Les Messagers de la Mort, tome 1, Prologue

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Les terres du Kenlödeor étaient ravagées par la guerre, une guerre qui durait depuis plusieurs siècles déjà, au rythme de quelques escarmouches violentes par an, entre les royaumes qui se disputaient les territoires. Ainsi trouvait-on trois grands royaumes, depuis la disparition des Ragnirs, véritables bêtes sauvages dévouées aux démons, et responsables, par le passé, de la chute de Crystälwand. Au nord vivaient les Humains, colonisateurs venus de par-delà l’océan, qui se sont appropriés les territoires septentrionaux au prix d’un exode des Maj’Karal. Et cela ne leur suffisait pas, leurs chefs désirant depuis fort longtemps les froides terres drahnites, encore plus au nord. Les Maj’Karal, quant à eux, avaient à nouveau colonisé les terres orientales, se méfiant des Humains et de leur propension à semer le chaos partout où ils passaient. Ces paisibles créatures de la Nature ne demandaient qu’à vivre en paix sur leurs terres, et c’est ce à quoi ils s’employaient depuis la création de leur nouveau royaume. Mais la corruption humaine créa d’abord les Norfangs, Humains devenus créatures de la nuit, condamnés à boire du sang pour survivre, qui s’établirent en royaume à l’ouest, malgré les chasses dont ils faisaient l’objet, autant de la part des Humains que des Maj’Karal. De plus, le sang humain leur offrait l’immortalité en échange de ce qu’il pouvait encore leur rester d’humanité…

Et il existait, avec ces trois royaumes, une force apatride, une nation sous-jacente qui vivait sur l’ensemble des territoires, à l’écart des villes, dans les forêts et les montagnes. Les Feör’Karal étaient à l’origine des Maj’Karal qui ont choisi de vivre parmi les Humains, qui leur apparaissaient si intrigants. Leur pureté de créatures de la Nature ne demeura pas longtemps intacte face aux colonisateurs, et ainsi naquirent les Feör’Karal, remplis de haine pure à l’égard de ceux qui furent leurs compatriotes dans les anciens temps. Cette haine se dirigea aussi contre les Humains par la suite, et ils conclurent alors une alliance avec les Norfangs pour détruire les deux autres royaumes. C’était le début de la Grande Guerre, qui allait déchirer le Kenlödeor pour les siècles à venir.

Partout sur les terres, la guerre et la mort suivaient les habitants. Le massacre de Beltharn restait dans toutes les mémoires… Beltharn, en plein territoire Norfang, non loin des frontières avec les deux autres royaumes, se croyait alors à l’abri de la guerre, tant la ville était peu développée et ne comptait que des Norfangs qui ne s’attaquaient ni aux Humains, ni aux Maj’Karal. Mais sa proximité avec les frontières en faisaient une cible particulièrement intéressante pour les stratèges des deux royaumes, et la cruauté de la guerre rattrapa rapidement cette petite ville… C’est ainsi que, un siècle plus tôt, le roi humain Rhaewan II le Cruel décida d’exprimer son ambition d’anéantir tous les Norfangs et déchaîna ses troupes sur Beltharn. Les Maj’Karal refusèrent de participer à cette action barbare, mais rien n’aurait pu arrêter la fureur meurtrière du souverain, motivée par sa haine des Norfangs, sous-hommes nés du Mal absolu et meurtriers par nature, selon lui. Cette haine le poussait à détruire tous les Norfangs, sans exception, et cela même s’ils étaient pacifiques comme à Beltharn. La ville servirait d’exemple pour tous les autres.

