On n’y fait pas attention au début. C’est un ronflement régulier, un ronronnement de moteur ou de turbine, tellement monocorde qu’il disparaît avant même d’avoir surgi. L’oreille n’y prend pas garde. Bien sûr, il y a le bruit des camions, ceux qui arrivent, repartent, ceux qui s’arrêtent et, le cul ouvert près des portes des hangars, offrent le contenu de leurs tripes aux transpalettes qui virevoltent comme des mouches. Eux, sont silencieux, à peine imagine-t-on le suave frottement de leurs roues pleines sur le bitume des quais. Or, ce qui domine tout : le cri des goélands. Passent, rodent, râlent, on ne sait s’ils s’interpellent, s’ils se plaignent ou s’envoient des messages. Ils sont d’évidence à l’affut des bateaux et de leurs déchets, les sardines éclatées sur le quai quand le filet s’ouvre au-dessus des grandes caisses métalliques qui partent à la criée. Oui ils sont prudents, ne se risquent pas trop tant que les hommes travaillent. Sitôt l’aire désertée, ils se jettent, s’écharpent, à qui aura le bec le plus féroce pour s’octroyer les meilleurs morceaux. Il est d’un autre monde, le goéland des vitesses qui traverse les murs invisibles en emportant les âmes pures.