Les entrailles de la haine

Tu le sens, hein ! Tu le sens, tout ton corps qui descend, à l'intérieur de ton être. Cette chute interne, cet effondrement sur toi-même. Tu les sens tout tes organes, tes tissus, jusqu'à tes moindres globules rouges qui tentent de s'accrocher. Qui tentent de faire face. Mais face à quoi ? Face à ce reflet dans le miroir, où tu ne vois rien ? Que des aplats rouge et des points noirs. Tu distingues à peine dans ce flou, ce collapse de ton être, deux petites tâches qui s'éparpillent comme le jaune d'œuf au fond d'une poêle. Sont-elles bleues, vertes ou marron ? Qu'importe, tu ne te souviens plus des couleurs et pourtant tu les sens, qui tentent de se contenir. De se retenir, pour ne pas laisser échapper, pour ne pas laisser couler, ces fossiles de douleurs. Tu le sens tout ce corps qui s'écroule en dedans, arrachant dans sa chute les restes de sentiments. Tu les sens qui ne laissent qu'une place pour la haine. Celle-là même dont tu te nourris depuis si longtemps.

Tu le sens et pourtant tu ne peux rien faire. Pétrifié par l'échos des colères qui se jouent dans ta tête. Rien, rien ne bouge de tes membres à ta langue que tu tentes d'actionner. Tu restes sur place et tu ne peux rien répondre aux questions qu'ils te posent avec toute leur bêtise. Tu aimerais ne rien entendre de ce bruit qu'ils te disent. Mais rien n'y fait, tu te défais et le poids du chaos de leurs mots écrase les restes de ta volonté. L'écume de ta rage vient nettoyer tes os lessivés.  L'absurde est là, faisant le reste du travail de ton délabrement. Tu les sens toutes ces façades que tu avais si savamment créées. Tu les sens qui s'effondrent avec tout le reste. Tu les sens qui ne laissent qu'une place pour la haine. Celle-là même dont tu te nourris depuis si longtemps. 

Tu les sens ces lambeaux de décrépitude qui dans leur chute se collent jusque sur tes membres. Ça fait cric, crac, et tu entends : ploc ! Ploc ! Ploc ! Le son de tes douleurs se mêle à celui de tes frustrations. A moins que ce ne soit l'inverse. Ni ton esprit, ni ton corps n'ont plus la force de prendre la distance de tes peurs. Tu es aveugle de tes repères et en âge de comprendre l'étendue de ton ignorance. Alors tu cèdes, cèdes à l'arrogance de vouloir tout assouvir, tout asservir. Que tous agissent désormais à ta guise. Comme si tes angoisses étaient les seules qui vaillent dans ce brouhaha perpétuel des avis de comptoir. Et tu les sens, tu les sens venir avec leur philosophie de taxi,  ils veulent que tu restes avec eux, dans leur bassine d'opinions simples. Mais toi, tu le sens, toi tu le sais bien que tout est compliqué. Que rien ne s'imbrique s'il n'y a pas de frictions. Et tous ces frottements te font mal. Et tous ces frottements s'embrasent, comme l'huile et l'eau qui s'embrassent.  Ton corps, ton cœur et tout ton être s'enflamment. Rongés par le feu de cette haine. Celle-là même par laquelle tu péris depuis tant d'années.