Les jours s'en vont, je demeure

revolution

Tu as toujours rêvé écrire.

Tu as toujours aimé les mots. Ceux qui décrivent la passion, ceux qui ravivent la peine.

Tu as toujours trouvé qu'ils étaient emplis d'une magie ineffable. Celle de faire sourire ou pleurer. Celle d'adoucir ou d'exacerber. Celle de violenter ou d'apaiser. Celle d'aviver ou de réconforter. Celle d'embellir ou d'enlaidir. Celle de naître ou de tuer.

Tu as toujours pensé que les mots pouvaient vivre. Et souvent, sous la plume de tes rêves, tu les voyais se former d'eux-mêmes, se lier avec complicité et vivre d'une volonté propre. Les mots t'éblouissent et t'épatent. Ils te font rêver et frissonner. Ils te font voguer jusqu'aux confins de l'univers, alangui sur une barque sobre et fidèle. Ils t'emmènent à l'autre bout du monde, te font traverser les galaxies, t'immergent dans d'autres temps. Ils te font vivre par procuration.

Et peu à peu, ils te tuent aussi.

Pourtant, tu aimes écrire. Tu penses que c'est quelque chose de cathartique, de libérateur et de salvateur. Tu aimes avoir la main qui te démange d'envie d'écrire, et te brûle d'avoir trop écrit. Tu aimes avoir ces milliers d'idées qui te viennent à l'esprit. Tu aimes à penser si ceci ou cela serait une bonne idée, si lui ou elle ferait un bon personnage, si cette ou cette autre situation serait une scène propice. Tu aimes laisser ton imagination vagabonder et puiser un peu trop dans la réalité de ton quotidien. Tu aimes te nourrir de ces rêves évanescents en les octroyant par magnanimité à des personnages d'encre.

Tu aimes crier à travers la bouche de tes personnages. Tu aimes aimer à travers eux. Tu aimes sourire à travers eux. Tu aimes déverser ta peine à travers eux, grâce à ces mots ineffables que pourtant tu oses coucher sur papier. Tu aimes les torturer comme toi tu es torturé. Tu aimes les blesser comme toi tu es blessé. Tu aimes leur faire ressentir tes sentiments afin de t'en débarrasser.

Parce que tu n'en veux plus. Parce que tu as déjà donné. Parce que tu as déjà trop souffert. Alors tu délègues. Tu laisses ces personnages de papier prendre les travers, les tumultes et les revers de la vie à ta place. Tu te caches derrière ta plume.

Et tu écris. Tu aimes inventer et détruire. Tu aimes créer et briser. Tu aimes vivre et tuer. Tu aimes porter un masque t'assignant un rôle voulu. Tu aimes te cacher derrière des mots pour dissimuler tes maux. Tu aimes jouer avec les mots pour te construire des vérités irréelles. Tu aimes mentir aux autres et à toi-même. Tu aimes jouer la comédie. Tu aimes suivre la routine bien ancrée de ta vie toute tracée. Tu aimes obéir aux ordres des Moires. Tu aimes celui que tu es devenu par obligation.

Un mouton ignare.

Alors tu prends une plume, tu t'attables, et tu écris. Tu traces des arabesques de lettres entrelacées les unes aux autres. Tu dessines des phrases de merveilles. Tu dépeins des mondes de bonheur. Tu contes amour et amitié, bonheur et plénitude. Tu chantes la mélodie rêvée à travers tes mots d'encre. Et tu décris l'indicible. Tu portes sur papier ce cœur qui ne bat plus. Tu déverses cette douleur sourde, ce chagrin ineffable, cette brûlure acide. Tu écris, tout et n'importe quoi. Tu laisses ta main parcourir le parchemin raturé. Tu pleures, tu ris, tu veux oublier.

Tu espères qu'en couchant ces mots horribles hors de ton esprit, ils partiront et s'effaceront d'eux-mêmes. Tu essaies de les arracher à ton propre être avec une volonté farouche. Tu te broies les méninges pour mettre des mots sur ces sentiments qui périssent ton âme. Tu en inventes, tu les craches, tu les hurles, tu les molestes. Tu veux les balayer d'un revers de main. Tu veux qu'ils fuient face à toi – loin de toi. Tu as tort, tu le sais, mais tu t'en moques. Tu continues. Tu n'arrêteras jamais. Pas tant qu'ils resteront ancrés sous ta peau, dans ton âme, dans ton cœur.

