Les gens qui mangent du fromage

Stefanis Lupu

Les gens qui mangent du fromage

Drame en un acte par

Ştefanis Lupu

Au lever du rideau, la scène est vide avec un fond noir.

À un moment donné, un homme, qui semble être un roi, fait son apparition. Il porte une longue cape et une couronne sur la tête et il tient un sceptre. Au fond on entend un gazouillis d’oiseaux. Le roi se promène admirant la nature d’un air heureux.

Scène I

LE ROI: La beauté intérieure est comme le jus de choucroute que l’on jette au printemps … (il

rit). Ce qui me plaît ici, dans la nature, c’est qu’on peut dire ce que l’on veut! Il n’y a

personne qui entende … (il tape des mains, un valet apparaît).

LE VALET: Oui, maître!

LE ROI: Aujourd’hui je veux déjeuner ici, dans la forêt!

LE VALET: Dans la forêt?

LE ROI: Demande qu’on mette la table ici, dans cette clairière!

LE VALET: (il regarde autour, contrarié) Dans la clairière?

LE ROI: Oui, ici. Ou je devrais plutôt m’asseoir plus près de cette source?

LE VALET: C’est sûrement mieux près de la source. Et que désire Sa Majesté manger au

déjeuner?

LE ROI: Échine de porc grillée et vin du Danubius. Je n’ai jamais compris pourquoi il était

si cher, ce vin.

LE VALET: Parce qu’il est rare, Votre Majesté, on en produit peu et tous les seigneurs le veulent

sur leur table. Et le secret de sa fabrication est bien gardé! Jusqu’ici personne n’a réussi à en découvrir la recette.

LE ROI: Plus on en boit, plus on a soif! Il a un goût unique et un arôme sublime. Je le veux, quel

qu’en soit le prix, je le veux! Je ne peux pas boire autre chose!

LE VALET: Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle "le vin du Diable"!

LE ROI: Vas-y, vas-y, et n’oublie pas l’échine de porc!

LE VALET: (il le regarde attentivement) De porc? ... Votre Majesté ... la viande de porc ... vous

savez ....

LE ROI: Je sais quoi?

LE VALET: Ça fait augmenter le taux de cholestérol ... vous pourriez avoir une ...

LE ROI: Que veux-tu insinuer? Que je suis un porc?

LE VALET: Excusez-moi, Votre Majesté, mais … je n’ai pas ...

LE ROI: Ta gueule! Je ressemble à quoi? À un porc ou à un crocodile?

LE VALET: Je vais vous apporter le déjeuner.

LE ROI: Tu essaies de t’esquiver?

LE VALET: Non, mais ...

LE ROI: (il sort une baguette et ordonne, d’une voix autoritaire) Tes doigts!

LE VALET: Mes doigts? (effrayé) Mes doigts ... Votre Majesté ...

LE ROI: Ta gueule! Tend les doigts! ... (il le tape sur les doigts, le valet pleure)

LE VALET: Aïe! Sire, s’il vous plaît ... Aïe! Aïe!

LE ROI: (il continue à le frapper avec la baguette, tout en criant) Je ressemble à quoi, dis? À un

cochon? Ou à un crocodile?

LE VALET: Aïe! (il tend l’autre main)

LE ROI: (le tapant sur les doigts de l’autre main) Crocodile? (tout répète jusqu’à

l’épuisement)

LE VALET: Sire, si vous permettez ... ne voudriez-vous pas me frapper ailleurs ... sinon, je ne

pourrai plus vous apporter votre déjeuner!

LE ROI: Tu as raison. Alors, que proposes-tu?

LE VALET: Que vous me tapiez sur les fesses!

LE ROI: (extrêmement nerveux) Tourne-toi! (il commence à le frapper) Alors, dis, je ressemble à

quoi? (il crie tout en le frappant) ... Crocodile, cochon, crocodile, cochon (il se tait, tout en frappant le valet).

LE VALET: (il pleure, en  poussant des cris à chaque coup) Crocodile, cochon, crocodile,

cochon ...

LE ROI: (en pleurant, il s’arrête et le prend dans ses bras) Pourquoi personne n’a le courage de

me dire ce que je suis? Pourquoi? (il pleure) ... Je suis un cochon! Oui, un gros cochon, un crocodile! (d’un ton autoritaire): Qu’est-ce que je suis?

LE VALET: Un ... cochon ... Un ... crocodile ...

LE ROI: Demande-moi : "Veux-tu manger, cochon?"

LE VALET: Vous avez faim, Sire?

LE ROI: (il le regarde d’un air furieux) ...

LE VALET: (effrayé) Tu as faim, cochon?

LE ROI: Oui, et je veux manger ici, dans la forêt, comme un cochon, sans couverts, sans

serviettes, sans bougies, comme un vrai cochon, quoi. Vas-y ... et reviens vite! (le valet

sort; resté seul sur la scène, le roi fait un monologue): ... Quand on te dit que tu es un porc, tu te fâches, mais que fais-tu quand personne ne te le dit, mais tous pensent que tu es une espèce de porc, un sale crocodile, un gros tas repoussant. Au fait, y-a-t-il de beaux gros tas? Tous le monde m’aime tel que je suis parce que je suis ce que je suis. Si je n’étais pas ce je que je suis, personne ne m’aimerait, ils sont tous des menteurs, des hypocrites, leur sincérité est un hibou aux yeux de verre ... "Un hibou aux yeux de verre", quelle comparaison imbécile! Si j’étais allé à l’école plus souvent peut-être que ... mais tel que je suis – gros et con et moche et ... (il se regarde attentivement). À qui pourrais-je plaire? Je ferais n’importe quoi pour que quelqu’un ait le courage de me dire: "Votre Majesté, je ne vous trouve pas attirant, vous êtes un cul merdeux, vous êtes un crasseux ...vous êtes ..." (on entend le valet)

LE VALET : (il passe à côté de lui en courant)

LE ROI: Hé! Ho!

LE VALET: (il s’arrête) ... Excusez-moi, Sire, je ne vous ai pas vu à cause de ces buissons ...

(avec des gestes amples, il sort de la musette qui pend à son cou un napperon, puis un

petit paquet qu’il ouvre calmement, enfin une petite bouteille de vin qu’il pose élégamment sur le napperon). La table est servie!

LE ROI: (il regarde longuement la nourriture, ensuite le valet)

LE VALET: (effrayé) S’il vous plaît, servez-vous ...

LE ROI: (regard menaçant) On avait dit que tu m’appellerais autrement, il me semble ... Alors?

(il sort la baguette)

LE VALET: Tu as faim cochon? Vas-y, mange!

LE ROI: (avec des gestes amples, mimant le contentement, il rit et se met à manger en poussant

des grognements de cochon ... Quelque temps après il s’arrête et demande au valet) ... Tu as mangé, toi?

LE VALET: Non, Sire.

LE ROI : (regard menaçant)

LE VALET: Non, cochon, je n’ai pas mangé!

LE ROI: Alors, vas-y, mange.

LE VALET: Merci, cochon!

LE ROI : (allongé sur le dos) ... Dis donc, tu as une copine?

LE VALET: Oui, cochon!

LE ROI: Tu lui plais?

LE VALET: Je pense que oui, cochon!

LE ROI: Et elle, elle te plaît?

LE VALET: Oui, cochon!

LE ROI: Vous vous voyez souvent?

LE VALET: Une fois par an, quand je vous accompagne aux bains, cochon.

LE ROI: Aux bains?

LE VALET: Aux bains de boue, cochon!

LE ROI: Qui est-ce qui se vautre dans la boue? (il lui montre la baguette de façon suggestive)

LE VALET: Le cochon!

LE ROI: Ça fait combien de temps que tu m’accompagnes aux bains?

LE VALET: Une dizaine d’années, cochon!

LE ROI: Ça veut dire qu’elle t’aime, c’est sûr qu’elle t’aime! Moi, pendant toutes ces années, je

ne suis pas sorti deux fois avec la même femme et ça, parce qu’elles ne m’aiment pas.

Pour moi, toutes les femmes sont des hypocrites, des menteuses, des flatteuses éhontées qui ne tarissent pas d’éloges sur moi… et au fait, je leur soulève le cœur (il pleurniche)

LE VALET: (compatissant) Ce n’est pas vrai ...

LE ROI: (il se lève et avance en se déhanchant) ... Viens (il va vers le valet, prend sa main, la

pose sur sa cuisse et se caresse, puis la dirige vers son ventre d’un geste appuyé; après un moment de silence, il dit brusquement) Embrasse-moi!

LE VALET: (il le regarde, effrayé) ...

LE ROI: (en criant fort) ... Embrasse-moi!

LE VALET: (visiblement dégoûté, il l’embrasse sur la joue)

LE ROI: Alors, tu me trouves attrayant?

LE VALET: Oui. (effrayé)

LE ROI: Alors, embrasse-moi passionnément sur la bouche! (il le serre dans ses bras en

avançant ses lèvres)

LE VALET: Et si on buvait un peu de vin avant?

LE ROI: (il dégage son étreinte) Ainsi donc, j’ai mauvaise haleine! J’ai compris (il souffle

dans sa main tout en inspirant). J’ai vraiment mauvaise haleine? (il souffle

vers le valet)

LE VALET: Mais non, Sire! Pas du tout ... mais, si vous voulez je peux aller vous chercher

un bain de bouche.

LE ROI: Oui, va chercher un bain de bouche! Vas-y, vite!

LE VALET: (il part en poussant un soupir de soulagement) ... Tout de suite.

LE ROI: Hé! Ho! ... Attend un peu ...

LE VALET : (contrarié) ... S’il vous plaît?

LE ROI: (s’approchant de lui) Souffle!

LE VALET: (il souffle) ...

LE ROI: (il inspire, puis il souffle dans sa main et compare les odeurs; la scène se répète

plusieurs fois) ... Oui, va me chercher un bain de bouche!

LE VALET: Tout de suite. (il s’en va vite)

LE ROI: (il continue à souffler dans sa main) C’est clair, j’ai un problème d’estomac. J’ai  

quelque chose au ventre (étonné, comme s’il avait quelque chose de très grave) ... Peut-

être que j’ai des ... ascaris! Oui, ça doit être ça (il analyse son ventre). J’ai des

ascaris! Les ascaris sont des parasites qui vivent et qui se nourrissent dans le ventre de

l’homme et, comme tout ce qui mange, ça leur arrive de péter (il souffle dans sa main) ... Oui, c’est clair, maintenant je sais pourquoi j’ai mauvaise haleine : j’ai des ascaris (brusquement, il entend son valet crier).    

LE VALET: (on entend un cri de désespoir) Vite, Sire!

LE ROI: Qu’y a-t-il?

LE VALET: (très effrayé) ... Nous sommes attaqués.

LE ROI: (continuant à souffler dans sa main): ... Par qui?

LE VALET: ... Par les gens qui mangent du fromage.

LE ROI: Par les gens qui mangent du fromage?

LE VALET: Oui, Sire!

LE ROI: Les gens qui mangent du fromage nous attaquent?

LE VALET: Oui, Sire, ils se sont révoltés contre vous, ils ont tout vandalisé. Moi, je l’ai

échappé belle, mais vous, ils vous cherchent pour vous tuer ... (on entend des voix).

LE ROI: Ils t’ont poursuivi. Qu’est qu’on fait?

LE VALET: Je ne sais pas. Mais il faut faire quelque chose.

LE ROI: Alors, qu’on fasse, qu’on fasse quelque chose!

LE VALET: Fuyons! Oui, fuyons! (il se met à courir sur scène)

Scène II

LE ROI: Attends! Attends-moi! (ils se mettent à courir tous les deux; après quelques tours ils

sont à bout de souffle) ... Moi, je n’en peux plus ...

LE VALET: Et qu’allez-vous faire? Vous allez vous rendre? (ils continuent à courir en

cercle)

LE ROI: Non!

LE VALET: (tout en courant) ... Si vous restez sur place ils vont vous attraper! Il se font déjà une

fête de s’emparer de vous, ils sont sans pitié, ils vont vous tuer. Mais avant de vous tuer, ils vont vous torturer!

