Les jardins à la française
Rodolphe Gayrard
LES JARDINS A LA FRANCAISE
Comme la vie est fantaisiste parfois ! Rien ne serait jamais arrivé si je n’avais pas emprunté ce chemin plutôt qu’un autre.
J’étais en promenade, un dimanche de Pâques... Seul, je déambulais dans les méandres d’un jardin à la Française... Le soleil courait vers l'ouest, lentement, en prenant soin de chauffer les pierres blanches des chemins. L’ombre des hauts bosquets s’étirait sur le sol et donnait un peu de fraîcheur à ces allées. J’étais perdu dans mes pensées et suivais mon chemin puisqu’il était tout droit.
Arrivé au cœur d’un carrefour végétal, il me fallut choisir une direction... J’avisai un couloir plus ombragé que les autres et me décidai à profiter de sa fraîcheur. Je replongeais le nez dans mes idées et reprenais mon pas de marcheur pensif. Il était question de mes amours tumultueuses qui n’apportaient à mon âme que des doutes... Les oiseaux sifflaient un air gai, sans doute en raison des multitudes d’insectes qui volaient dans l’air chaud et qui leur procuraient un menu abondant. Les graviers crissaient sous mes semelles et je m’imaginais foulant une neige vierge. J’arrivais au bout de l’allée, bien décidé à prendre à droite.
Je l’avais décidé à l’avance car je ne voulais pas m’arrêter... Une halte aurait, à coup sûr, coupé le fil de mes tergiversations. Alors, comme un seul homme, ou un homme seul, j’amorçai le virage, collant mon épaule droite à l’angle du bosquet. Je levais les yeux rapidement pour m’assurer que la route était bien droite et je n’eus pas le temps de les baisser. Une main sèche s’abattit sur ma joue dans un claquement métallique. Une douleur vive saisit ma joue, qui me fit monter des frissons dans les pommettes.
Je reculais, une main sur le visage et l’autre prête à parer un second coup. J’ouvris les yeux et découvris, plantée comme une écharde dans la lumière, une jeune femme. La main en l’air, prête à recommencer...
J’avançais prudemment vers elle, sans doute afin de découvrir son visage. J’aime bien connaître ceux qui me giflent. Avant que je puisse ouvrir ma bouche douloureuse pour lui demander les raisons de ce soufflet, elle me coupait d’un ton qui ne saurait tolérer l’hésitation...
Qui êtes vous ?
Elle semblait agacée et je fus surpris d’en éprouver de la culpabilité.
Et vous même ? hasardais-je !
Sans doute, n’importe qui se serait excusé à sa place... Il était évident qu’elle m’avait pris pour un autre qui méritait, lui, sa colère...
- Que faites vous là ? reprit-elle!
Je me promène...
Elle considéra ma surprise et en parut plus irritée encore... Je fis un pas en arrière de peur qu’elle ne recommence et l’observais... Elle réfléchissait en dévorant la chair martyre de ses doigts.
Je profitais de l’accalmie pour lui poser la question qui me brûlait les lèvres, au propre et au figuré :
Puis-je savoir pour quelle raison vous m’avez giflé ?
Elle n’avait pas entendu ou refusait de répondre, elle continuait à mâcher ses doigts... Je ne la quittais pas des yeux et pensais à son acte et ses raisons... Je me retournais afin de vérifier que le véritable destinataire de la gifle ne se présentât dans les parages. Il ne devait pas être loin, elle avait fait une erreur de calcul voilà tout...
Sans doute se trouvait-il à quelques mètres, cherchant la sortie d’un dédale de buis. En tout cas ma promenade était terminée, je ne réussirais sans doute plus à me replonger dans mes pensées... Ça tombait bien, je commençais à m’y noyer. Elle était plutôt jolie, même si la colère lui donnait un air de statue de mauvaise humeur. Ses cheveux semblaient électriques et tournaient sur sa nuque fine. Ses yeux noirs devaient être plus clairs d’ordinaire et sa bouche plus rouge... Tout son visage marquait la fureur et je me pris à détester celui qui l’avait mise dans cet état... Le sang qui lui rosissait les pommettes s’était évanoui et son teint blanc n’était que l’expression d’une forte colère.
Plus exactement elle avait l’air vexée...Très vexée. Je pensais à un rendez-vous manqué. Elle n’était pourtant pas le genre de fille à qui on pose un lapin. Elle se tourna alors vers moi et déclara :
Vous ne deviez pas être là !
Où devais-je être ?
Ailleurs !
Mais j’étais ailleurs, c’est pour ça que vous m’avez surpris !
Ho ! ça va ! Ne jouez pas au plus fin...
Sa colère était étrange. Ou le type avait commis l’irréparable et une petite gifle semblait dérisoire, ou il s’agissait d’une broutille et son geste était disproportionnée. Dans les deux cas une rancune tenace lui tiraillait les entrailles. Car après tout, elle avait préparé un guet-apens. Elle avait suivi l’indélicat jusque dans le parc, s’était mise en planque et au moment propice avait abattue sa vengeance...sur ma figure ! Il y avait préméditation. Tactiquement incorrect.
