Les gens de la mer -14-

aile68

La pizzeria est comme un plateau de théâtre où les gens se mettent en scène. Chacun y tient son rôle, le sourire est de rigueur. On a dit à Véronique qu'elle devrait sourire plus souvent, chose qu'elle s'évertue à faire depuis. Pas trop grand le sourire, les clients auraient l'impression qu'on se fiche d'eux. Le relationnel est tout un art. Il ne faut pas parler trop fort, ni trop bas, il faut être dans le ton.  Au théâtre on lui apprend à gérer ses émotions, à ne pas trop entrer dans le personnage. Le prof lui a dit qu'elle devait mettre de la distance entre elle et le personnage qu'elle joue car elle était trop en empathie avec ce dernier, Véronique aurait pourtant juré qu'il fallait faire le contraire. On en apprend tous les jours. Elle se rend compte qu'elle est différente au théâtre, à la pizzeria, au lycée et à la maison, comme si chaque ambiance la modelait différemment. Enfin l'important est qu'elle se sente bien partout mais ce n'est pas toujours le cas. A la maison par exemple les jumeaux ne sont pas toujours tendres avec elles, elle ne sait dans quel personnage se glisser pour se défendre alors elle prend la fuite, et se réfugie dans sa chambre. Là ses posters en noir et blanc et en couleurs lui font du bien, ils la plongent dans une sorte de rêverie qui l'emmène sur des plateaux inconnus avec des personnages auxquels elle donne parfaitement la réplique. Molière, Beaumarchais sont ses dramaturges préférés, mais elle voudrait aussi jouer sous la direction de François Truffaut dont elle a tant aimé "L'argent de poche" et "La mariée était en noir". Souvent elle s'est imaginée parmi la foule des enfants de "L'argent de poche" ou à la place de Jeanne Moreau dans "La mariée...". Après ses moments de rêverie une question vient la hanter: qui est-elle en fait?  Et toujours elle revient à la même réponse, elle est tour à tour lycéenne, serveuse, copine, soeur malheureuse, l'aînée, quel fil directeur la relie à elle-même?

(à suivre)

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