LE ROI: Ils vont me torturer?

LE VALET: Affreusement!

LE ROI: Et alors, que faire?

LE VALET: (il s’arrête brusquement) Courons! (il court)

LE ROI: (il court péniblement après le valet) Tu ne pourrais pas courir un peu moins vite? J’ai de

la peine à te suivre!

LE VALET: Si nous courons moins vite ils vont nous attraper et alors, nous allons vivre l’enfer!

Il vaut mieux courir (il court).

LE ROI: Arrête-toi un peu, j’ai un point de côté (il presse son ventre et il ralentit sa course)

LE VALET: La rate?

LE ROI: Oui, la rate, j’ai mal au ventre. Là! (en s’arrêtant, il indique le côté droit de son ventre)

LE VALET: Ce n’est pas la rate, ça.

LE ROI: Ah, bon?

LE VALET: Ben, non.

LE ROI: Alors, c’est quoi, ça?

LE VALET: (il continue a courir autour de lui) Vous avez mal du côté droit en bas ou du côté

droit en haut?

LE ROI: Quelque part entre les deux.

LE VALET: Alors, c’est très grave. Vous avez à la fois une cirrhose et l’appendicite. C’est une

forme de maladie très rare. L’appendicite, vous l’avez parce que vous avez mangé des

graines de tournesol entières; quant à la cirrhose, c’est à cause du stress.

LE ROI: Aïe ... (il s’assied). Tu sais quoi ... Hé! ... Arrête!

LE VALET: Je ne peux pas m’arrêter.

LE ROI: Alors, ralentis! (le valet ralentit) ... Tu sais quoi (il se tâte), je n’ai pas mal en

haut, mais plus bas. Je ne pense pas avoir la cirrhose.

LE VALET: Ah, non?

LE ROI: En fait, j’ai mal à l’aine.

LE VALET: Alors, c’est grave, vous avez une appendicite aiguë. Vous avez soif?

LE ROI: Oui.

LE VALET: ... Alors, ça ressemble à une péritonite. C’est grave!

LE ROI: Arrêtons-nous un peu pour reprendre notre souffle.

LE VALET: Vous pouvez vous le permettre, vous, qui êtes presque mort, mais moi, je crève de

santé (il continue de courir).

LE ROI: (pleurant de douleur et de fatigue) Stooop! Aide-moi! Tiens, je te donne cette bourse.

LE VALET: (il s’arrête et prend la bourse) ... Je t’aide.

LE ROI: Quoi?

LE VALET: ... Courons (il s’en va).

LE ROI: (criant derrière lui) Je ne peux pas courir, j’ai une crise d’appendicite.

LE VALET: Alors, tenez votre argent et restez ici pour vous faire massacrer par les gens qui

mangent du fromage (il court).

LE ROI: Si je reste ici je serai massacré et si je fuis je mourrai d’appendicite.

LE VALET: Oui, mais si vous fuyez, vous avez encore une chance, nous pourrions trouver un

médecin qui vous opère.

LE ROI: Tu as raison, fuyons! (il court vite, en laissant le valet derrière) ... Vas-y, dépêche-toi,

vas-y! Regarde-moi ça! Qu’est-ce que tu fais? Tu es fatigué?

LE VALET: Non, Sire!

LE ROI: Allons, j’ai toutes les chances d’échapper: j’ai de l’argent et je suis connu!

LE VALET: Oui, mais il faut encore quelque chose!

LE ROI: Quoi donc?

LE VALET: Que les gens qui mangent du fromage arrêtent de nous chasser.

LE ROI: Quoi donc, tu es fatigué? Allez, bouge!

LE VALET : (à part) Le dernier spasme du moribond ...

LE ROI: Qu’est-ce que tu as dit?

LE VALET: Je disais que vous courriez avec élégance ... Il ne vous manque que la couronne

d’olivier pour ...

LE ROI: Pour ... ?

LE VALET: Pour ...

LE ROI: Tu n’es qu’un sale menteur!

LE VALET: Pourquoi, un sale menteur?

LE ROI: Tu veux que je te dise ce que tu as dit? ... Tu as dit "Regardez ce porc, regardez-le

courir!" (il sort la baguette).

LE VALET: ... Ouiiii, j’ai dit: "Regardez le porc courir!"

LE ROI: Dis-le encore une fois! (il lui montre la baguette tout en courant)

LE VALET: ... Regardez le porc courir ...

LE ROI: Plus fort!

LE VALET: ... Regardez le porc courir ...

LE ROI: Plus fort encore!

LE VALET: ... Regardez le porc courir ... Votre Majesté, j’ai la gorge qui pique!

LE ROI: Ça pique, hein? (le valet quitte la scène en courant, suivi par le roi).

Scène III

Ils entrent tous les deux en courant, mais essoufflés.

LE ROI: ... Dis-moi, tu as une idée depuis combien de temps on court comme ça?

LE VALET: Ben, depuis un bon bout de temps ...

LE ROI: Je te pose la question parce qu’il me semble qu’on est déjà passé par là. Ça ne te dit rien, cet endroit?

LE VALET: ... Je pense que je courais trop vite et je n’ai pas fait attention aux détails.

LE ROI: Un tel détail ne pouvait pas passer inaperçu. Attend ! Arrête!

LE VALET: Il faut faire attention que les gens qui mangent du fromage ne nous rattrapent!

LE ROI: On a assez d’avance.

LE VALET: Oui, d’accord, mais il vaut mieux la conserver.

LE ROI: (moment solennel) Cet endroit me donne des frissons, il ressemble à mon château.

LE VALET: Non, ce n’est pas qu’il y ressemble, Sire, c’EST votre château!

LE ROI: (étonné) Ça, mon château? Dans cet état? Il n’y a plus de portes, plus de toit, plus de

vitres (il pleure). Les salauds, ils ont même volé le parquet! Qui a fait ça?

LE VALET: Ceux qui nous poursuivent. Les gens qui mangent du fromage, Votre Majesté! (jeu

de pantomime; il trouve une photo et commence lui aussi à pleurer).

LE ROI: Pourquoi pleures-tu? (il s’approche du valet et regarde la photo). C’est moi, ça?

LE VALET: (en pleurant) Oui, c’est vous avec votre père et moi qui guide le poney.

LE ROI: Et celui qui monte le petit cheval, c’est moi? (ils pleurent tous les deux comme des

enfants). Je veux revoir ma chambre.

LE VALET: Seulement les murs, Votre Majesté, car le toit à été volé et vendu au ferrailleur.

LE ROI: Les tableaux ...

LE VALET: ... Ils sont dans les étables de ceux qui nous chassent. S’ils le sont encore ...

LE ROI: Le parquet sur lequel je faisais des glissades sur mon coussin ...

LE VALET: Ils ont fait du feu avec.

LE ROI: Les serviteurs ...?

LE VALET: Ils ont été massacrés jusqu’au dernier et jetés là-bas, dans cette fosse.

LE ROI: Nous devons déposer une couronne à la mémoire de ceux qui se sont sacrifiés pour que

nous soyons libres. Nous ne pouvons pas ne pas honorer la mémoire de nos aïeux. Apporte la couronne! Qu’elle soit aussi belle que possible, avec plein de fleurs, et avec des inscriptions qu’on voie de loin! (le valet tend la main pour recevoir l’argent, il le reçoit et il s’en va): Qu’on tire des salves de canon! 

LE VALET: (il entre sur le côté,  une couronne imaginaire à la main) Il n’y a personne pour tirer

des salves!

LE ROI: Quoi?

LE VALET: Ceux qui tiraient au canon ... c’est pour eux qu’on dépose la couronne!

LE ROI: Tu l’as apportée?

LE VALET: Oui, Sire! (il montre une couronne imaginaire) ... Allons-y!

LE ROI: (avec des gestes de pantomime ils prennent la couronne imaginaire et, sur fond de

musique de circonstance, ils marchent au pas de parade, ils posent la couronne, font un

pas en arrière et arrangent les rubans d’un air solennel) ... C’est un moment solennel. Recueillons-nous. (il s’agenouille et chuchote vers le valet): Je n’ai plus mal au ventre. À mon avis c’était à cause de l’effort ...

LE VALET: (il l’interrompt brusquement) Chut! C’est un moment solennel.

LE ROI: (il regarde à gauche, puis à droite et, sans être vu par le valet il souffle dans sa main.

Ensuite, avec plus d’insistance) J’ai entendu dire que si on mange des feuilles de noyer, ça tue les ascaris.

LE VALET: Chut! C’est un moment solennel.

LE ROI: Je te plaisais vraiment, quand je courais?

LE VALET: ... Chut! C’est un moment solennel! (il tend l’oreille) ... Nous devons ... fuir! (il

prend sa fuite).

Scène IV

LE ROI : Hé ! Ho ! Attends! (il quitte la scène en courant après le valet, puis il rentre

brusquement) Espèce d’imbécile ... aïe ... je n’en peux plus!

LE VALET: Excusez-moi, Votre Majesté! Les émotions m’ont désorienté et j’ai couru en arrière.

LE ROI: Et moi, plus imbécile encore, je t’ai suivi. Pour un peu, ils nous auraient attrapés.

LE VALET: Oh, Sire, dans de pareilles situations vous avez une de ces foulées! J’avais du mal à

vous suivre.

LE ROI: Écoute, ça ne te dit rien, cet endroit? Il ressemble à mon château.

LE VALET: Ce n’est pas qu’il y ressemble, Sire! C’EST votre château!

LE ROI: Dans cet état de délabrement?

LE VALET: Je ne regarde plus par terre car je risque de retrouver la photo du poney et ça va me

faire pleurer.

LE ROI: ... La couronne?

LE VALET: (il regarde la tête du roi) Elle est sur votre tête.

LE ROI: Pas celle-ci, je parle de la couronne pour nos aïeux ...

LE VALET: Si on reste encore à déposer des couronnes ... ce sont les gens qui mangent

du fromage qui se recueilleront.

LE ROI: Je me demandais ou était la couronne que nous avions déposée (il continue à marcher).

LE VALET: On l’a volée et on l’a vendue au ferrailleur.

LE ROI: Une couronne vendue au ferrailleur? (il s’arrête)

LE VALET: Ne vous arrêtez pas, nous pouvons très bien parler tout en courant. On va monter

sur cette colline et, une fois là-haut, nous pourrons nous détendre. Voilà, allez-y! Un, deux, trois! Un, deux, trois! Pourriez-vous me dire avec quoi les fleurs étaient attachées? Un, deux, trois! Un, deux, trois!  

LE ROI: Tu as raison. Ils ont enlevé le fil métallique qui les attachait et ils l’ont vendu à un

centre de collecte. Blasphème! Ça m’a coûté un paquet! Tu penses que quelqu’un a eu le

temps de lire ce qui était écrit dessus?

LE VALET: Je ne pense pas, Sire! Un, deux, trois! Tout s’est passé si vite! Un, deux, trois! ...

LE ROI: (fatigué) Ouf! Reposons nous un peu.

LE VALET: Mais il y a encore quelques pas jusqu’au sommet de la colline. Et de là-haut on peut

aussi observer les mouvements de l’ennemi ... Un, deux, trois!

LE ROI: Ça, alors ! Un, deux, trois! Allons-y, mais d’abord il faut que je te dise quelque chose!

Tu as été très mauvais en géographie, parce que tu ne sais pas faire la différence entre une colline et une butte, un monticule. Une colline, ça fait la transition de la plaine à la montagne or, ici, je ne vois aucune montagne que je ne puisse pas passer. Allons-y, un, deux, trois et … hop là, on est sur la colline ! (terrifié) Putain de merde! Je te tue, espèce d’imbécile! Mon Dieu, pourquoi dois-je écouter tous les cons? Regarde-moi-ça! Où est-ce que tu m’as emmené espèce de con???

LE VALET: J’étais tout bouleversé quand nous avons déposé la couronne et ...

LE ROI: (le frappant avec la baguette) Tu étais tout bouleversé? C’est moi qui devais l’être, vu

le prix de la couronne, pas toi ... (il regarde au loin, désespéré) Maintenant qu’est-ce qu’on fait, espèce de con?

