Les élections dangereuses 10/12

Olivier Bay

Nouvelle d'anticipation en 12 parties

Paris, soir du 9 mai 2027


A l'issue du second tour, le taux d'abstention n'avait presque pas bougé, malgré les efforts de bon nombre d'élus. Leur alarmisme sur l'avenir de la démocratie ne faisaient plus mouche. Les électeurs en étaient anesthésiés à force de les entendre. Ils attendaient des politiciens, des solutions à leurs problèmes et non la stigmatisation systématique des propos de leurs adversaires, un programme de télévision médiocre que les téléspectateurs ne suivaient plus, leur préférant d'autres feuilletons mieux scénarisés. Malgré le désintérêt de la population, la scène politique accouchait d'un vainqueur s'imposant d'une courte tête. Le candidat du FFF, Édouard de Franc, était touché par la défaite en dépit de nombreux sondages favorables. Il avait fini par succomber aux sirènes de l'optimisme, au point d'en avoir préparé son discours d'investiture à l'avance. Au lieu de fêter sa victoire au milieu de ses troupes, il s'était cloîtré dans sa permanence de campagne avec comme seul conseiller, sa plume.

Le ministre de l'Intérieur avait été le premier à faire un discours devant ses sympathisants. Il était calme et humble en comparaison à son attitude durant la campagne. Il mettait un point d'honneur à féliciter son adversaire pour son parcours. En tant que politicien d'expérience, il savait que la gouvernance serait difficile sans le soutien du Parti du candidat adverse. C'était l'une des raisons qu'il l'obligeait à ménager ses adversaires et futurs alliés.


Paris, 12 mai 2027


La vidéo d'un auteur anonyme mit le feu aux poudres sur les réseaux sociaux. Elle montrait le ministre de l'Intérieur dans une manœuvre de tricherie avec un grand industriel. L'ex-candidat et futur président de la République ne mit pas longtemps à réagir en se défendant de manipulation d'images. Un coup monté venant de l'étranger selon ses dires. Malgré les remous sur la Toile, la crédibilité de l'homme fraîchement élu et de l'industriel ne furent guère entachées. Les conseillers en communication, grassement rémunérés, avaient réussi à gérer la crise.

À l'approche de l'investiture du nouveau président de la République, des fichiers contenant les différentes modifications du code source du logiciel de vote électronique avait été transmis à des médias et la justice. Celle-ci n'avait pas mis longtemps à saisir le matériel informatique, Liverpool inclus, grâce à un accord européen de coopération judiciaire. Le président en exercice, Jérôme Monnier, avait fait preuve de beaucoup d'enthousiasme pour mettre la lumière sur cette affaire, en utilisant son influence. Les médias y virent une occasion de profiter de la situation. Suite à ces révélations, James Drake fut arrêté in-extremis à l'aéroport. Ian Poussard eût plus de chance. Il échappa aux mailles du filet. Un mandat d'arrêt international fut immédiatement délivré par le juge en charge de l'affaire.


Paris, mai/juin 2027


La France subissait par le biais de ses institutions, un tremblement de terre sans précédent. Aucun des précédents scandales de politiciens n'avaient plongé le pays dans une telle tourmente. Et pourtant, l'imagination des représentants politiques était sans limite dans la préservation du pouvoir et de leurs privilèges. Tout risquait de s'effondrer et une guerre civile pouvait en découler. Plusieurs altercations entre groupuscules extrémistes avaient déjà fait la Une des médias. Mais le pire était à venir. La société civile était tendue. Il suffisait de peu chose pour basculer dans le chaos. Le président Monnier était en premier ligne pour éteindre ce brasier latent.

Contre toute attente, la communauté qui avait été spolié de son droit de vote, s'étaient rassemblés par le biais des réseaux sociaux pour exprimer leur indignation et leur colère. Internet servit de catalyseur à toute l'exaspération et même la haine envers une classe politique hors de son époque et en décalage complet avec ses électeurs. De ces partis qui élisent des hommes loin d'être représentatifs de l'ensemble de la population, tout juste représentatifs de quelques-uns. Ce mouvement numérique aurait pu dégénérer et servir d'étincelle au désordre, sans l'intervention de bon nombre de modérateurs de toutes les couches de la société. Julie Marin faisait partie de ces personnes, qui essayaient tant bien que mal à cadrer le débat. Après plusieurs jours de forte tension et d'incertitude, les forces vives du réseau numérique avait enfin réussi à aboutir à une solution commune : une primaire numérique. Le président français en accepta les termes contre l'avis de l'ensemble de ses conseillers. Il programma une nouvelle élection le mois suivant. Édouard de Franc cria au scandale. Mais le Chef de l'État n'avait pas le choix. Le finaliste des élections présidentielles ne pouvait pas gouverner dans ce désordre. Le futur président devait être légitime pour apaiser de les tensions. Seule, une nouvelle élection pouvait le permettre. Les candidats issus des réseaux sociaux passèrent par le financement participatif pour faire campagne. La levée de fond fut impressionnante. Une personne émergea de cette primaire numérique. Une mère de famille d'une quarantaine d'années, tenant un discours moderne et apaisé. Elle se présenta sous la bannière d'une nouvelle forme de Parti, légalisé in-extremis par le gouvernement Monnier. Elle obtint les parrainages facilement, malgré certaines réticences et put se présenter aux élections présidentielles.

Cette fois-ci, les bureaux de votes furent pris d'assauts et Édouard de Franc à nouveau battu. Il remit en cause cette élection, sans attendre. Comment les Institutions avaient-elles pu autoriser cette candidate venue de nulle part. De ses mots, cette personne était le pion d'un complot d'une force étrangère.

La candidate du Parti Numérique fut la future Présidente de la République. Les législatives qui en découlèrent, firent table rase de l'ancienne Assemblée Nationale, malgré la dissidence des anciens Partis historiques. La France prenait un nouveau départ.

Jérôme Monnier, l'ancien président de la République, fut soulagé de voir la démocratie survivre. Cela ne l'empêchait pas d'avoir des craintes sur cette nouvelle forme de République. De grandes réformes constitutionnelles étaient à prévoir, mais cela valait mieux que du sang et des larmes.


Crédit Photo : Cedrennes / CC BY-SA 2.0

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