Du reste, j’aurais pu la lui rendre. Mais comment rendre un coup qui ne nous est pas destiné ? Ce n’est pas moi qu’elle avait giflé, c’est l’autre. Je ne pouvais pas non plus désigner une victime innocente parmi les passants pour assouvir ma vengeance.
- Écoutez, je vous ai pris pour quelqu’un d’autre... Me dit-elle, raisonnablement contrite.
Sans doute ! Minaudais-je.
En fait...
Et bien, je les accepte !
Quoi donc ? s’indigna-t-elle.
Vos excuses...
Mais je ne vous les ai pas faites…
Je ne suis pas pressé !
Écoutez, c’est mon mari... »
Il vous trompe !
Quoi ? Mais pas du tout...non mais ça va pas ?
Alors quoi...?
Hé bien ! Il a oublié notre anniversaire de mariage...
Le monstre !
N’est ce pas !
Ca mérite bien une paire de claques !
Ha ! vous trouvez aussi…
Sur les bonnes joues, bien sûr !
Cette discussion faite d’impromptus m’amusait et puis cela me donnait le loisir de la regarder. Je la trouvais de plus en plus jolie. Elle se calmait et semblait en confiance maintenant. Elle avait besoin de parler. Je n’avais pas spécialement envie d’écouter cette femme qui allait bientôt me raconter sa vie mais c’était l’occasion de passer un moment avec elle. Elle ne présentait aucun sentiment de culpabilité pour la gifle et je n’avais pas l’intention de lui faire un procès, ou de la forcer à me faire des excuses. Après tout ce n’était rien. Elle aurait pu gifler n’importe qui, elle avait juste besoin de parler. Elle parla. Jusqu’à ce que le soleil ne meure à l’horizon... d’ennui, sans doute. Ses propos étaient malheureusement sans intérêt... Elle ne faisait que répéter ce que sa mère devait dire déjà, et la mère de sa mère... Son père, lui, ne disait rien. Ils ne disent jamais rien...
C’était une conversation à vous rendre misogyne... Un monologue plus exactement. Et pourtant elle me fascinait. Ses yeux, ses gestes vifs, ses tics... Cette façon qu’elle avait de jeter sa tête en arrière pour chasser ses cheveux, qui lui revenaient aussitôt sur les yeux... Tout son corps était fin et élégant... Et son tailleur rouge n’y était pour rien. Ses jambes se plantaient en terre comme deux flèches.
Elle me donnait du « Vous comprenez, cher monsieur... » à tout bout de champ... Je comprenais mais je m’en foutais. J’aurais préféré qu’elle me gifle à nouveau pour la voir nature, dans sa colère pure... sans artifice, sans justification.
Et puis, un peu pour lui rendre sa claque, sans y penser je lui dis :
J’ai envie de vous !
J’avais déjà pris la gifle, je ne risquais plus rien.
Pardon ?
Elle me dévisageait, cherchant la plaisanterie, ou l’erreur... J’ai cru un instant qu’elle allait me donner l’heure, feignant de ne pas avoir compris...
J’ai envie de vous ! lui assénais-je derechef. Cette fois très distinctement. Je connais votre vie, j’en sais assez pour avoir envie de vous...
Je crus que sa mâchoire allait tomber, avec ses yeux...
Mais vous n’y pensez pas...me dit-elle pour se rassurer...
Là, honnêtement, je ne pense qu’à ça...
Mais enfin, c’est impossible !
Pas tant que ça...
C’est ridicule ! On ne se connaît pas...
Justement !
De nouveau elle semblait en colère. Le doute ! Cet affreux doute qui brise les barrières du concevable. Elle bredouillait, fouillait dans son sac, regardait ses pieds et les arbres, évitait mon regard et claquait l’ongle de son pouce sur celui de son majeur.
J’insistais.
J’ai envie de vous, maintenant !
Ne me pressez pas... j’ai besoin de réfléchir...
Vous n’auriez pas du me gifler, ça m’a donné de l’importance, depuis j’ai des droits...
C’est absurde !
Je crois que rien ne m’offense autant que lorsque on s’obstine à donner du sens à ce qui n’en mérite pas. Les impulsions telles que celle-là sont à consommer tout de suite, sans chercher à savoir si la logique morale peut s’en accommoder.
Je tournais alors les talons, mettant un terme à la valse-hésitation qui allait suivre. Je n’avais pas envie d’attendre. Je m’ennuyais. Et puis elle m’agaçait avec ses airs de femme bafouée. Je reprenais mon allée en sens inverse, espérant trouver au bout une autre gifle, plus fertile, et oublier cette minute saugrenue.
Vraiment, vous ne pensez qu’à ça vous autres... Revenez, il y a un hôtel à côté...
Je me retournai assez fier de mon succès et décidai d’allier mes gestes à mes paroles... Elle m’attendait à l’angle de l’agression. Arrivé à quelques mètres, elle se retourna et disparu partiellement derrière le bosquet traître. J’entendis sa voix, puis une autre, puis le son d’une claque, puis les pas de deux personnes qui s’éloignent. Elle venait de retrouver son mari et moi de perdre ma chance. Toute l’après-midi, je me questionnais sur l’avenir que les dieux auraient accordé à cette rencontre. La réponse tenait dans la gifle. Décidément, les jardins à la Française sont propices à la promenade...en solitaire.
FIN
Rod