LE VALET: C’est une situation de crise, Votre Majesté!

LE ROI: Merci de l’info. Les gens qui mangent du fromage sont derrière nous, nous avons un

fleuve immense devant nous et toi, tu me parles d’une situation de crise! (il pleure) ... Oh! Oh!

LE VALET: Ça fait dix ans que je vous supplie d’apprendre à nager. Maintenant, ça aurait été du

gâteau.

LE ROI: Gâteau ou pas gâteau, qu’est-ce qu’on fait? Ils approchent, ceux-là. Mon Dieu, j’aurais

préféré une montagne. Tu sais nager, toi?

LE VALET: Oui.

LE ROI: Si tu m’aides à traverser le fleuve je te donne cette bourse. Alors? (le valet hésite) Et tu

auras encore quelque chose.

LE VALET: Quoi?

LE ROI: (il sort une photo imaginaire) Cette photo de nous, du poney et de mon père.

LE VALET: (d’un ton très décidé) Je vous aide à traverser! (il tend la main pour prendre la

photo)

LE ROI: Quand nous serons de l’autre côté.

Scène V

LE VALET: (jeu de pantomime; en train de s’asperger, il fait comprendre que l’eau est très

froide) Allez-y, Sire!

LE ROI: (l’imitant) Brrr ... elle est froide ... elle est vachement froide!

LE VALET: Un fois qu’on s’y habitue, ça va. Allez ... voilà, bravo!

LE ROI: Même si je m’y habitue, elle est toujours froide.

LE VALET: Montez sur mon dos, allez-y! (le roi monte en s’accrochant fortement à son cou) ...

Essayez d’être détendu au maximum! Vous m’étranglez et je ne peux pas nager!

LE ROI: (en obéissant le valet) ... C’est mieux maintenant?

LE VALET: Oui, c’est mieux. Bon, on y va! (il commence à nager)

LE ROI: (il se met à pleurer)

LE VALET: Qu’est-ce qui se passe?

LE ROI: J’ai peur! Oh! Oh! On en a encore pour longtemps? Elle est profonde, l’eau?

LE VALET: Elle l’est, mais taisez-vous, bordel! Je ne peux pas me concentrer! Je ne

peux pas nager et parler en même temps, je gaspille mon énergie (il crie et ils chavirent

brusquement): Ah! ... Oh!

LE ROI: (très effrayé) Mince, qu’est-ce qu’il y a?

LE VALET: Nous sommes pris dans un tourbillon. Ah! Ah!

LE ROI: (il crie très fort) Ah! Ah!

LE VALET: Mais vous, pourquoi diable criez-vous?

LE ROI: (très effrayé) Nous sommes pris dans un tourbillon.

LE VALET: D’accord, mais c’est moi qui nage et j’ai besoin de silence pour pouvoir me

concentrer. Aaah! (il peine) Aaah!

LE ROI: Qu’est-ce qu’il y a encore?

LE VALET: ... Je pense qu’il y en a d’autres dans ce tourbillon. Je les sens autour de moi ... ils

sont nombreux, petits et grands. Aaah! Je ne peux plus nager, il y en a trop. Arrêtez de m’étrangler!

LE ROI: Pardon. C’est mieux comme ça?

LE VALET: Le courant est trop fort et ceux-là sont trop nombreux!

LE ROI: J’ai une idée.

LE VALET: Dites vite. On nous tire vers le fond (ils se laissent tirer vers le bas, ils coulent

en faisant des bulles, ensuite ils remontent à la surface en inspirant un grand coup; ils font cela à plusieurs reprises).

LE ROI: (en crachant de l’eau) ... Tu sais quoi? Quand le courant va vers la rive opposée, alors

prends appui sur ceux qui sont là-bas; après, on pousse vers l’autre côté et on s’échappe (il coule encore plusieurs fois). Fais attention, à mon signal prends appui sur eux! Tu as compris?  

LE VALET: (en faisant des bulles) Oui.

LE ROI: Un, deux, trois, vas-y ... Voilà, vas-y fort! Nage, vas-y, là, oui, comme ça! (ils sont

sortis du tourbillon). Bravo, nous sommes sauvés! Bravo!

LE VALET: Nous sommes sauvés! (il nage de façon plus relaxée) ... Ça vous dérange, si je fais

un peu la planche? Il m’a vraiment épuisé, ce tourbillon.

LE ROI: C'est-à-dire, tu vas nager sur le dos et moi, je dois m’asseoir sur ton ventre?

LE VALET: Oui, Sire! Sur mon ventre! Allez-y! (il monte à califourchon sur le ventre du valet)

LE ROI: Nous avons eu de la chance avec ceux du tourbillon, autrement ...

LE VALET: Oui, nous avons eu beaucoup de chance. Et vous, quelle idée vous-avez eue "prends

appui sur eux, pousse et vas-y!" (il rit) 

LE ROI: (il rit aussi) L’idée m’est venue sur le coup, spontanément. Honnêtement, j’ai eu un peu

d’émotions. Non que je n’aie pas confiance en toi, en ta force ... (effrayé, il regarde tout

droit) ... Arrête-toi! Reste comme ça!

LE VALET: Qu’est-ce qu’il y a? Un tourbillon?                                   

LE ROI: (désespéré) ... Non!

LE VALET: Alors c’est quoi? Une cascade?

LE ROI: Pire que ça.

LE VALET: Pire que ça ! C’est pas possible !

LE ROI: Si, c’est possible! C’est extraordinaire!

LE VALET: Votre Majesté, vous me faites froid dans le dos! Dites-moi, qu’est-ce que c’est?

LE ROI: Les cro-co-diles.

LE VALET: Les crocodiles? Mince! Ce sont des crocodiles du Nile ou de l’Amazone?

LE ROI: Ce sont des bâtards, et ils sont énormes! Essaie de ne pas faire de vagues, sinon on va

nous observer. Et si on se laissait emporter par le courant? Qu’en penses-tu?

LE VALET: Excellente idée. Guidez-moi. Et … ils sont gros?

LE ROI: Chut! ... Ils pourraient nous entendre ...tu sais, ceux-là entendent à la fois dans l’eau, sur

la terre et dans l’air. Très bien, nous nous éloignons. Je commence à ne plus les voir, c’est bien. Allons-y, encore un peu et on y est! Très bien, très bien, ça y est! 

LE VALET: ... Ça y est? (ils se lèvent et s’embrassent) Nous sommes sauvés!

LE ROI: Nous sommes sauvés! Nous sommes sauvés! Bravooo! (il fouille dans sa poche et, avec

des gestes de pantomime, il en sort d’abord une bourse, ensuite une photo) ... Bon, 

maintenant ma promesse! Voilà, prends cette bourse et ...

LE VALET:  ... Et?

LE ROI: La photo.

LE VALET: La photo. (il se met à pleurer) Le gamin qui guide le poney, c’est moi ...

LE ROI : (il se met à pleurer aussi) ... Et l’autre, qui est à cheval, c’est moi.

LE VALET: Et celui qui est derrière le poney, c’est votre père. (on entend du bruit, un brouhaha

de voix, des appels au secours). Regardez, Sire! Les gens qui mangent du fromage sont entrés dans le tourbillon.

LE ROI: (content) Ha, ha! Maintenant, faites vos preuves! Ils sont très nombreux!

LE VALET: Mais le tourbillon est grand, aussi (il rit aux éclats): Hop là, ils sortent du tourbillon,

ils nagent!

LE ROI: (on entend de nouveau cris) Les crocodiles! (ils rient encore) Les crocodiles! Là, je

comprends pourquoi les crocodiles étaient là – ils attendaient ceux qui réussiraient à se sortir du tourbillon. Comme on est fatigué, on ne peut plus opposer de résistance et hap, hap, hap ... (il s’amuse copieusement, riant aux éclats).

LE VALET: Qu’est-ce que j’ai été inspiré de faire la planche! Si nous avions nagé normalement,

maintenant nous aurions servi de repas aux crocodiles. Hap, hap, hap! (ils les  regardent d’un air étonné). Hélas, les pauvres! L’eau est devenue toute rouge! (ils rient en donnant des signes de folie)

LE ROI: (il fait un pas vers la rive, se penche et trempe son doigt dans le fleuve) Viens! (le valet

trempe son doigt à son tour, tous les deux portent leurs doigts au nez, puis goûtent): Quel arôme!

LE VALET : (il se met à genoux, prend un peu d’eau dans le creux de sa main et boit): Quel goût

... Votre Majesté, je pourrais jurer que c’est du vin du Danubius!

LE ROI: C’est extraordinaire ... Le meilleur vin du Danubius n’arrive pas à la hauteur de celui-ci.

(il y goûte avec plus d’appétit) ... Hmm! J’ai un soupçon.

LE VALET (déjà éméché): Dites!

LE ROI: Serait-ce possible?

LE VALET: Quoi, donc? (goûtant le vin du fleuve)

LE ROI: Serait-ce le secret de fabrication du meilleur vin du monde?

LE VALET: (déjà éméché) Peu importe, Votre Majesté, il est bon, il est vachement bon! Buvez,

buvez, il y en a plein! Plus on en boit, plus on a soif!

LE ROI: Tu vois ce que je vois? (étonné)

LE VALET: Je vois quoi? Un fleuve immense où coule du vin. Le meilleur vin du monde.  (il

est déjà ivre) Vive le vin! Et les crocodiles!

LE ROI: Je te demande si tu vois quelque chose de l’autre côté. Sur l’autre rive.

LE VALET: Tiens, le vieux machin, là-bas, ce n’est pas celui qui nous fournit en vin du

Danubius?

LE ROI: Justement, je me posais la question.

LE VALET: C’est bien lui. Quoi? Il remplit les tonneaux avec un seau? Ça alors, espèce

d’escroc! (il crie vers lui): Hé! Ho! … toi, là-bas! Putain, pendant tant d’années il nous a roulés dans la farine! (il crie très fort): Hé, le mec! Quand je pense qu’il me racontait des histoires, comme quoi on prend la grappe, on prend chaque grain, on en sort les pépins à l’aiguille à tricoter, on les laisse sécher au soleil une heure le matin pendant un mois, puis on les laisse fermenter, pour ensuite y ajouter je ne sais quelles plantes – j’en ai oublié le nom, pourtant je les avais notées – on l’aère et ... Espèce d’escroc! Je me suis cassé la tête tant d’années et, en fait, il l’a à l’œil ! Hé! Ho! ... qui penses-tu pigeonner, espèce de fumier? J’ai envie d’aller le noyer! Putain de merde! Qu’est-ce qu’il m’a énervé, le vieux coquin! Votre Majesté, si vous permettez, je vais le tabasser! (il veut partir)

LE ROI: Tu ne vas nulle part!

LE VALET: Compris! Je ne vais nulle part! Putain, qu’est-ce qu’il m’a énervé le vieux

coquin! Espèce d’escroc, avec son système de fabrication ...  Si je le harponne, je le tue,

j’enfonce mon couteau dans son ventre! Putain de vieille canaille de merde! Regarde-moi

ça! Regardez comme il remplit les tonneaux avec son seau! Il est vachement rapide. Et quand il venait chez nous il se tenait à peine sur ses quilles (il l’imite): Oh! Oh! S’il vous plaît, aidez-moi à descendre le tonneau, s’il vous plaît!

LE ROI: Maintenant je sais pourquoi il se dépêche, le vieux machin.

LE VALET: Il a peur de moi. Hé! Ho! Le mec! Je le noie dans le vin. Espèce de vieille canaille

de merde!

LE ROI: Bah, il ne nous entend même pas! Il a peur d’autre chose.

LE VALET: De quoi?

LE ROI: Regarde en amont!

LE VALET: Ouah! (étonné) ... Les crocodiles se retirent!

LE ROI: D’ici peu il n’y aura plus de vin.

LE VALET: Ils ont mangé à leur faim! Et le tourbillon semble avoir disparu.

LE ROI: Il l’ont rempli, il marchent les uns sur les autres, ils s’approchent de la rive. Qu’est-ce

qu’on fait?

