Les élections dangereuses 12/12

Olivier Bay

Nouvelle d'anticipation en 12 parties

Retour de bâton

Paris, 26 avril 2027


Le président Poussard fut éjecté dans le passé, accompagné du chef des rebelles. Leur atterrissage s'était effectué dans un vieux hangar abandonné. Une impression de « déjà-vu » pour le voyageur le plus âgé. La traversée avait été épuisante pour les deux hommes. C'était un des effets secondaires d'un tel voyage. Le vieil homme était le plus affecté et éprouvait beaucoup de difficultés pour récupérer. Wilfried ne mit pas longtemps à comprendre que l'attitude de son prisonnier n'était pas feinte. Il en venait à regretter de l'avoir emmené avec lui. Sa méfiance envers le président était telle qu'il avait besoin d'une garantie lors du passage entre les deux réalités.

— Vous allez bien ? demanda-t-il.

Le président avait la main à la poitrine et grimaçait. Il essayait de retrouver son souffle. Il fit signe à son geôlier de fouiller ses poches, avec insistance.

— Vos pilules ! C'est ça ?

La mine agacée du vieil homme confirma son intuition. Il trouva rapidement une petite boîte ronde. Ian Poussard leva péniblement deux doigts. Wilfried mit deux pilules dans la main du mourant, avant de refermer la petite boîte. Le président les avala tant bien que mal. Il aurait bien bu un peu d'eau, mais il ne fallait pas trop se montrer exigeant dans de telles situations. L'attitude compatissante du son geôlier le surprenait. Il ne s'attendait à ce genre d'attitude sans être sous le coup de la menace. Sa République lui avait fait perdre certaines réalités de l'Humanité.

— Vous pouvez vous lever ?

— Laissez-moi là. Je suis épuisé.

— Vous savez très bien que je ne peux pas prendre de risque. Je vous laisserai tranquille quand j'aurai rencontré ma mère. Je vous le promets.

— Puis-je vous croire ?

— Ma promesse vaut bien mieux que toutes les vôtres. Nous n'avons pas la même éducation cher Monsieur. Dans la pauvreté et la clandestinité, nous pouvons avoir des principes et un sens de l'honneur.

— J'ai perdu l'habitude de ce genre de comportement. Ce n'est pas de la part de mes innombrables employés et ministres que je pouvais attendre ça.

— Peut-être parce que vous les tyranniser et les brimer. Ils savent ce que vous réserver à tous ceux qui ne sont pas d'accord avec vous. La grande majorité préfère garder ses privilèges, car le prix de la contestation est trop élevé.

— C'est comme cela que l'on maintient une République forte.

— Au détriment de la majorité de la population. Mais restons-en là ! Nous ne serons jamais d'accord. Reprenez votre souffle. On part !

Wilfried rendit la boite de pilule à son propriétaire. Ce dernier vérifia le contenu. Deux pilules, cela allait rendre le séjour ici difficile. Peut-être trouvera-t-il un médicament de substitution, si le jeune homme le lui permettait.



Wilfried était un peu agacé par son prisonnier. Ce dernier s'arrêtait devant toutes les pharmacies qu'ils longeaient. Il n'avait eu de cesse de le ralentir. Le jeune homme avait dû céder à ses caprices à contrecœur, même si cet arrêt avait été inutile. La monnaie numérique du futur n'ayant pas cours en ce lieu. Wilfried ne pouvait se permettre de perdre plus du temps pour retrouver sa mère. Il connaissait l'issue fatale. Il pouvait peut-être empêcher cela, ou du moins faire sa connaissance.



Les voyageurs du futur arrivèrent sur le quai du métro. Wilfried connaissait que trop bien le lieu. Il s'était recueilli tant de fois depuis son adolescence. Le lieu n'inspirait pas le moins du monde le président. Il se préoccupait en priorité pour sa santé. Il avait de plus en plus de mal à suivre. Cela décida Wilfried de s'arrêter et aider le vieil homme à s'asseoir sur un des sièges en plastique fixé le long du mur. Une publicité surplombait le président. Elle vantait bien des mérites, dérisoires pour les hommes du futur.

Après cette halte, Wilfried scruta l'horizon à la recherche de jeunes femmes pouvant être sa mère. Au bout de quelques minutes, il repéra une silhouette assise à une quinzaine de mètres. Il la reconnut de suite. Ce visage lui était familier. Il avait certains de ses traits. Un regard triste, une fossette reconnaissable. C'était lui au féminin. Il s'approcha immédiatement.

— Bonjour Madame ! fit-il timidement.

La jeune femme fit mine de ne pas avoir entendu.

Il insista :

— Qu'est-ce que vous voulez ? Vous ne pouvez pas me laisser tranquille deux minutes.