Tu veux juste oublier.

Tu souhaites te perdre dans l'irréalité d'un monde futile. Tu souhaites te créer une vie heureuse, loin de cette douleur lancinante qui déchire ton âme et mutile ton cœur. Tu veux ta propre histoire. Tu n'en peux plus de vivre par procuration à travers les mots des autres. Leurs maux ne sont pas les tiens. Personne ne connait ces mots que tu utilises pour décrire ces maux universels qui pourtant deviennent uniques au contact de ton calvaire. Tu craches un venin nocif pour toi-même. Tu t'empoissonnes avec tes propres mots.

Et tu cries.

Tu hurles une douleur acerbe qui refuse de refluer et de te laisser en paix. Tu gémis, mais rien ne peut te guérir. Alors tu pleures, et aucun rire ne vient briser l'obscurité de ta peine. Parce que tu es vautré dans l'obscurité, et la solitude est ta seule amie. C'est la seule à savoir ce que tu es vraiment. C'est la seule à te voir tel que tu es vraiment. C'est la seule devant laquelle tu te laisses aller, tu abaisses le masque, tu montres ton mal-être.

C'est la seule, parce que tu ne veux pas de la pitié des autres, parce que tu sais qu'ils ne comprendraient pas, parce que tu ne veux pas ternir l'image qu'ils ont de toi. Tu es leur modèle. Tu es leur héros. Tu es l'homme pur. Et tu ne veux pas qu'ils te voient comme ces bêtes avides de batailles envers une garce disparue brutalement. Tu ne veux pas qu'ils sachent que tu espères ardemment retrouver les sensations perdues des affrontements, des querelles, des contacts farouches mais pourtant vitaux que nous entretenions. Tu ne veux pas qu'ils voient le vrai toi.

Celui que moi seule connais. 

Alors tu te caches pour hurler, tu te caches pour pleurer, tu te caches pour dépérir. Mais, assailli de toutes parts par tes amis, par cette famille qui t'a adopté, tu ne peux rien faire. C'est pourquoi tu écris. Pour déverser tes pensées. Pour évacuer tes sentiments.

Pour survivre.

Le clair de lune apparaît doucement dans ton dos, nimbant ton ombre d'une lueur éthérée. Et en voyant cet éclat diaphane te draper d'un manteau de soie, tu crois rêver. Tu espères rêver. Mais au fond de toi, tu sais pertinemment que tout ceci n'est que l'atroce vérité. Tu souffres d'un mal incurable. En silence. Solitaire. Et tu ne peux rien contre tout cela. Les étoiles effleurent tes joues perlées de sel. Sans pouvoir les essuyer. Sans pouvoir t'apporter le réconfort nécessaire. Sans pouvoir chasser la peine de tes émeraudes. Tes yeux se cachent, se dissimulent derrière tes mèches trop longues et tes paupières trop lourdes. Tu refuses que la lune, maîtresse de ta passion, te voie dans un tel état. Seule la solitude a ce droit. Tu as honte. Tu te sens pathétique. Tu deviens hargneux.

Tu pleures.

Tu écris frénétiquement une histoire de trahison, de cœur éteint, de mort. Tu inventes des personnages emplis de morosité, de chagrin, de douleur. Tu décris ton âme du moment. Et tu craches entre tes personnages ces mots que tu aimerais balancer à la gueule des autres. Mais chose impossible à faire, tu te soulages par procuration, via tes mots – pour laisser s'évaporer dans l'amère atmosphère tes sombres maux.

Tu osais rêver d'un monde meilleur. Un monde fait de monts et merveilles, où le bonheur serait à portée de main. Un monde étincelant de diamants et de douceurs, de tendresse et de compréhension. Un monde accueillant et réconfortant, qui t'aiderait et te sauverait, et non pas t'avilirait et t'ensevelirait. Un monde parfait. Un monde utopique. Car, lentement, l'Homme t'a perverti. Il t'a insufflé ce venin malsain qui t'a fait voir noir. Il t'a contaminé de ce virus du désespoir. Et tu as perdu ces illusions chimériques. Tu fais face à l'horreur de la réalité. Violemment. Telle une claque dans la gueule.