LE VALET: Je propose qu’on boive encore un peu de vin et puis qu’on se barre (il boit, puis il

prend sa fuite).

LE ROI: Attends! Attends-moi! (il court après lui mais quelque temps après il s’arrête, pressant

son ventre). Je n’en peux plus!

LE VALET: Bravo! C’est extraordinaire, ça! On est sorti du tourbillon, on a échappé aux

crocodiles et là, vous avez mal au ventre! Vous avez envie de chier? Là-bas vous n’aviez pas mal au ventre?

LE ROI: Non! Je te dis quelque chose, mais promets-moi de ne pas te fâcher!

LE VALET: Quoi?

LE ROI: Après que nous sommes sortis du tourbillon, quand tu faisais la planche et moi, j’étais

assis sur toi ...

LE VALET: (contrarié, il regarde effrayé) Alors?

LE ROI: Quand j’ai vu les crocodiles, j’ai fait sur moi.

LE VALET: (il pousse un soupir de soulagement) ... De toute façon, nous étions dans l’eau, nous

étions tout mouillés ... Dites donc ... (il regarde tout droit). Ce n’est pas une ville, ça? Là-bas, au loin?

LE ROI: (il regarde au loin) Si, c’est bien une ville.

LE VALET: Vite, on va peut-être trouver un médecin qui vous opère!

LE ROI: Et il faut encore quelque chose.

LE VALET: Quoi donc?

LE ROI: Que les gens qui mangent du fromage arrêtent de nous chasser. (il continue à courir)

Scène VI

Ils marchent en se tenant par la main, étonnés par ce qu’ils voient.

LE VALET: Mince, quelle ville!

LE ROI: Quelles rues!

LE VALET: Quels bâtiments ... Sire, vous allez jusqu’au bout de cette rue; moi, je vais par les

petites ruelles pour trouver un médecin. Allez tout droit pour éviter qu’on s’égare. On se retrouve au bout de la rue. Et surtout ne ralentissez pas. (il le regarde se retirer dans les coulisses)

LE ROI: Bon succès! ... (seul) Elle a l’air d’être inhabitée ... Quelle sorte de ville est-ce? Il n’y a

pas un chat. Ouah! Quelle vitrine! (il fait quelques gestes comme s’il dialoguait avec quelqu’un. Soudain on entend la voix du valet)

LE VALET: (il parle des coulisses) Hé! Sire! Sire!

LE ROI: (effrayé) Ils viennent? (il fuit, ils se rencontrent en coulisses, puis ils regagnent la

scène) ...

LE VALET: On avait dit qu’on se retrouverait au bout de la rue, non?

LE ROI: Je suis passé devant une vitrine ornée de petites lampes, il y a avait aussi un petit arbre

de Noël (il commence à pleurer) ... Et il y avait encore quelque chose.

LE VALET: Quoi?

LE ROI: Un poney ...

LE VALET: Un poney? (il commence à pleurer, il sort la photo et pleure encore plus fort) ...

Comme celui-ci?

LE ROI: Tout à fait ...

LE VALET: ... Celui qui guide le poney, c’est moi ...

LE ROI: Et celui qui le monte, c’est moi! Et derrière le poney, c’est mon papa (il revient

brusquement à l’état normal) ... Tu as trouvé un médecin?

LE VALET (en revenant sur terre brusquement, il remet la photo dans sa poche): ... Oui, mais il

y a un problème! Le médecin pourrait le faire, mais l’opération sera un échec et ce ne sera

pas de sa faute!

LE ROI: Mais de qui? De moi?

LE VALET: ... Vous m’avez démontré que vous étiez capable de courir. Donc, vous et le

médecin, vous seriez OK.

LE ROI: Et alors?

LE VALET: L’opération ne réussira pas.

LE ROI: Pourquoi? Je peux encore courir. Regarde! (il court)

LE VALET: Vous et le médecin, oui! Mais les infirmières?

LE ROI: Les infirmières?

LE VALET: Elles ne peuvent pas courir, elles sont trop grosses, l’opération nécessite deux

kilomètres et les infirmières s’essoufflent vite. Après un kilomètre, elles tirent déjà la langue ...

LE ROI: Nous n’aurons peut-être pas besoin de deux kilomètres. Un seul pourrait suffire.

LE VALET: Vous me faites rire. (d’une voix autoritaire) Si vous vous étiez fait opérer plus tôt,

oui, mais vous oubliez peut-être que vous avez une appendicite aiguë.

LE ROI: (d’une voix faible) Et ... toutes les infirmières sont grosses?

LE VALET: Toutes ... celles qui opèrent l’appendicite aiguë!

LE ROI: Peut-être que je n’ai pas l’appendicite aiguë.

LE VALET: Peut-être. Mais qu’est qu’on fait si le médecin vous opère et, un kilomètre après, il

se confirme que vous avez l’appendicite aiguë?

LE ROI: Tu as raison, il vaut mieux ne pas risquer! Dis-moi, les gens qui mangent du fromage ne

se fatiguent pas?

LE VALET: Non.

LE ROI: Pourquoi?

LE VALET: (d’un air intellectuel) ... Parce qu’ils mangent du fromage!

LE ROI: (il a une révélation) Ça y est,  je sais comment nous en débarrasser! Comment les

vaincre!

LE VALET: Comment?

LE ROI: (il lui entoure le cou de ses bras et l’embrasse): En empoissonnant leur fromage ...

LE VALET: (heureux, il l’embrasse à son tour) ... C’est extraordinaire! On met du poison 

dans leur fromage! ... Haaa! On met du poison dans leur fromage!

LE ROI: (sûr de lui-même) Et pour être sûrs que nous les tuons pour de bon, nous allons aussi

empoisonner leur eau!

LE VALET: (extrêmement enthousiaste) L’eau aussi! (tout à coup il s’arrête, surpris) L’eau?

Pourquoi l’eau?

LE ROI: Quand on mange du fromage, on n’a pas soif après?

LE VALET: C’est extraordinaire! Vous êtes génial! Quelle idée ... (il vient vers lui et l’embrasse)

T’es fort!

LE ROI: Elle m’est venue comme ça, spontanément, cette idée de poison ... Comme ça, je

pourrai me faire opérer tranquillement ... (il regarde autour de lui, surpris) ... Il me semble qu’on ne les entend plus. Peut-être qu’ils ont arrêté de nous poursuivre. Peut-être que nous nous sommes égarés et ils ont renoncé à nous chercher. Peut-être que ...

LE VALET: Les gens qui mangent du fromage ne renoncent pas si facilement!

LE ROI: Et pourquoi ils ne renonceraient pas? Si nous nous sommes égarés, s’ils ne nous

trouvent pas, ils vont peut-être aller ailleurs et nous voilà sauvés. Moi, il m’est déjà arrivé de courir après un lièvre et de le rater ... peut-être que nous aussi nous leur avons échappé!

LE VALET: Peut-être! Mais eux, ils ne peuvent pas aller ailleurs.

LE ROI: Pourquoi?

LE VALET: Parce qu’ils mangent du fromage, et ceux qui mangent du fromage ne s’égarent pas.

LE ROI: Elle est étrange, cette ville, j’ai peur, elle me donne une sensation très bizarre!

LE VALET: Ils se sont tous cachés, ils ont peur de quitter leurs maisons, ils ont peur des gens qui

mangent du fromage. Même le médecin a été très surpris quant il m’a vu, il a cru que j’étais un d’eux (il rit). Il m’a dit: "Tiens, prends tout le fromage, seulement épargne-nous". Le pauvre, encore un peu et il aurait fait pipi dans sa culotte!

LE ROI: Tu ne lui as pas dit que nous n’étions pas des mangeurs de fromage?

LE VALET: Si. Il était surpris que nous ayons réussi à traverser le fleuve. Jusqu’ici personne ne

l’a fait, nous sommes les premiers.

LE ROI: Et, malheureusement, pas les derniers. Je pense que nous devons fuir avant qu’il ne soit

trop tard. On n’a pas intérêt à être pris pour les mangeurs de fromage. Allons-y! Un, deux, trois! Un, deux, trois! Un, deux, trois! Stop! Ce n’est pas un magasin, ça?

LE VALET: (étonné par l’importance du magasin) Mince! J’en avais entendu parler, mais je ne

pensais pas qu’il puisse être si grand! (il lit en épelant): Su-per-mar-ché. Sire, il n’y a personne. Aah! Je sais! Rien de plus simple! Le poison, on le trouve au rayon "poisons", le fromage au rayon "produits laitiers", l’eau au rayon "eau". Dépêchons-nous!

LE ROI: Moi, je monte la garde ici, à l’entrée, et toi, tu entres et règles l’affaire.

LE VALET: Fiez-vous à moi, Votre Majesté! (il va dans les coulisses)

LE ROI: Hé! Reviens un peu!

LE VALET: Oui!

LE ROI: Il faut fixer un signal au cas où les gens qui mangent du fromage arrivent.

LE VALET: C’est vrai. Voilà ce qu’on va faire: j’y vais, vous montez la garde et, dès que vous

les voyez approcher, vous roucoulez trois fois comme une tourterelle! Comme ça, je

saurai que les gens qui mangent du fromage approchent!

LE ROI: Parfait. Vas-y! (le valet s’en va; brusquement, le roi panique): Hé! Ho! Attends!

LE VALET: (il revient vite) Qu’est-ce qu’il y a? Ils arrivent, les gens qui mangent du ... ?

LE ROI: Ah, non, excuse-moi, mais je ne sais pas roucouler comme une tourterelle. Au fait, je

ne sais imiter aucun oiseau.

LE VALET: Merde! (effrayé et fatigué) Vous m’avez donné une de ces trouilles! Bon, alors,

que savez-vous imiter?

LE ROI: Le ...

LE VALET: (il imite le grognement du cochon) ...

LE ROI: Oui, le cochon. Ça, je peux! (il imite le grognement du cochon) Alors, quand je

grognerai trois fois comme le cochon (il imite le cochon d’un air très heureux) sache que les gens qui mangent du fromage s’approchent! Va! (le valet s’en va) ... Hé! Attends un peu!

LE VALET: Qu’est-ce qu’il ya encore?  

LE ROI: Après avoir mis du poison dans le fromage, s’il te reste encore du temps, pourrais-tu me

trouver un bain de bouche? Seulement si tu as du temps ...

LE VALET: Si j’ai du temps, oui! ... (il s’en va)

LE ROI: ... Flûte, qu’est-ce que j’ai oublié! (il commence à souffler dans ses mains). Je ne

l’appelle plus. Ça va l’énerver. Comment est-ce que j’ai pu oublier une chose pareille! Quel con! Je ne peux pas quitter cet endroit. Si je m’en vais alors que les gens qui mangent du fromage viennent, il n’y aura personne pour grogner et ils vont l’attraper. Et moi, comme un con, j’ai oublié de lui dire de m’acheter des cachets, des onguents ou des capsules contre les ascaris. Pas possible ... (il recommence à souffler dans ses mains). Comment  diable ai-je pu attraper des ascaris? (jeu de pantomime, comme s’il voyait une cabine téléphonique). ... Mince, regarde un peu les téléphones qu’ils ont, ces gars-là! Ils doivent être vachement aisés pour avoir des téléphones dans les rues. Au palais il n’y en avait qu’un et encore, il marchait à la manivelle. (il lit les instructions) Urgences 112! Décrochez et composez ... (il appuie sur les touches) 112! Je leur dirai que j’ai l’appendicite aiguë, que j’ai mal au ventre ... Allô, bonjour! J’ai mal au ... J’ai des ascaris! Ah, bon! Tu n’as qu’à les manger, toi! Elle a raccroché. (contrarié) Moi, j’ai des ascaris et cette espèce d’idiote se fout de moi. Ce n’est pas vrai! "Tu n’as qu’à en faire de la compote! Bon appétit!" Qu’est-ce qu’elle m’a énervé, cette connasse! (il recompose le numéro) ... Allô! T’es une vache! (il raccroche vite). Voilà! C’est dit! Regarde-moi ça, "bon appétit"! (il recompose le numéro et, imitant la voix  d’une vieille femme): Allôô ... Madame! Aïe! Aïe! Comment? Si je suis attaquée par les gens qui mangent du fromage? Oui! ... Oui! ... Je suis âgée, oui! Et je ne peux pas bouger. Comment? Si j’habite en centre-ville près du supermarché? Oui, c’est ça, près du supermarché! Comment? Où je suis attaquée plus exactement? ... (reprenant sa voix masculine) Au cul! (il raccroche vite, en éclatant de  rire) Eh, voilà! Parce que je suis roi elle pense que je ne sais pas dire des saletés? ... Ha! Elle a entendu parler du pays! (il s’arrête brusquement en murmurant): Les gens qui mangent du fromage? Au centre-ville près du supermarché? Mince! ... (il imite le grognement du cochon) Les gens qui mangent du fromage arrivent? (il grogne à plein gosier) Groin, groin, groin ... Hé! Ho!(il continue à grogner, mais d’une voix plus rauque). Groin, groin, groin (il panique) Comme un cochon, il a dit? Comme un cochon! Mon Dieu, comme un cochon ou comme une tourterelle? Ou comme ... hé, le mec! Viens vite! Ils arrivent! Mince !... (il grogne encore. Entre temps, le valet arrive derrière lui).

