Les élections dangereuses 9/12

Olivier Bay

Nouvelle d'anticipation en 12 parties

Adam travaillait toujours très tard, car il croulait sous les responsabilités. Il avait en charge toute la R&D au sein de la Shield Foundation. Il s'occupait du programme phare des puces RFID. Pour respecter les délais de sa hiérarchie, le président Drake lui-même, il était dans l'obligation de travailler tard la nuit. Il le faisait habituellement à distance depuis chez lui, mais ces derniers jours, il subissait les travaux de modernisation du réseau de télécommunication de son quartier. Ses voisins et lui-même subissaient de nombreuses perturbations. Cela devenait très préjudiciable dans son métier d'être isolé numériquement et aboutissait à un départ plus tardif de son lieu de travail.

Il était autour des vingt-deux heures, quand il entendit des pas dans le couloir. Il crut d'abord que le veilleur de nuit faisait une ronde, mais s'ensuivirent des chuchotements. Le jeune homme se mit à paniquer pensant à des voleurs. Il n'osa pas mettre le nez hors de son bureau pour vérifier. Une porte claqua puis le silence. L'absence de bruit ne le rassurait plus. Cela devenait angoissant à la vue de la nouvelle situation. Il se décida au bout de longues minutes à se lever de son siège. Il approcha d'un pas hésitant sur le seuil de son lieu de travail. Il pencha légèrement la tête et jeta un coup d'œil en faisant bien attention de ne pas se faire remarquer.

Adam vit deux personnes dans le bureau du président, au fond du couloir. L'un d'entre eux était habillé d'un imperméable, d'un chapeau et d'une paire de lunettes. On voyait là que l'homme cherchait à se dissimuler, mais son accoutrement sortait tout droit d'une époque lointaine et révolu. Des souvenirs de films anciens lui revinrent en tête. Était-ce un espion ? Était-il là pour voler des secrets industriels ? Son propre travail de surcroît.

Malgré la peur, le jeune homme voulait en avoir le cœur net. Il prit un de ses clubs de golf, encore neuf. Sa position dans la hiérarchie nécessitait d'avoir certaines compétences en golf. C'était pour une de ses raisons qu'il acheta la panoplie du parfait golfeur et s'inscrivit à une association lui permettant de débuter par le practice. Mais jusqu'à présent, il n'avait pas eu le temps de s'entraîner.

Adam allait commencer à longer le couloir à quatre pattes, quand il se rendit compte que la situation était grotesque. Il était un ingénieur informatique de renommée mondiale. Une personne dans sa position ne résout pas ses problèmes de la sorte. Il existe d'autres alternatives. L'une d'entre elles était de s'infiltrer dans le réseau de caméras de l'entreprise.

Le jeune homme s'attela à la tâche. Il ne mit pas longtemps à entrer dans le système de surveillance ridiculement protégé pour son niveau de compétences hors du commun.

— Pfft ! Trop facile ! On sous-traite vraiment la sécurité de notre bâtiment à n'importe qui.

Cette remarque était d'autant plus étonnante pour une personne travaillant dans une société où la sécurité dans ses produits était un argument de vente.

L'une des caméras permit à Adam d'identifier son patron à travers la vitre de son bureau, mais la deuxième personne était de dos. Cette dernière avait enlevé son accoutrement, mais on ne pouvait voir le haut du crâne partiellement dégarni, lot commun de beaucoup de personnes.

— Je me demande ce que fait le président avec cet inconnu à l'abri des regards.

La curiosité du jeune homme était attisée, malgré les risques de se faire prendre. Il cherchait à trouver l'identité de l'inconnu. Mais comment s'y prendre ? Il avait testé tous les angles des caméras et rien n'y faisait. Elles étaient à l'extérieur de la pièce.

— Bon sang !

Il y avait bien une caméra dans le bureau du patron. Celle présente dans le dernier achat compulsif de ce dernier. La webcam de la télévision qui sert à ses conférences. Cette dernière est d'une taille démesuré à l'opposé de son président. Un vide à combler sûrement. Adam avait pourtant fait partie des partisans contre l'achat de ce genre de matériel connecté sans validation par les ingénieurs en sécurité informatique. Mais qui pouvait bien se permettre d'aller contre la volonté du président, d'autant plus si cela relève du caprice. Mais il était de notoriété publique que les constructeurs en multimédia grand public n'étaient pas très regardants en ce qui concerne la sécurité informatique de leurs appareils. Pour preuves, les différents vandalismes numériques dont ils sont régulièrement la cible.

Adam allait donc profitait de la faiblesse humaine de son patron, l'une des armes les plus efficaces en piratage informatique, pour arriver à ses fins. Il accéda ainsi rapidement à la caméra du bureau de son patron.

Le jeune homme prit le contrôle, en prenant bien soin de désactiver les différents voyants lumineux qui pourraient le trahir.