Les troupes de Rhaewan s’étaient alors massées pendant la nuit autour de la ville, prêtes à frapper au signal du roi. Celui-ci ne tarda pas. Au lever du soleil, Rhaewan II le Cruel lança ses troupes à l’assaut. Par une inhumaine ironie, en vue de faire le plus mal possible aux Norfangs, l’assaut fut mené aux premières lueurs du soleil, le jour où Merwen Galéas, alors roi des Norfangs, fêtait sa trentième année de règne. L’attaque fut violente, menée par des archers qui lançaient des flèches de feu à travers la ville, aidés par des catapultes dont les projectiles fracassaient les murs et enflammaient les rues. Les Norfangs couraient en tous sens, pris entre les feux, la lumière du soleil mortelle pour eux si elle touche directement leur peau, et les soldats qui se jetaient dans la mêlée.

Les troupes se déchaînaient et les cadavres jonchaient les rues, éventrés, égorgés, lancés à travers les flammes qui faisaient de Beltharn un bûcher comme personne n’en avait encore alors jamais vu… Pris d’une frénésie destructrice, insufflée par Rhaewan, les soldats pillaient, frappaient, brûlaient et tranchaient, tels une tempête de flammes et d’acier. Quand les flammes se calmèrent enfin, avec le fracas des lames et des catapultes, une vision d’horreur se dévoila à tous les yeux. Une vision qui suscita toutefois un rire dément de la part du roi Rhaewan… Le résultat du massacre était là, et chacun allait devoir vivre avec cette image dans ses souvenirs pour le reste de sa vie, et quelles qu’en soient les conséquences. Beltharn était devenu un charnier.

Corps carbonisés, mutilés, tranchés s’empilaient dans les rues et les restes de braises. Certains soldats pleuraient en découvrant leur œuvre, d’autres vomissaient. On retrouva Rhaewan II le Cruel juché sur son cheval, devant les portes de la ville, un grand sourire aux lèvres alors qu’il fixait les cadavres empalés sur ce qu’il restait de grilles et de murailles… L’image choqua plusieurs de ses officiers, mais il n’en avait cure. Seule importait pour lui son ambition de génocide des Norfangs. Et c’est à cette fin qu’il fit envoyer à leur souverain, Jotar Galéas, un message vantant son exploit et disant que c’était là le sort qu’il réservait à chaque Norfang à présent qu’il était entré sur leurs terres et ne comptait pas en repartir.

Mais Jotar Galéas n’entendait pas laisser un Humain, quel qu’il fût, massacrer son peuple jusqu’au dernier. Sa fureur fit littéralement trembler les murs du château de Karn, la capitale, et la réponse, en plus d’être claire, fut rapide. La dernière vision du héraut choisi pour porter la missive fut la nuit où brillaient la pleine lune et les astres au-dessus de l’océan, sur les falaises de Draösden. Il y fut décapité, sa tête renvoyée à Rhaewan et son corps laissé à la merci des mers, jeté du haut des roches. De ce jour, le conflit, alors fait de simples escarmouches rapides, était devenu une guerre sans merci, dont plusieurs villes humaines firent les frais. Les Norfangs, aidés des Feör’Karal qui demeuraient leurs alliés indéfectibles, menèrent plusieurs assauts en laissant toujours le même message de sang sur les portes de la ville ou du temple. Souvenez-vous de Beltharn ! Le message était clair, Jotar offrait à Rhaewan ce qu’il avait à offrir, ce qui poussa ce dernier à mettre de côté les dissensions avec les Maj’Karal pour enfin établir une alliance face à la menace commune.. Et le conflit s’enlisa ainsi pour les années à venir, sans vainqueur, sans avantage, ne faisant qu’augmenter les listes des noms de ceux tombés au combat. Rhaewan et Jotar ne tardèrent pas à les étoffer de leurs propres noms, mais leurs successeurs respectifs, Horten Ier le Pieux et Lhanar Galéas, n’étaient pas décidés à enterrer le conflit…

Jusqu’à cette bataille dans laquelle le souverain Norfang engagea toutes ses troupes en vue de détruire une bonne fois pour toutes l’alliance des Humains et des Maj’Karal, un siècle après Beltharn…

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