LE VALET: Psst! Psst!

LE ROI: (très effrayé, il lève les bras et tombe à genoux, en disant d’une voix faible) ... Ne me

tuez pas! J’ai des ascarides! Je suis malade! J’ai l’appendicite aiguë ...

LE VALET: Hé! C’est moi ...

LE ROI: (il se retourne lentement) Ouf, qu’est-ce que tu m’as fait peur! J’ai cru que ... (il

flaire). Ça sent le fromage! Les gens qui mangent du fromage s’approchent! Fuyons! (il prend la fuite et disparaît dans les coulisses).

Scène VII

Après quelques tours de scène ils s’arrêtent en haletant.

LE VALET: Votre Majesté, nous avons une bonne avance sur eux! Nous sommes dans une

bonne position stratégique, je pense donc que nous pourrions nous arrêter et regarder un peu en arrière.

LE ROI: (il s’arrête brusquement, flaire autour, puis il flaire le valet) ... Salaud! Tu es de

mèche avec eux! Tu m’as trahi!

LE VALET: (contrarié) Sire, je jure! Je ne suis pas de mèche avec eux!

LE ROI: (il le flaire) Tu sens le fromage! Tu m’as trahi! Tu m’as vendu! Judas!

LE VALET: (en essayant de lui expliquer, il constate que ses mains sentent le fromage) Votre

Majesté, ... mais je n’ai pas ... je vous le jure!

LE ROI: (il lui prend la main droite et la flaire) Vous vous êtes serré la main! Vous vous êtes

entendus! Tu m’as vendu! (il fond en larmes) Pourquoi? Je t’ai fait confiance. Tu étais la seule personne en qui j’avais confiance.

LE VALET: (en flairant ses mains) Votre Majesté! Je jure que je ne vous pas trahi! (il flaire

encore une fois). Je sais! Je sais pourquoi je pue le fromage. C’est parce que je l’ai

empoisonné! J’ai mis du poison dans le fromage! Oui! Oui, Sire! Je ne vous ai pas trahi! Je vous le jure!

LE ROI: Tu ne m’as pas trahi?

LE VALET: Non! Mais c’est bien d’avoir couru autant; maintenant nous sommes loin devant

eux.

LE ROI: (il s’arrête) ... Oui, tu as raison. (il s’assied)

LE VALET: (il regarde derrière lui, surpris, puis il s’assied aussi. Peu de temps après, il

met la main à la poche, voulant en sortir quelque chose. Pendant ce temps, le roi le suit des yeux, effrayé.)

LE ROI: Je savais que tu étais avec eux! Tu vois? Tu veux me tuer! Vas-y, sort ton pistolet et

tire! Tire! Qu’est-ce que tu attends? Ou peut-être qu’ils te donneront plus si tu me remets

vivant? De toute façon, j’ai des ascaris. Je suis malade! En plus, je souffre de l’appendicite.

LE VALET: Mais qui a dit que je veux vous tuer, Sire? (il plonge sa main dans sa chemise

et, avec des gestes amples de pantomime, il en extrait une bouteille de vin). On s’en est sortis sains et saufs et moi, je veux qu’on fête ça! Regardez le vin qu’ils ont ici, Sire!

LE ROI: En bouteilles? (il analyse la bouteille très attentivement)

LE VALET: Et quel assortiment! Je n’ai pas eu le temps de regarder toutes les marques, j’ai pris

celle-ci au hasard et j’ai décampé tout de suite, parce que vous m’appeliez! (il imite les grognements du roi)

LE ROI: Je ne comprends plus rien! Je quitte un endroit où le seul téléphone disponible était au

palais puis je me retrouve ici, où il en y a même dans la rue! Je quitte un endroit où l’aubergiste sert du vin tiré directement du tonneau et j’arrive ici, où le vin est en bouteilles et disponible en quantité!

LE VALET: Et ça, ce n’est rien! Il faut voir ce qu’il y a là-dedans. Tout ce qu’on veut!

LE ROI: À force de courir on ne sait même plus où on est. Nous n’avons même pas eu le  temps

de demander où on est et comment ils ont réussi à faire tout cela. Des magasins, des rues, des téléphones ...

LE VALET: À qui demander? Ils se sont tous cachés. Ah! J’ai failli oublier!

LE ROI: Quoi?

LE VALET: (il plonge sa main dans sa chemise et, des mêmes gestes amples de pantomime il

sort un flacon de shampoing) Alors?

LE ROI: (heureux comme un enfant) C’est quoi, ça?

LE VALET: Je pense que c’est pour ... les ascaris! Vous avez dit que, si on mange des feuilles de

noyer, les ascaris meurent, n’est-ce pas? Ben, voilà! J’ai vu deux noix et un noyer feuillu sur l’étiquette, alors je l’ai prise.

LE ROI: Fais voir! (il regarde attentivement, ne comprenant pas la langue): ... Head & Shoulders

(il continue à analyser l’étiquette).

LE VALET: C’est écrit dans une langue étrangère. Mais c’est sûr que c’est contre les ascaris,

s’il y a des noix et des feuilles sur l’étiquette! À quoi d’autre cela pourrait servir?

LE ROI: (d’un air supérieur, comme s’il comprenait ce qui est écrit dessus): Ah! ... C’est clair,

j’ai lu là. Je sais que c’est contre les ascaris, cela va de soi, mais moi, je regardais au verso ... pour voir le mode d’administration. La dose à prendre et combien de fois par jour.

LE VALET: Évidemment, vous n’allez pas boire tout le médicament à la fois, quand même.

LE ROI: Voilà! (très sûr de lui-même il veut impressionner le valet): Une cuillère à café matin,

midi et soir!

LE VALET: Seulement une cuillère à café? (il regarde le flacon à son tour)

LE ROI: (brusquement il regarde de nouveau le flacon) Non ... Attends! ... Voilà ... une cuillère à

café matin, midi et soir. Ah! C’est pour les enfants, ça! (en riant d’un air supérieur il fait semblant de lire). Pour les adultes ... Ah oui, voilà! C’est autre chose, ça! Trois cuillères à café matin, midi et soir.

LE VALET: Ah, oui, ça devient plus clair, maintenant! Une petite cuillère, ça aurait été trop

peu pour un adulte comme vous.

LE ROI: (en se justifiant d’un air intellectuel) Je n’avais pas lu le bon texte! Pourtant, il y a un

problème.

LE VALET: Lequel?

LE ROI: Je n’ai pas de cuillère à café.

LE VALET: (révélation) On va employer le bouchon, Sire. Trois bouchons égal trois cuillères!

Laissez-moi faire. (il lui prend la bouteille, il l’ouvre, verse le liquide dans le bouchon et lui donné à boire comme à un enfant) ... Voilà! Allez, ouvrez bien la bouche! Bravo! (le roi se secoue à chaque fois. Au troisième bouchon, le roi fait une terrible grimace) Bouchez votre nez si ...

LE ROI: Mais pas du tout, il sent vraiment bon! Par contre, il a un goût terrible, infecte ...

LE VALET: (il dirige le bouchon plein vers la bouche du roi) Allez, c’est le dernier, ce sera tout!

Voilà! (il lui caresse le ventre). Putain d’ascaris de merde! Maintenant, faites vos preuves! Non, mais … ils pensent qu’ils peuvent nous résister?

LE ROI: Il est dégueulasse, ce médicament. (en montrant des signes de nausée, il commence à

souffler dans ses mains) Écoute, tu peux me dire comment elle est, mon haleine? (soufflant sur son visage)

LE VALET: Oh, c’est bestial! Oh, Votre Majesté, quelle haleine extraordinaire vous avez!

Excusez-moi, pourriez-vous souffler encore une fois? (le roi souffle) Incroyable! Qu’est-ce que ça sent bon! (le roi souffle encore une fois) Épatant! (il s’approche du roi et lui dit d’une voix sensuelle): Votre Majesté, si vous permettez, pourrais-je avoir ... une petite cuillère de ce médicament? Je veux dire un bouchon!

LE ROI: Bon, d’accord, un bouchon, mais pas plus! Parce que toi, tu n’as pas d’ascaris.

LE VALET: (heureux) Oui, Sire, un bouchon, ce sera tout! Parce que moi, je n’ai pas d’ascaris!

Je vous en remercie! (il se verse rapidement un bouchon et le boit. Il a une réaction très étrange, il fait une grimace terrible.) ... Ça vaut la peine! (il commence à souffler dans ses mains) Super! (il ravale sa salive). Seulement, ça ne passe pas, je l’ai toujours dans la gorge.

LE ROI: C’est huileux! (lui aussi ravale sa salive, en montrant des signes de nausée). Je ne sais

pas si je pourrai suivre tout le traitement.

LE VALET: Quand même, Votre Majesté, nous n’allons pas laisser ces ascaris de merde être plus

forts que nous! C’est bien, un roi qui a mauvaise haleine!

LE ROI: Écoute, qui dit que je vais y renoncer définitivement? J’ai dit que je ne savais pas si je

pourrais suivre tout le traitement! (il fait semblant de lire quelque chose sur le flacon de shampoing) Parce que là c’est écrit qu’après administration il faut se rincer la bouche avec de l’eau ou du jus, selon les possibilités! C’est ce qu’ils disent sur l’étiquette!

LE VALET: Alors, c’est très simple. (il sort la bouteille de vin) Qu’est-ce qu’on a là?

LE ROI: Ah, oui! Ça change la vie complètement! Ouvre-la vite, je n’en peux plus (le valet ouvre

la bouteille, le roi la prend d’un geste rapide et boit un coup). Ben, voilà! C’est beaucoup mieux! Prends-en! (il s’assied)

LE VALET: (il s’assied lui aussi) Merci. Allez, à la vôtre! À notre victoire contre ... les ascaris!

(il boit d’un seul trait). Il est bon, ce vin! Si vous permettez, je peux me rincer un peu la bouche?

LE ROI (en pressant son ventre, fait "oui" de la tête).

LE VALET: (il boit d’un geste décidé) Oui, quel bouquet! Là on en sent vraiment le goût, Sire!

            Prenez-en!

LE ROI: (il boit un coup) Oui! Tu as raison. Avant, je n’en sentais pas le goût à cause du

            médicament.

LE VALET: Encore un coup! Allez-y! Encore un coup! (il lui donne la bouteille)

LE ROI: (il prend la bouteille et verse un peu de vin sur le sol) Nous devons penser aussi à nos

            ancêtres. (ensuite il boit d’un geste décidé)

LE VALET: (il verse aussi du vin, mais très parcimonieusement) Oui, à la mémoire de nos

            parents! (Ensuite il boit.)

LE ROI: C’étaient de très bons parents! (il boit et il tend la bouteille au valet) ...