Une fois la caméra activée, le jeune homme fut stupéfait. Il ne mit pas longtemps à reconnaître l'homme. C'était une personne publique bien connue. Mais sa présence dans les locaux était un mystère. Il s'équipa de son casque audio sans fil et activa le capteur micro de la télévision. Il en détournait son usage principal : la commande vocale, remplaçant depuis des années la télécommande infrarouge, devenu obsolète et encombrante.



James Drake avait refermé la porte de son bureau, pendant que son invité enlevait ses lunettes de soleil qu'il rangea dans une des poches de son imperméable avant de le suspendre au porte-manteau. Son chapeau suivit le même chemin peu de temps après.

— Je vous prie de vous installer, Monsieur.

— Le bureau est sûr ?

— Bien entendu ! Nous travaillons dans la sécurité !

— Me sortez pas votre argument publicitaire, fit ce dernier agacé.

James Drake fut vexé mais ne se laissa pas démonter par la remarque blessante :

— Vous savez très bien que nos petits secrets ont toujours étaient bien gardés ici même.

— C'est vrai, fit l'homme d'un ton plus serein. C'est que là, c'est très délicat. Je préfère m'en assurer.

— Je comprends, Monsieur. Que puis-je faire pour vous ?

— Vous n'êtes pas sans vous rappeler, que je vous ai aidé à gagner l'appel d'offre sur le logiciel de votes électroniques ? Vous n'espériez pas que je fasse cela sans arrière-pensées ?

— J'imagine ! fit James Drake avec crainte.

— Tous les votes sont bien comptabilisés par le biais de l'identification par puce RFID, poursuivit son interlocuteur.

— C'est bien cela. Un mécanisme venant de chez nous, pour éviter de bourrer des urnes électroniquement. Cela limite la tricherie, répondit James Drake avec un peu de fierté.

— L'ensemble des résultats est bien stocké sur un de vos serveurs avant d'être transféré au ministère de l'Intérieur.

— C'est exact ! Sur notre « Cloud » de Liverpool.

— J'aimerais que vous effectuiez une modification sur les résultats avant transfert au ministère de l'Intérieur.

— Comment ? fut surpris James Drake. Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez ?

— Oui, mais c'est ça où je vous fais dégringoler votre action en bourse, menaça l'homme.

— Vous ne feriez pas ça ?

— À la vue de la situation, cela ne me poserait aucun problème.

James Drake fit les cents pas d'un air soucieux avant de se tourner à nouveau face à son interlocuteur.

— Je vous ai déjà aidé à manipuler les sondages d'opinions ces dernières semaines…

— Pas suffisamment à mon goût ! l'interrompit l'homme.

— Vous ne vous rendez pas compte du risque que cela implique.

— Bien au contraire, croyez-le bien !

— Ce n'est pas pareil que de trafiquer les sondages de sociétés privées. Ce que vous me demandez c'est de trafiquer les données à l'attention d'un État.

— Et alors ?

— Je suis en première ligne. J'ai tout à perdre si les résultats sont mis en doute.

— Vous n'allez pas faire la mijaurée. Vous pourrez toujours vous cacher derrière nos lois sur les brevets. Ce n'est pas la première fois que vous brandissez cette arme. Non ?

— Peut-être ! Mais c'est l'État Français.

— Écoutez ! Si le gouvernement futur est celui que l'on souhaite tous les deux, vous ne risquerez plus rien.

Le chef d'entreprise restait silencieux.

— De toute manière, vous ne me laissez pas le choix.

— Tout à fait ! Mais je sais toujours récompenser très généreusement les personnes qui servent mon intérêt.

Le chef d'entreprise restait silencieux.

— Je vais utiliser la même technique que les sondages : rajouter en amont un petit programme censé faire une deuxième vérification d'identité.

— Vous voyez quand vous le voulez !

— Mes employés ne remarqueront rien. Je me tournerai vers une organisation criminelle de hackers lituaniens pour l'intégration de ce programme. Elle m'a déjà servi pour la manipulation des sondages et à voler le travail de recherche de mes concurrents.

— Vous êtes sûr de votre coup. Pas de trahison possible ?

— Oui ! Avec de l'argent, on n'obtient tout de ces gens-là. L'appât du gain est leur seul leitmotiv.

— Faites en sorte que les résultats ne soient pas farfelus. Nous n'avons pas la même souplesse qu'avec de simples sondages.

L'homme se leva et commençait à se rhabiller :

— Cela vous dirait que votre société ait d'autres parts de marché. Je peux vous y aider.

Le chef d'entreprise eut un sourire gêné.

La personne quitta les lieux.



Adam avait eu le réflexe d'enregistrer ce qu'il avait entendu. Il en fit immédiatement une copie sur le support de stockage de sa puce RFID, inséré dans son bras gauche. Cette manipulation s'effectua en toute simplicité par le biais des ondes radio. Le jeune homme était témoin d'un coup d'État, mais ne savait pas comment agir en conséquence. Sa priorité était de prendre certaines précautions pour sa vie. Et dans l'immédiat, il lui fallait se cacher dans son bureau en attendant le départ de son président.


Crédit Photo : Cedrennes / CC BY-SA 2.0

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