Les limites du coeur. (extrait)
Jim Curtis
Et, comment un homme qui se pense le centre de son univers pourrait admettre que l'autre, son semblable, ne cultive pas, autant que lui, cette même illusion ?
James avait vécu la vie de ses rêves. Il retournait ce matin-là dans la maison, où il avait grandi. Les choses avaient changées et lorsqu'il franchit le seuil, son visage endurci se referma tandis que son regard cherchait quelque chose à quoi s'accrocher ; une photo de famille, un linge imprégné du parfum de Mère, les vieilles bottes de Pa', les sculptures de son aîné, mais hélas ! rien de tout cela, la Solitude seule l'attendait.
Longtemps après la mort de ses parents, il était confronté pour la première fois au sentiment d'être un orphelin, sans repères, sans passé ni avenir d'ailleurs. Le silence retentissant, qui régnait dans les nombreuses pièces de cette maison abandonnée, avait frayé son chemin jusqu'à son coeur dorénavant troublé, assailli de tant de questions sur les choses de la vie.
Le néant l'avait envahi et il ressentait coulait dans ses veines un cri de détresse, qu'il émettait bien qu'il ne veuille l'admettre. James a toujours su être fort, se comporter en homme, même quand il n'avait que sept ans. Aujourd'hui plus que jamais cependant, il avait besoin d'être un enfant et Mère n'était plus là pour le consoler, caresser sa chevelure tout en le rassurant de sa doucereuse voix.
Pa' a également su prendre soin de son dernier, son petit, qui s'était envolé du nid trop tôt. Il avait toujours les mots justes, un regard curieux, un esprit vif, une vitalité inépuisable. Il aurait été certainement fière de son fils, James, le journaliste, l'écrivain, le pianiste, le Vivant. Il était enfin là, accompli, réussi et ce matin-là, personne n'était là pour le voir.
Il se demanda vainement que faire avec tant de bonheur et à quoi bon avoir fait tout cela, si les personnes que nous aimons le plus ne sont plus là pour en jouir. Il prenait conscience du temps, qui fuit en nous laissant au bout du compte absolument rien. Il aurait été rassurant d'avoir ne serait-ce quelque chose à quoi se raccrocher. Une maison vidée de tout, fut-elle la maison où il avait grandi et s'était forgé, n'était guère suffisant comme héritage.
Il s'apercevait alors que même ce long apprentissage de la vie, qu'il s'était infligé n'était guère suffisant pour vivre avec détachement et ne pas pleurer la disparition des siens. Même avec notre éducation, nos valeurs les plus sûres, nos plus enthousiasmantes expériences, nos souvenirs les plus fantasques, nous sommes infiniment seuls - pensa-t-il. Alors oui, la vie est brève et les choses sont éphémères, rien ne dure, mais nous attendons cependant de ne commencer à vivre seulement et uniquement lorsque nous serions, selon nous, accomplis. Mais alors, nous nous apercevons qu'il n'existe guère de moment idéal, que la vie était là et qu'il fallait en profiter. Et, qu'elle ne l'est plus désormais et que l'on est au seuil de sa propre mort.
Nous sommes frappés alors de plein fouet par la violence d'une rude réalité. Nous avons patiemment tant attendus que notre travail rapporte son fruit et au moment où nous commençons tout juste à nous en délecter, où nous nous apprêtons à vivre plus intensément qu'à l'époque de la jeunesse, le constat est probant ; la vitalité n'y est plus, nous sommes las, faibles, mais épuisés surtout. Rien, plus rien ne nous appartient.
Jim Curtis.