Wilfried s'attendait à tout type de situation, mais pas celle-ci. Cela le perturba au point de lâcher une larme.

— Il ne faut pas le prendre comme cela, intervint-elle en essayant d'atténuer son agressivité.

Elle lui tendit un mouchoir en papier d'une main, pendant qu'elle serrait son bébé contre elle par sécurité.

Wilfried allait le prendre, quand une personne s'approcha dans son dos. Il l'avait repéré sans se tourner. Il avait acquis cette compétence dans le monde d'où il venait. Ses nombreux dangers l'avaient conduit à une extrême prudence dans l'environnement urbain. Du coin de l'œil, il vit que cet homme s'approchait du voisin de sa mère. Les deux hommes se mirent à discuter. Il décida de ne pas y prêter attention, quand il aperçut soudain que cet homme possédait une arme. Avait-il était repéré ? Le vieil homme l'avait-il dénoncé ? Il décida d'agir comme il l'avait toujours fait : anticiper. Il se retourna brutalement et décocha son meilleur coup de poing. L'homme en costume s'étala de tout son long et se cogna la tête au sol. Il était désarçonné. L'autre jeune homme assis, mort de peur, ne mit pas longtemps à fuir le lieu.

Wilfried ne se souciait pas de ce dernier. Il était à nouveau en alerte. Deux autres hommes forçaient le pas dans sa direction. Cela ne laissait présager rien de bon.

Il se tourna vers sa mère :

— Vous êtes en danger ! Vous devez me faire confiance.

Il lui tendit une main :

— Venez avec moi si vous voulez vivre.

Elle résista en maintenant son regard. Elle n'avait pas peur de cet homme. Et elle n'eût plus peur quand elle y discerna un air de famille. L'instinct parla. Elle saisit la main tendue et quittèrent le quai en forçant le pas.



De son siège, Ian Poussard assistait à la scène des retrouvailles de manière désintéressée. Il préférait se concentrer sur sa respiration, de plus en plus difficile.

Quelle ne fût sa surprise quand il aperçut Julien Leroy, son agent de sécurité, qui s'approchait de son geôlier. Il le reconnut facilement, malgré sa jeunesse et un peu plus de cheveux. Il espérait profiter de sa présence, pour obtenir un peu d'aide de sa part. Il se leva brutalement pour l'interpeller, mais sa voix se tût. Aucun son ne sortit de sa bouche. Il avait une nouvelle crise cardiaque. Il s'étala de tout son long sur le quai.

La plupart des usagers n'avaient même pas fait attention à l'homme âgé allongé par terre, trop occupés avec leurs smartphones ou autres objets de distraction numérique. D'autres le contournaient ou même le chevauchaient. Un homme le remarqua au bout d'une dizaine de minutes. Il se rapprocha de lui un point intrigué. En voyant l'homme en pleine détresse, il cria autour de lui :

— J'ai besoin d'un médecin ! Vite !

Il s'agenouilla près du vieil homme et effectua les soins d'urgences. Mais sa faible pratique l'empêchait d'être efficace. Au bout de quelques minutes, une femme le rejoint.

— Je suis infirmière. Laissez-moi faire !

— Merci. Je suis un peu démuni face à ce genre de situations.

Pendant ce temps, le quai était le lieu d'une altercation entre deux hommes. L'un prenant un coup de poing d'une telle violence qui s'était étalé de tout son long par terre.

L'infirmier de circonstance fut interrompu par la scène :

— Veuillez m'excuser. Je dois vous abandonner.

Il se leva brusquement.

Un jeune étudiant pressé et bien trop concentré par sa lecture, ne vit pas l'homme lui bloquer le passage. Le choc fut violent et les deux protagonistes finirent à terre. Suite à cela, la liseuse numérique quittait l'influence de son propriétaire. Libérée de ses chaînes, elle prit une ascension parabolique. Mais sa brève émancipation ne dura guère et la triste réalité de l'attraction terrestre fut la cause d'une chute d'anthologie et d'une mort atroce en guise de conclusion.

— Vous l'avez cassé ! vociféra le détenteur de l'objet.

Le jeune se releva et s'en prit à son agresseur :

— Tu vas me le payer connard !

— Lâche-moi ! Je suis de Police !

L'agent sortit sa carte dans la précipitation :

— Inspecteur Martini ! Tu vas te calmer, maintenant ?

Son interlocuteur bredouilla :

— Mais qui va me le rembourser ? Je ne suis plus sous garantie.

— Je m'en fous ! Fais-moi un procès, répondit le policier avec désintérêt.

L'étudiant se mit à pleurnicher.