LE VALET: (il prend la bouteille et boit) Oui, de très bons ... (il rend la bouteille)

LE ROI: (la bouteille à la main, il presse son ventre) Surtout maman ... maman qui (il boit et

            rend la bouteille) ...

LE VALET: Oui, surtout sa Majesté ... qui ... (il boit et presse son ventre, lui aussi) surtout qui ...

LE ROI: (il boit un coup, se rince la bouche, boit encore un coup, puis rend la bouteille au

valet): Il est un peu fort, ce vin! Il cogne! (il presse son ventre). Le problème, c’est qu’il passe par l’estomac. J’ai mal au ventre (il rend la bouteille) Aïe! Qu’est-ce que j’ai mal au ventre!

LE VALET: Oui, il est un peu fort! (il boit en chancelant) Au fait, moi aussi j’ai un peu mal au

ventre, mais je pense que c’est le médicament, pas le vin (à part). Il me tape sur la tête! (il rend la bouteille)

LE ROI: (il prend la bouteille et boit, tout en pressant son ventre) Ça ne peut être le

            médicament, il n’y a que du naturel dedans. Tu ne vois pas qu’il est fait de noix à cent

            pour cent?

LE VALET: (pompette, il prend la bouteille, boit un coup, puis il la regarde attentivement) Le

            vin aussi est naturel à cent pour cent, regardez, il y a une grappe dessus!

LE ROI: (il pète)

LE VALET: ... Pardon? (pompette)

LE ROI: (il presse son ventre, bien éméché lui aussi) Il y a une grappe dessus?

LE VALET: Oui, Votre Majesté, il y a une grappe dessus! Regardez. (il boit un coup avant de lui

            donner la bouteille)

LE ROI : (il parle déjà avec difficulté) Il ... y ... a ... une ... (il boit un autre coup)

LE VALET: (il prend un coup, lui aussi) Oui, il y a une grappe dessus ... (regarde l’étiquette

            mais ne retrouve plus l’endroit exact de la grappe) ... Là, enfin, par là ...      il y a une

            grappe! (il boit un coup et donne la bouteille au roi)

LE ROI: (il prend la bouteille et cherche le raisin) C’est extraordinaire ...

LE VALET: Qu’y a-t-il d’extraordinaire?

LE ROI: Il y a une grappe dessus! Il est naturel à cent pour cent! (ils sont déjà ivres)

LE VALET: À cent ... pour cent ...

LE ROI: Il est bon, mais il n’y a pas de comparaison possible avec le vin du Danubius. (il boit un

            coup)

LE VALET: J’avais pas pensé à ça! (il veut goûter aussi, mais le roi ne lâche plus la bouteille). Il

            n’y ressemble pas du tout, du tout? (il donne des signes d’ivresse incontrôlée)

LE ROI: (en buvant d’un geste décidé) Non! Il n’y ressemble pas ... (il garde la bouteille    et parle

            avec difficulté)

LE VALET: (il parle avec difficulté, la tête lourde) Pas du tout, du tout?

LE ROI: (en buvant encore un coup) Du tout!

LE VALET: (à part) Mince, je sais qu’il monté vite à la tête, ce vin! J’ai mal au ventre et à la tête

            et encore au ventre ...

LE ROI: Quoi?

LE VALET: Je disais que ... ce vin ... enfin, je me demandais … au moins, il ne vous rappelle pas

            l’odeur du "Danubius" ?

LE ROI: (déjà ivre, il prend encore une gorgée) Mais non, mais non, tu me prends pour un con?

Si je te dis que ça n’a rien à voir! Rien à voir! (il boit encore une fois, d’un geste décidé): Voilà! Absolument rien à voir!

LE VALET: (il ravale sa salive, visiblement éméché) Même la couleur diffère.

LE ROI: Oui, la couleur aussi ... (déjà ivre, il sèche la bouteille d’un geste décidé). La couleur

aussi est ... (il regarde la bouteille et constate qu’il n’y a plus rien dedans). Merde, je bois du vin et je ne sais même pas la couleur qu’il a! (nerveux, il rend au valet la bouteille vide) Dis, machin, il a quelle couleur? (il tombe sur le côté)

LE VALET: (déjà ivre et énervé parce qu’il n’y a plus rien à boire) "Dis, machin, il a quelle

            couleur?" Demande-le à ta vieille peau de mère! "Dis, machin, il a quelle couleur?" Va au

            diable, espèce de soûlard de merde!

LE ROI: (en se déplaçant avec grande difficulté) Qu’est-ce que t’as dit? C’est qui, le soûlard de

merde? Espèce de gueux! Putain, déjà que je te nourris à ne rien faire. Et maintenant, tu as le toupet de faire la gueule! Va au diable, toi et ta mère et toute ta famille de serviteurs! Espèce de gueux !

LE VALET: Quoi? Tu t’en prends à ma mère?

LE ROI: Oui, je m’en prends à ta vieille peau de mère, espèce de fripouille! Quoi?

LE VALET: Écoute, mec, tu sais quoi? Ne t’en prends pas à ta mère ... enfin à ma mère. Moi, je

n’ai jamais dit de mal de ta putain de mère alcoolique qui se vautrait dans les étables avec tous les serviteurs!

LE ROI: Quoi? Espèce de salaud! (ils se lèvent et commencent à se battre, se roulent par terre

tout en se frappant de plus en plus faiblement) Quoi? Salaud! Tu traite maman de pute? Va te faire foutre, espèce de fripouille! Tiens! Prends-en!

LE VALET: (il le flanque par terre, en le rouant de coups) Quoi? Espèce de fumier! Tu penses

            que tu peux me frapper comme ça? Espèce de gros tas de merde! Tiens! Prends-en!

Prends-en! J’aurais dû te laisser là, à te faire manger par les crocodiles! Espèce d’obèse! (il tombe sur le côté).

LE ROI: Quoi? Me laisser là? Moi?

LE VALET: Non, pas toi. Ta vieille peau de mère! Je l’aurais laissée volontiers se faire manger

            par les crocodiles, avec leurs grosses dents. Ah, oui! Très volontiers ... Mais il aurait

mieux valu qu’ils la mangent avant qu’elle ne te mette au monde ... Il y aurait eu un imbécile de moins ...

LE ROI: Quoi? Depuis quand donnes-tu ma mère aux crocodiles? Hein? (ils continuent à se

            battre, mais ils le font de plus en plus lourdement). Tiens! Prends-en! Ça t’apprendra à

vouloir donner ma mère aux crocodiles! Au lieu de me remercier de t’avoir sauvé la vie tu traites ma mère de pute? Salaud!

LE VALET: Qui a sauvé qui? Si je n’avais pas été là pour t’aider à traverser le fleuve, maintenant

            tu aurais été haché menu comme de la chair à pâté.

LE ROI: Ah, bon? Et qui t’a dit de faire la planche et de nager en aval?

LE VALET: Ben, oui, c’est normal, tu étais sur mon ventre! Si j’avais été tout seul, ça aurait été

            du gâteau! Je serais passé les yeux fermés parmi les crocodiles.

LE ROI: Les yeux fermés, tu dis? Tiens! Elle est raide, celle-là! Les yeux fermés! Tout comme

            ton patapouf de père les tenait fermés quand papa se tapait ta vieille! Bien fermés!

LE VALET: Oui, et quand il les rouvrait, il trouvait ta mère sous lui, dans l’étable. Madame avait

            sa séance d’équitation! Tandis que ton escogriffe de père jouait aux échecs. Parfois je

me demande à qui tu ressembles, gros comme tu es? Ton père – une grande perche, ta mère pas mieux ...

LE ROI: Ha! Ha! Ha! ... Tu es bien placé pour dire ça, toi, qui ne ressemble ni à ton mastodonte

            de père ni à ta vieille peau de...

LE VALET: Quelle vieille peau, espèce de ... ?

LE ROI: Celle qui t’a mis au monde!

LE VALET: Alors, tu t’en prends à ma mère? (il lui saute dessus et lui donne des coups dans le

            ventre)

LE ROI: Aïe ... Aïe! T’es con ou quoi? Tu m’a frappé à l’appendice! Aïe! Aïe! Ça fait mal ... (il

            pleure en geignant). Moi, je ne t’ai pas frappé à l’appendice!

LE VALET: (il a des remords) Excuse-moi! Je ne l’ai pas fait exprès de te frapper à

            l’appendice. Je ne l’ai pas fait exprès ... (il le prend dans ses bras et lui tâte le ventre) ...

            S’il te plaît, pardonne-moi! Tu me pardonnes?

LE ROI: Oui, je te pardonne ... Mais toi, tu me pardonnes?

LE VALET: Je t’ai pardonné depuis longtemps!

LE ROI: (pendant que le valet lui caresse la tête) Tu sais? Ça sent le fromage!

LE VALET: (effrayé, il regarde tout autour d’un air dérouté, puis il se rend compte que ce qui

            sent, ce sont ses mains) Ah! Soyez tranquille, Votre Majesté, ce sont mes mains qui sentent, vous ne savez pas que j’ai mis du poison dans le fromage?

LE ROI: (à moitié endormi) Aah! Moi, je pensais qu’ils s’approchaient, les gens qui ...

LE VALET: Au diable ces salauds! Ils m’énervent! Et nous, on se laisse chasser comme des

            cons!

LE ROI: Oui, tu as raison, nous devrions nous arrêter et les rouer de coups jusqu’à ce qu’ils

            crèvent! Pour les vaincre, nous devons les attaquer, nous!

LE VALET: Tout à fait! Et quand nous serons fatigués, nous nous mettrons dos à dos et nous

            les massacrerons jusqu’au dernier!

LE ROI: Jusqu’au dernier! Mais avant, je pense qu’il faudrait les torturer. À la mémoire de nos

            parents.

LE VALET: Oui, à la mémoire de nos parents. Je leur enfonce mon canif et je le tourne! Je les

            tue tous, ces salopards!

LE ROI: Au combat, donc! (très ivre et somnolent, à chaque réplique il laisse tomber sa tête sur

            la poitrine du valet)

LE VALET: Au combat!

LE ROI : (allongé sur le dos, la tête sur les genoux du valet) Dis donc … Tu ne veux pas

            souffler vers moi?

LE VALET: Au combat ... (il obéit)

LE ROI: Elle est vraiment agréable, ton haleine!

LE VALET: Au combat! (il souffle dans ses mains) Oui, ça sent bon. C’est grâce au médicament.

LE ROI: Au combat! ... Et la mienne, elle est agréable? (il souffle vers le valet)

LE VALET: Oh, là là! Qu’est-ce que ça sent bon! Soufflez encore une fois!

LE ROI: (il souffle encore une fois) Alors?

LE VALET: C’est incroyable! Très ... bon! Et moi ? (il souffle vers le roi)

LE ROI: Merveilleux! Naturel à cent pour cent! (il souffle à nouveau vers le valet)

LE VALET: À cent pour cent ... (il souffle encore une fois vers le roi, cela se répète plusieurs

fois jusqu’à ce que les deux finissent par s’endormir. La lumière s’éteint progressivement).

Scène VIII

 

On entend le chant du coq, la lumière s’accroît et on voit les deux personnages dormir dans les bras l’un de l’autre, à même le sol.

LE VALET (il se réveille, dessoûlé, lève la tête doucement et observe le roi, qui le serre dans

ses bras, encore endormi; il s’en libère doucement, ensuite se lève et va vers le fond de la scène sur la pointe des pieds. Après quelques pas il s’arrête et se tourne vers le roi.  Très doucement, il se met à fouiller ses poches. Enfin, rayonnant de bonheur, il lui soustrait de la poche de poitrine le flacon de shampoing, qu’il ouvre lentement. Il se verse un bouchon qu’il avale rapidement, il fait de terribles grimaces, rebouchonne le flacon et le remet dans la poche du roi. Il se lève et, toujours furtivement, il va vers le fond de la scène où il fait pipi. Ensuite il reste là, en soufflant dans ses mains.)

LE ROI: (il se réveille à son tour, en pressant son ventre. Brusquement il découvre que le valet

n’est plus paniqué. Il se lève et se met à le chercher des yeux. Il le voit et il se calme): ...

