arrive, jeune homme ? demanda son interlocuteur.

— Je viens d'apercevoir le titre en première page, je n'étais pas au courant.

— Comment ça ? Les Présidentielles ? Vous débarquez ou quoi ? On en parle dans tous les médias.

Adam se sentait vexé.

— Eh ! Ça va ! J'ai un boulot très prenant, répondit-il sèchement.

— Hou-là ! Pas commode.

— Veuillez m'excuser. Je suis un peu sur les nerfs.

— À cause de votre travail, je parie.

Le jeune homme fit une moue qui conforta l'intuition de son interlocuteur :

— Je vous pardonne, fit le vieil homme. Vous avez une bien meilleure attitude que d'autres personnes que j'ai été amené de croiser.

— Merci. Je suis un peu trop déconnecté de la vraie vie, ces temps-ci.

— Ce n'est pas toujours un désavantage. Il s'avère parfois bien mieux d'en savoir peu.

— Mais comment en arrive-t-on à de telles extrémités dans des démocraties ? demanda le jeune homme.

— Les livres d'Histoire vous apprendrait bien des choses, mais j'ai cru comprendre que ce n'était plus une priorité dans notre système éducatif. (Il souffla avant de reprendre) C'est bien dommage. Cela nous éviterait parfois de refaire les mêmes erreurs.

— Ne serait-ce pas un moyen de nous empêcher de comprendre ce que font nos propres dirigeants ? glissa Adam avec malice.

— Point de vue intéressant ! répondit le vieil homme.

Ce dernier pointa du doigt la Une le journal.

— Regardez-les ces deux candidats à la Présidentielle ! Ils n'arrêtent pas de brasser nos peurs avec les différents troubles à l'ordre public dans les pays voisins comme la Grèce.

— Vous croyez ? s'étonna Adam.

Le vieil homme poursuivit :

— Agitez le chiffon rouge du désordre pour nous effrayer et nous empêcher de raisonner sereinement. C'est une rhétorique nauséabonde qui ne sert que les intérêts des partisans d'une politique sécuritaire.

— Vous y allez un peu fort, non ?

— Je préférerais me tromper. Mais ce que j'entends en ce moment me rappelle ce que j'ai pu lire sur les heures sombres du siècle dernier.

Le vieil homme fit une pause, avant de poursuivre :

— En voilà un autre exemple. Ces satanées puces RFID dont on n'arrête pas d'en faire la pub. On en met partout. Je suis certain qu'il y en a même une dans ce journal électronique.

— Je ne vois pas le problème, dit le jeune homme intrigué.

— Eh ben ! C'est un nouveau moyen de contrôle. Orwell l'avait prédit ! fit l'homme au journal en levant les yeux au ciel.

— Qu'est-ce que vous racontez ? C'est juste un système d'identification qui a déjà fait ses preuves dans d'autres pays. Et cela a l'avantage de ne plus encombrer nos poches de papiers, de cartes bancaires ou bien de trousseaux de clefs. Elle peut même vous servir de stockage numérique personnel, comme pour écouter la musique.

— Cela vous rendrait plus libre ?

— Je n'y avais pas vraiment pensé. J'y perçois juste un côté pratique. C'est peut-être mon côté pragmatique.

— Votre complaisance envers nos dirigeants me fait de la peine. À votre âge, je n'aurais laissé aucune entrave à cette liberté, très chèrement gagnée par les générations précédentes.

— Vous n'exagérez pas un peu là ? Je ne vois pas où il y aurait un danger. Vous ne me la joueriez pas un peu parano ?

L'homme allait émettre une objection, quand Adam rajouta de manière brutale :

— On n'est plus à l'époque des Hippies ! Il faudrait vivre avec son temps, cher Monsieur.

— Cet argument est tellement facile. En fin de compte, vous êtes aussi conformiste et aveugle que tous les autres.

L'homme leva le regard vers un groupe de personnes sur le quai et soupira.

— Vous préférez la recherche de la facilité. Ne changez rien, cette société est faite pour vous…

— Mais vous êtes complètement givré, intervint Adam.

— … Bientôt, on guidera vos pensées à votre place. Quel avenir radieux, ironisa l'homme.

— Pour votre gouverne, je travaille dans la conception de ces puces. J'en ai même une dans le bras, fit remarquer le jeune homme agacé. Par conséquent, je suis le mieux placé pour en parler. Alors arrêtez de raconter tout et n'importe quoi sur un sujet que vous ne connaissez pas.

Ce dernier ne l'écoutait déjà plus. Il avait quitté son siège pour aller s'asseoir un peu plus loin. Il n'avait pas tardé à reprendre la lecture de son journal numérique.

Adam comprit vite que la conversation était terminée. Ce qui l'arrangerait, au vu de la tournure qu'elle prenait.

— Quel vieux cinglé, songea-t-il.

Crédit Photo : Cedrennes / CC BY-SA 2.0