L'agent des forces de l'ordre se releva, mais cet événement l'avait retardé. Il ne voyait plus les deux responsables de la bagarre au milieu de la foule devenue folle suite à l'arrivée d'un nouveau train. Il arriva à s'approcher des lieux de l'agression, tant bien que mal, en jouant de son autorité et de ses coudes. Il arrivait malheureusement trop tard.

Il se tourna vers les personnes restées assises le long du quai :

— Vous avez vu où ils sont partis ?

— Hein ? répondit l'un d'eux surpris.

— Laissez tomber, répondit-il d'un air dépité.

Un vieil homme l'appela :

— Vous parlez de l'agression ?

— C'est exact !

L'homme âgé indiqua une direction du doigt.

— J'ai vu plusieurs personnes fuir par cette sortie.

— Merci pour votre aide !

— A votre service ! Faites bien attention à vous !

Le policier lui fit un bref signe de tête en guise de gratitude avant de poursuivre sa traque. Le vieil homme repris la lecture de son journal numérique.



Pendant ce temps-là, l'infirmière mettait son temps à profit pour tenter tout ce qu'il pouvait pour réanimer le vieil homme. Épuisée, elle dut se résoudre à arrêter ses massages cardiaques. Il était déjà trop tard. Son patient avait succombé des suites de son infarctus.



La journée avait été difficile pour le ministre de l'Intérieur. Les forces de Police avaient été longuement sollicités suite à des perturbations dans une station de métro, dont le nom lui avait échappé. Cette journée s'achevait enfin quand un de ses contacts à la Police, lui demanda de le retrouver. À la vue de son intonation, il décerna une certaine inquiétude. Il se mit immédiatement en route avec son garde du corps.

Une fois sur les lieux du rendez-vous, endroit lugubre par nature, il était mal à l'aise.

Il rejoint son contact :

— Alors ! Qu'est-ce qu'il y avait de si important pour me dérangeait à une heure pareille ?

— Vous comprendrez vite ! Suivez-moi.

Ils se retrouvèrent à longer un couloir. Pendant le trajet, il sentait la fraîcheur lui pesait. Il grelottait.

Le policier s'arrêta net devant une porte :

— C'est ici ! Après vous !

Le garde du corps allait effectuer les précautions d'usage, quand le policier le retint.

— Pas vous ! Restez dehors !

Le garde du corps allait protester quand son client lui fit signe d'obtempérer.

Les deux hommes rentrèrent dans la pièce.

— Pourquoi m'amener ici ? Dans une morgue !

— Vous allez peut-être m'aider à comprendre, fit son interlocuteur, pendant qu'il se dirigeait vers un des meubles inox où étaient entreposés les corps. Il ouvrit celui ayant le numéro trois indiqué.

— Approchez-vous !

— Sans-façon, non ! Je ne suis pas très fan de ce genre de chose morbide. Et puis j'ai le cœur fragile.

— C'est important ! insista-t-il.

Le représentant de l'État s'approcha d'un pas hésitant. Il se pencha sur le corps.

Sa mine se figea aussitôt quand il reconnut l'homme mort. Il était pourtant très vieux, mais les traits ne trompaient pas.

— Merde ! C'est quoi ce bordel ! marmonna-t-il d'une voix tremblante.

— Vous le connaissez ? demanda le flic. On dirait votre grand-père ?

Ian Poussard mit du temps à répondre :

— Vous m'avez fait perdre mon temps. Je dois partir.

— Je comprends. Vous êtes très occupé par les élections.

— C'est ça ! lança-t-il d'un ton sec.

Le ministre quitta les lieux après un bref serrage de main et traversa le couloir de la morgue à toute vitesse. Une fois sorti, le politicien eût une douleur à la poitrine qui l'immobilisa. Le garde du corps intervint pour l'empêcher de tomber. Il le conduit à la voiture, le chauffeur avait déjà anticipé en ouvrant la porte arrière.

— La poche droite, balbutia le ministre.

Le garde du corps retira une petite boite ronde de la veste du vieil homme. Il l'ouvrit pour en expulser quelques pilules. Le malade les saisit et les avala sans forme de procès.

Les deux employés du ministre installèrent le politicien confortablement dans la voiture et attendirent que le médicament fasse effet.

Quelques minutes plus tard :

— Bon allez les gars ! Qu'est-ce que vous attendez ?

Ces quelques mots firent sursauter les deux hommes. La garde du corps avait eu le réflexe de mettre sa main sur la gâchette de son arme.

— Vous allez mieux, Monsieur ? fit le chauffeur.

— En pleine forme ! J'ai de grands défis à relever.

— Nous retournons dans votre appartement du cinquième ?

— Non ! Changement de programme. J'irai bien faire un tour dans les Alpes !



FIN


Crédit Photo : Cedrennes / CC BY-SA 2.0

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