U-hu! U-hu!

LE VALET: Ah! Bonjour, Votre Majesté!

LE ROI: Il est peut-être bon pour les autres, pas pour moi! J’ai mal au ventre!

LE VALET: (il regarde le ventre du roi)

LE ROI: (contrarié) Qu’est-ce qu’il y a? Pourquoi me regardes-tu comme ça?

LE VALET: Quelle heure est-il?

LE ROI: Aucune idée, mais je sais que c’est le matin!

LE VALET: Ah, bon! Matin! Midi! Et soir!

LE ROI: Je ne comprends pas!

LE VALET: Le médicament! Il faut prendre le médicament contre les ascaris (il cherche le

            flacon dans sa poche, il l’ouvre et verse un bouchon, en voulant le lui faire boire).

LE ROI: Pouah! C’est dégueulasse! Écoute ... je le prends, mais pas avec du vin! Je me suis senti

            très mal, après ce vin ...

LE VALET: D’accord, Sire, pas de vin! Allez, voilà, ouvrez la bouche toute grande ...

            (il lui verse le médicament dans la bouche) Bravooo! (sans lui laisser le temps de

reprendre ses esprits, le valet le fait avaler encore deux bouchons de médicament). C’est fini, Votre Majesté! Quand même, nous n’allons pas permettre aux ascaris de se moquer de nous! (en le tapant sur le ventre d’un air espiègle)

LE ROI: Il est dégueulasse, ce médicament (soudain il s’arrête  et regarde tout autour, effrayé):

            Tu as entendu?

LE VALET: Quoi? (il regarde autour, aussi effrayé) Il n’y a personne. Il n’ya que nous deux et

            cet arbre-là. Le reste, c’est morne plaine.

LE ROI: Vite! Allons vers l’arbre! (il fait un tour de scène en courant lentement, puis il s’arrête

au milieu, en regardant vers le haut. Avec des gestes de pantomime il admire un arbre imaginaire. Il se lève sur la pointe des pieds.)

LE VALET: (jeu de pantomime) Prends-moi dans tes bras et soulève-moi pour que je puisse voir!

Aide-moi à grimper dans cet arbre! (le valet l’entoure de ses bras, le roi crie qu’il

a mal au ventre): Aïe! Mon ventre! Arrête de me serrer le ventre, espèce d’imbécile, tu veux faire éclater mon appendice? ...   

LE VALET: Excusez-moi ...

LE ROI: Écoute, tu vas monter sur mes épaules, pour voir ce qu’ils font, ceux-là, et tu vas me

            dire après!

LE VALET: C’est vrai, il vaut mieux que je monte sur vos épaules et puis dans l’arbre ... il faut

            pas faire d’effort quand on a l’appendicite (il peine à monter mais, enfin, il est sur les

            épaules du roi) ... Excusez-moi! Pardon!

LE ROI: Ça va, ça va! Arrête de t’excuser! Vas-y, va voir ce qu’il y a là-bas!

LE VALET: Excusez-moi! Je vous demande pardon, Votre Majesté! (en pleurant, il descend des

            épaules du roi)

LE ROI: ... Nous sommes encerclés?

LE VALET: Non!

LE ROI: Alors, pourquoi pleures-tu?

LE VALET: ... Cet arbre me rappelle mon papa.

LE ROI: (il regarde l’arbre imaginaire): Bon, ce n’était qu’un banal accident!

LE VALET: Mais non!

LE ROI: Mais oui!

LE VALET: Mais non!

LE ROI: Mais oui!

LE VALET: Mais non!

LE ROI: Mais oui, mais non! D’accord, je reconnais: c’est de ma faute, c’est moi qui l’ai prié de

grimper dans l’arbre pour m’attraper l’écureuil, mais je ne pouvais pas savoir que ton père allait glisser et tomber. Moi, je voulais l’écureuil, je ne voulais pas qu’il se tue! (il ne peut plus se maîtriser et fond en larmes)

LE VALET: Là vous comprenez pourquoi je pleure à chaque fois que je vois la photo (il    sort la

            photo) du poney?

LE ROI: (en pleurant, très ému) Oui, parce que le poney ressemble à un écureuil. (il pleure) Mais

            je te jure, je ne l’ai pas fait exprès ... moi, je ne voulais que l’écureuil!

LE VALET: Allez, allez, calmez-vous! Vous n’y êtes pour rien!

LE ROI: Si!

LE VALET: Mais non!

LE ROI: Mais si!

LE VALET: Mais non!

LE ROI: Mais si! C’est moi qui le lui ai demandé.

LE VALET: D’accord, mais vous ne pouviez pas savoir qu’il avait peur du vide.

LE ROI: (à la fois contrarié et soulagé par l’explication du valet): Il avait peur du vide?

LE VALET: Ah oui! Certainement. Il avait même peur de monter dans le grenier pour donner

            du foin aux chevaux.

LE ROI: Ce n’est donc pas moi qui ai tué ton papa? 

LE VALET: Non. C’était un accident banal, il a eu le vertige et il est tombé!

LE ROI: (il retient à peine ses larmes) ... "La hauteur, c’est bien quand on a un rocher

            sous ses pieds, pas une branche de noisetier." Je ne peux pas oublier ces paroles. Je ne

peux pas oublier son regard posé sur moi. Son regard, qui aurait dû être plein de fureur, était si tranquille et doux ... ses mains qui caressaient mon poignet (il étouffe ses sanglots). Je n’ai même pas eu le temps de lui demander pardon! Je ne sais même pas ce qu’il a voulu me dire ... "Tu es le garçon ... " (il pleure de façon incontrôlée). C’est pour ça que je voulais tout le temps aller dans la forêt; je ne l’ai dit à personne, même pas à toi, je faisais semblant d’admirer le bois et de vouloir déjeuner dans la clairière, j’inventais toutes sortes de discussions à la con dans l’espoir de trouver la réponse à la question qui ne me laisse pas tranquille depuis l’âge de 12 ans ... "Tu es le garçon ... " ? 

LE VALET: Il vous aimait bien.

LE ROI: (brusquement il presse son ventre) Aïe! Qu’est-ce que j’ai mal! J’ai très très mal! Aïe!

LE VALET: Fuyons! On va peut-être trouver un médecin, peut-être que ... Allez, Sire, que

            diable? Nous ne pouvons pas abandonner ... 

LE ROI: À ton avis, quelle avance a-t-on par rapport à ceux qui mangent du fromage?

LE VALET: Presque deux kilomètres!

LE ROI: Va chercher un médecin. Moi, je ne peux plus marcher, j’ai très mal ... Ah! Cette putain

            d’appendicite ...

LE VALET: Comment, Sire? Comment partir et vous laisser seul dans ce pays désert?

            Il n’en est pas question! Non! Je préfère vous porter sur mon dos ... Je vous ai aidé à

            traverser le fleuve ...    nous avons échappé au danger tant de fois ... Non, je ne peux pas vous laisser seul ici!

LE ROI: T’es con, ou quoi? Va chercher un médecin!

LE VALET: (il réfléchit, regardant  fixement l’endroit d’où ils sont venus)

LE ROI: Qu’est-ce qu’il y a?

LE VALET: Je retournerais bien en ville pour amener le médecin, mais qu’est-ce qu’on fait

            avec les infirmières, qui sont trop grosses et s’essoufflent après un kilomètre. L’opération

            sera un échec!

LE ROI: Peut-être que je n’ai pas l’appendicite aiguë! Peut-être que je n’ai qu’une appendicite

            tout court. Alors, nous allons faire l’opération ici, sur place. En plus, après, il nous reste

            une avance d’un kilomètre. Va!

LE VALET: Mais non, ça ne va pas! Si le médecin vous opère et qu’il se confirme que vous avez

            l’appendicite aiguë, la première partie de l’opération se fera ici, sur place, alors que la

            deuxième partie, nous devrons la faire en courant!

LE ROI: Très bien! Comme ça, il nous reste une avance d’un kilomètre!

LE VALET: Il nous reste une merde! Vous et le médecin, vous pouvez courir, d’accord. Mais

            que feront les grosses infirmières?

LE ROI: Ben, tu disais qu’elles étaient capables de courir un kilomètre.

LE VALET: Oui, en ville, où la route est bonne, mais ici, sur ce terrain accidenté ... dans cette

            broussaille ... elles vont trébucher, voire pire!

LE ROI: Et alors, qu’est-ce qu’on fait?

LE VALET: Nous ferons la première partie de l’opération en courant. Dans la deuxième partie

moi et le médecin allons courir et, si les infirmières tiennent le coup, tant mieux, sinon, on les abandonne et on poursuit notre course.

LE ROI: D’accord, et, comme ça, nous gardons notre avantage. C’est bien! Vas-y!

LE VALET : (sur le point de s’en aller, il se retourne brusquement) Vous, vous devez rester

            ici, près de cet arbre! Ne vous éloignez pas, car à mon retour je n’aurai pas le temps de

            vous chercher (il part en courant).

LE ROI: (seul) Ici, près de cet arbre! Parce que je ne peux pas courir. (il lève son regard, en

essuyant la sueur qui perle sur son front). Et ce soleil qui me fait fondre, qui brûle mon crâne ... (brusquement il lève les yeux) ... Matin, midi et soir! Le médicament! (il sort le flacon de shampoing et, faisant la moue, il se verse trois bouchons qu’il boit): Il est dégueulasse ce médicament. Si moi, je me sens comme cela, j’imagine les petits ascaris! (il remet le flacon dans sa poche de poitrine avec beaucoup d’attention, ensuite il s’allonge sur le dos. Soudain on entend les pas du valet).

LE VALET (très fatigué, à bout de souffle)

LE ROI: (il panique) Qu’est-ce qu’il y a? Ils viennent, les gens qui mangent du fromage?

LE VALET: Non!

LE ROI: Alors, pourquoi es-tu revenu? 

LE VALET: Voyons si vous pouvez deviner!

LE ROI: Oui, c’est ça! Tu penses que je suis capable de deviner quoi que ce soit par cette

            chaleur, avec ce soleil qui m’a carrément écrasé...

LE VALET: Le soleil? Avez-vous une idée de l’heure qu’il est?

LE ROI: Aucune idée! Il doit être ... midi passé.

LE VALET: Ah! Matin, midi et soir!

LE ROI: Quoi?

LE VALET: J’étais sûr que vous alliez oublier, alors je suis revenu.

LE ROI: Je ne comprends pas!

LE VALET: Le médicament! J’étais sûr que vous alliez oublier de prendre le médicament, alors

            je suis revenu. J’étais loin déjà ...

LE ROI: J’ai déjà pris le médicament!

LE VALET: Ha! Ha! Ha! Mon œil! Allez, on n’a pas de temps!

LE ROI: Je te dis que j’ai pris le médicament!

LE VALET: (d’un ton autoritaire) Votre Majesté, s’il vous plaît! On n’a pas de temps! (il

            fouille dans sa poche de poitrine, sort le flacon et commence à lui donner le médicament)

LE ROI: (en pleurant) J’ai pris le médicament!

LE VALET: Ça y est! Ce n’était pas la mer à boire! Vous l’avez versé par terre! On pleurniche

comme si on était des enfants. Maintenant soufflez! (le roi souffle à grand-peine). Ben voilà, c’est mieux. Pensez à l’agréable conversation que vous aurez avec le médecin et

les infirmières ... réfléchissez un peu: comment vous auraient ils regardé si ... vous aviez eu mauvaise haleine?

LE ROI: Va-t’en! Aïe!

LE VALET: D’accord, je m’en vais! (il s’arrête brusquement et regarde avec attention la poche

 contenant le médicament)

LE ROI: Qu’est-ce qu’il y a? Ne me dis pas que je dois en prendre encore! Je ne le ferai pas!

Même si j’en ai laissé tomber par terre, je n’en prendrai plus!

LE VALET: J’ai bien compris, vous n’en prendrez plus! Au fait, je voulais vous prier … si vous

me permettez ... de prendre une cuillère de médicament, c'est-à-dire un bouchon. Pour la

conversation, quand je leur parlerai de vous!