Douloureusement.

Et doucement, tu sèches tes larmes. Tu espères oublier. Tu veux oublier. Tu oublies. Tu tues tes sentiments en les rayant d'un trait rageur sur ce parchemin noirci par ton écriture fébrile. La violence de tes mots transcende la destruction de tes maux. Tu comprends que le bonheur est inatteignable. Tu comprends qu'on t'a menti toute ta vie. Tu hais. Tu grimaces. Tu trembles. Ta peine se métamorphose en rage. Ta douleur devient colère. Ton amour disparaît sous une couche de haine. Et tu te sens mieux. Tu oublies pourquoi tu pleurais. Tu oublies pourquoi tu souffrais. Tu en viens même à oublier pourquoi tu hais. Tu sais juste que tu as besoin de cette rancune. Tu as besoin de sentir tes veines bouillir. Tu as besoin de sentir ton cœur se noircir.

Tu as besoin de devenir insensible.

Tu as besoin d'être comme moi. Tu as besoin d'omettre ce cœur qui bat à l'intérieur de toi pour comprendre. Tu as besoin de délaisser ces sentiments qui te prennent à la gorge jusqu'à t'étouffer. Tu en as besoin parce que, au fond de toi, tu sais que je suis partie, que je t'ai abandonné, que j'ai préféré t'oublier à mon tour.

Tu sais ce que je suis. Et je sais comment tu es. Je te connais mieux que les autres. Je lis à travers toi mieux que les autres. J'ai vu ton vrai visage. Et je t'ai abandonné. Je le sais, je le dis, je le répète. Je suis partie. Loin de toi, très loin de toi, à des lieux de toi. Je t'ai oublié, même si parfois j'ai cette image éthérée d'un être en peine, d'une âme errante, d'un visage tordu par l'absence et le manque cruel d'un être cher. Mais je ne sais plus à qui appartient ces émeraudes, ces cheveux de jais ou ce sourire timide. J'ai oublié ton nom. Je connais juste tes agissements.

Tu veux devenir comme moi, pour comprendre quelles raisons m'ont poussé à agir de cette façon. Tu crèves d'envie de savoir le pourquoi du comment. Tu cries de rage et d'incompréhension. Tu pleures de douleur et de solitude. Tu désespères de connaître mes excuses. Le fait est que je n'en ai aucune. J'ai agi ainsi et pas autrement, parce que.

Point final.

Alors à quoi bon rêver, Bellâtre Déchu ? Nous ne sommes pas fait pour être ensemble, encore moins pour nous aimer. Oublie cette utopie, continue d'écrire, et déteste-moi. C'est la seule chose qui te reste à faire. C'est la seule façon de ne pas sombrer dans les abysses du désespoir. C'est le seul moyen de survivre.

Parce que tu dois vivre, Noah

Sinon, moi-même n'ai plus aucune raison de continuer à me battre.

  • Des pages entières, pas encore. Grand texte qui embrasse une multitude d'émotions et de sentiments. Je crois que DS aurait pu l'écrire aussi, en tout cas il lui va comme un gant. Et pas qu'à elle. Mais le texte n'est pas facile et ce n'est pas sa vocation. Oui, je suis d'accord avec DS il faudrait qu'il soit plus commenté, alors qu'il est déjà beau coup lu. Je crois que l'écriture est un exutoire, mais elle ne suffit pas.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Gants rouge gruauu 465

    eaven

  • Voilà c'est fait.
    J'espère que vous allez avoir des pages entieres de félicitations.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Dis pas ca 1 465

    divagations-solitaires

  • Merci énormément ! Je vous en prie, faites donc, ce sera avec grand plaisir.

    · Il y a environ 12 ans ·
    10458101 670985792956351 4263323953529205344 n

    revolution

  • Extraordinaire! Enfin ce n'est pas vraiment ce que j'ai ressenti, mais votre texte est rentré tellement loin dans mon cœur et mes pensées que je n'ai pas trouvé d'autre mots. Si vous le permettez je vais le partager avec le plus grand nombre possible.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Dis pas ca 1 465

    divagations-solitaires

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