LE ROI: Tu peux tout prendre!

LE VALET: Oh ... il n’en est pas question! Ce serait le comble de vous laisser sans médicament!

(il se verse un bouchon, le boit d’un seul trait et rend le flacon au roi) Ça y est! Je m’en vais! (il s’en va en soufflant dans ses mains). C’est un peu huileux ... 

Scène X

LE ROI: "C’est un peu huileux ?!" Regardez qui parle, lui, qui n’en a pris qu’un bouchon! "Pour

la conversation, quand je leur parlerai de vous". Je voudrais le voir après six bouchons!

Je voudrais voir s’il a encore envie de faire de la conversation! Aïe! Qu’est-ce que j’ai

mal au ventre! Et ce soleil ... il me fait fondre (il se laisse tomber sur le côté,

en pressant son ventre) ... Aïe! Qu’est-ce j’ai mal, qu’est-ce que ça  me fait mal, cette

putain d’appendicite! En plus, j’ai la nausée. (brusquement il lève le regard, puis la tête,

en s’adressant à un personnage imaginaire) ... Hé! Fais gaffe de ne pas tomber!

Descends! Non! Ne grimpe pas, tu vas tomber! Je n’ai pas besoin de cet écureuil! Non!

Descends tout de suite, descends tout de suite, s’il te plaît ! Ne grimpe pas, tu vas tomber,

les branches sont minces et toi, tu as peur du vide! S’il te plaît, n’y grimpe pas, tu es trop

haut, je ne te vois plus, descends, viens ici, à côté de moi, je ne veux pas l’écureuil, je ne

veux pas que tu meures ... Pardon? Je ne peux pas grimper. Je suis trop gros, les branches

vont se casser ... Oui! Tu as raison, j’ai toujours eu envie de grimper dans les arbres mais

j’ai peur du vide ... en plus, je ne sais pas comment ces petites branches toutes minces

pourraient résister, avec deux gros ours dessus ... (il a une révélation). Avec deux gros

ours qui se ressemblent beaucoup ... (pause; il caresse ses poignets). Vraiment beaucoup!

"Tu es le garçon ..." ??? Une question dont je cherche la réponse depuis que j’avais 12

ans. Intéressante, cette manière de trouver une réponse. Mais je ne comprends pas

pourquoi il a fallu que je coure tant? Pourquoi il a fallu que je vienne jusqu’ici? Pourquoi

il a fallu que je passe par tant de tourments? N’y a-t-il pas d’arbres, là aussi? Pas comme

celui-ci, c’est vrai, mais il y en a! Comment ça, chacun son arbre, que veux-tu dire par là?

(pause; il regarde l’arbre imaginaire) Est-ce mon arbre? Alors, je ne peux pas dire que ça

me déplaît, ni que ça me déplairait d’y grimper. Mais j’ai peur! Je suis trop gros et les

branches pourraient se casser sous mon poids, j’ai peur, je pèse trop, je ne peux pas y

grimper! Comment? (il enlève sa couronne, il la soupèse) Tu as raison, ça pèse beaucoup.

Oui, je me sens beaucoup plus léger sans couronne. A vrai dire, je n’ai jamais aimé d’être

roi (on entend le valet).

Scène IX

 LE VALET: (il entre, paraissant très fatigué) Votre Majesté! Vous êtes là? Je ne sais pas, mais

j’ai le chic pour m’égarer ... J’ai vu deux arbres identiques. Au début j’ai couru vers l’autre. Une fois là-bas, j’ai vu que vous n’y étiez pas, alors j’ai eu une de ces peurs! Et puis je suis accouru vers celui-ci. Je ne comprends pas comment l’autre arbre a pu pousser si vite. Il n’était pas là quand je suis parti!

LE ROI: (il n’entend pas ce que le valet dit; il parle d’une voix faible, en regardant le ciel) Aide-

            moi à grimper dans cet arbre, il faut que je grimpe dans cet arbre!

LE VALET: (désemparé) Mais ... vous ne me demandez pas ce que j’ai fait? Quelles nouvelles je

            vous apporte?

LE ROI: Je te demande si tu m’aides à grimper dans cet arbre!

LE VALET: J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle!

LE ROI: Dis-moi la mauvaise!

LE VALET: Quand je suis arrivé là-bas ... j’ai demandé de voir le médecin et on m’a répondu

            qu’il était mort depuis quarante ans, tout comme les infirmières ... quarante ans ... (confus,

            il ne comprend pas). Deux kilomètres à l’aller et deux au retour ... Quarante ans?

LE ROI: Et l’autre nouvelle?

LE VALET: Et l’autre nouvelle ... les gens qui mangent du fromage arrivent, Sire!

LE ROI: Aide-moi à grimper dans l’arbre!

LE VALET: Ce serait un bon endroit pour faire votre discours, car cette fois-ci ils ne veulent pas

            nous tuer!

LE ROI: Comment ça?

LE ROI: Ceux qui voulaient nous tuer étaient leurs parents. Ceux-là n’existent plus et ceux-ci

            affirment être leurs enfants. Ils trouvent qu’une grande injustice a été faite, c’est donc

pour cela qu’ils nous couraient après. Ils voulaient se faire pardonner, Votre Majesté, et, le plus important est qu’ils veulent que vous soyez leur roi!

LE ROI: Aide-moi à grimper dans cet arbre!

LE VALET: (il soulève le roi avec difficulté, et en le regardant, il s’aperçoit qu’il lui manque la

couronne. Il se penche et pique la couronne, en voulant la lui remettre sur la tête. Le roi s’y oppose) Mais, Votre Majesté, vous ne pouvez pas les recevoir nu-tête! Cela ne se fait pas!

LE ROI: Cette fois-ci, c’est toi qui porteras la couronne! Le vrai roi, c’est toi!

LE VALET: Votre Majesté, trêve de plaisanterie! Les gens qui mangent du fromage arrivent et

            ils sont très nombreux! Nous n’avons plus de temps!

LE ROI: ... Le temps! Un simple mot, rien d’autre, un mot qui englobe tous les autres ... Tous!

            Un mot qui prend de l’importance seulement lorsqu’il ne peut plus être prononcé.   (il regarde vers le haut comme s’il parlait à quelqu’un) Comment? (il rit, heureux) Aide-

            moi à grimper dans l’arbre, là où ce mot n’existe pas! (le visage tourné vers le ciel) Hé,

            fais gaffe de ne pas tomber!

LE VALET: (confus, il lève la tête et ne voit personne) Sire, les gens qui mangent du fromage

            arrivent!

LE ROI: Et ils ont besoin d’un dirigeant! Ce dirigeant, c’est toi!

LE VALET: Sire, ne jouez pas avec les mots!

LE ROI: "Les mots" ... oui, il en reste très peu. Et ça, c’est à cause du temps, ce mot maudit qui

            se nourrit des autres mots. Il faut que je fasse attention à ce que je dis parce qu’il reste très

            peu de ... mots!

LE VALET: Les gens qui mangent du fromage arrivent!

LE ROI: J’ai besoin d’une feuille de papier et d’un crayon, il faut que j’économise les mots. Et

            ça, c’est à cause du temps qui les dévore comme ces crocodiles. Seulement, à la

            différence des crocodiles, le temps n’est rassasié que lorsqu’il avale le tout dernier mot.

LE VALET: (les larmes aux yeux, il sort la photo et un crayon) Je n’ai que cette photo, vous

            pouvez écrire au dos!

LE ROI: (il prend la photo et la regarde) Celui qui monte le petit cheval, c’est moi!

LE VALET: (en pleurant) Et celui qui guide le petit cheval, c’est moi!

LE ROI: Et celui qui est derrière le petit cheval, c’est ton père!

LE VALET: Mais non! C’est votre père, le roi!

LE ROI: Oui, c’est le roi, mais ce n’est pas mon père. Mon père, c’est ton père, regarde

            avec attention la figure du roi! (le valet regarde avec attention)

LE VALET: (il regarde et il a du mal à croire, il tâte son visage, il réalise qu’il ressemble à

            l’identique au roi)

LE ROI: Alors?

LE VALET: (d’une voix faible) C’est moi! Et celui qui guide le petit cheval, c’est encore moi!

LE ROI: Et celui qui monte le petit cheval, c’est moi! (péniblement, il prend la couronne et

            la pose sur la tête du valet, puis il s’adresse à lui solennellement): Votre Majesté, le

            peuple vous attend!

LE VALET: (les larmes aux yeux, d’une voix faible) Je ne sais quoi leur dire! Je ne sais que faire!

            Je ne sais pas les diriger!

LE ROI: Mais si! Tu le sais très bien! Et il faut que tu saches aussi que je n’ai jamais aimé être

roi; le vrai roi, c’était toi. C’est toi qui as dirigé tout le temps, moi, je n’ai fait que te suivre, c’est tout! Tu m’as dirigé on ne peut mieux, tu m’as amené à l’endroit où j’ai pu trouver la réponse qui m’a hanté toute ma vie. L’arbre! Je vous remercie, Sire! Et pardonnez-moi si parfois je me suis trompé ... (il tend la main vers la photo). La photo, il faut que j’écrive, je ne peux plus parler!

LE VALET: Mais vous pouvez m’entendre! Je vais leur parler, de vous, de nous ... (il regarde

             le public, il laisse le roi par terre, il se lève solennellement, d’un air imposant)

LE ROI: Et moi, je vais écrire ...

LE VALET: Oui! Écrivez! Écrivez! Votre Majesté (il fait un pas en avant). Chers amis, je vous

remercie d’être venus en si grand nombre aujourd’hui! Je vous remercie pour la confiance que vous avez encore en cette couronne (il prend la couronne qu’il porte sur la tête et la montre au public) qui, au fil du temps, a été le symbole de la justice et de la prospérité! Je vous en remercie. Faites-moi confiance que personne et que rien ne peut nous arrêter dans notre marche vers un monde nouveau, un monde que nous laisserons en héritage à ceux qui viendront après nous. Et maintenant, recueillons-nous à la mémoire de nos parents. (très attentivement, il pose la couronne sur le sol et s’agenouille devant elle, la tête baissée. Puis, tournant sa tête vers le roi, il lui demande en murmurant): Qu’est-ce que vous en pensez, Sire? C’était bien?

LE ROI (il fait "oui" de la tête, en souriant)

LE VALET (il reprend sa position initiale)

LE ROI (il meurt tranquillement, laissant tomber la photo)

LE VALET: (il se lève dans une attitude imposante) Je vous remercie! (il s’aperçoit que les gens

            qui mangent du fromage sont toujours à genoux): Je vous remercie! (il regarde la salle,

effrayé, fixant un spectateur) Dites-leur de se lever! ... Quoi? Ils ne peuvent pas le faire? Pourquoi? ... Comment ça, ils sont morts? ... Ils sont tous morts? ... ...Quelqu’un a empoisonné le fromage (il crie, en donnant des signes de folie). Quelqu’un a empoisonné le fromage! (avec des mains tremblantes, il prend la couronne et la pose doucement sur le sol, puis, en regardant ses paumes, il crie fort): Quelqu’un a empoisonné le fromage! (il pleure, sans pouvoir se contrôler) Pourquoi? Comment ai-je pu faire une pareille chose? Comment! À qui demander pardon maintenant? (brusquement il se retourne vers le roi): Votre Majesté ... ils sont tous morts! (il réalise que le roi est mort aussi) Sire! Sire! (il prend la photo et lit): "Pardonne-moi, je ne peux plus écrire, aide-moi à grimper dans l’arbre, le temps est venu!" Le temps, ce mot maudit! Mon temps! Son temps! (il montre le roi) Votre temps! Le temps! Un mot qui englobe tous les autres mots! ... Haine! Amour! Peur, courage, envie, arrogance, pauvreté, richesse, douleur, joie, cupidité, dignité! Tout ça, ce sont les mots de mon temps! Ce mot qui mange les autres mots (lentement, il se laisse tomber sur le côte): Aide-moi à grimper dans l’arbre! Le temps est venu! (il tombe sans vie à côte du roi).      

Signaler ce texte