Les miettes de l'ombre

Nathan Noirh

Je fus brutalement otage d'une terrible compréhension, que malgré toute cette incertitude branlante et mal fichue, nous nous en préoccupions. J'étais si sûr du destin des hommes et de leurs actions, irrémédiable et infertile. Nous pointions du doigt les bouffons des audiences et les batailles des rois et des reines indifférentes à leurs propres paroles. Nous étions là, autistes, saisis par le mutisme absolu, la pâleur du froid comme futur certain et dur. Je ne comprenais pas alors pourquoi cette cavalcade fascinait et galvanisait, alimentant à son tour le feu de ces travestis désignés. Nous étions réclusionnaires d'un vice plus égrillard que jamais, gorgé par notre haine de l'humain, et notre amour de l'humain. Nous atteignions un stade avancé de mal-être et d'infirmité, une entité qui possède et trouble l'esprit, le rire et le dégoût se mêlait malgré nous dans nos voix et notre mansuétude. Les Hommes selon moi avaient troqués leur devoir de la connaissance par la simplicité du divertissement, leur innocence par la culture du corps. Une symphonie de l'écorché, un hymne au masochisme spirituel que l'on embrasse de bonne volonté. Nous n'étions pas totalement ignorant et ingénu de ces manoeuvres, nous étions parfaitement informés. Pourtant nous rions, nous pointons du doigt, nous partageons, nous parodions, nous expliquons, et nous insistons sur le détail, la pointe de la lance du Malin, et délaissons le corps du texte, le cœur du problème.


J'étais tellement contrarié et défrisé par toute cette agitation irréfléchie, que j'étais devenu un crève-cœur des relations sociales, un soldat anti-média et un acteur de la désinformation. Je voulais voir jusqu'où la bêtise humaine pouvait aller, jusqu'à quel point pouvait-elle ne plus devenir humaine, pour n'être qu'un amas de bêtes, sans logique ni conscience. L'Homme ne me plaisait plus et ne m'inspirait plus, et au-delà de ses actions, j'entrevoyais une gymnastique persistante à ne pas embrasser le changement. L'omnipotence du citoyen connecté et branché aux machines sans vie et sans cœur, l'asservissait de plus en plus. Son pouvoir se retournait contre lui et l'emportait dans sa propre prison de fer, de fils électriques et de barbelés. Cette patte de la puissance toujours en expansion, nous séparait les uns des autres, nous obligeant à construire nos propres barrières, nos propres murs. Cette symphonie sinistre de la terreur déguisée en toute-puissance et toute-connexion, n'était qu'un prélude à un avenir encore plus sombre. La bassesse de cette noirceur grandissante me faisait abhorrer un peu plus chaque jour notre évolution. Nous étions définitivement prisonnier de notre avenir, de notre obscurité, et de notre société en plantant métaphysiquement nous-mêmes nos propres barreaux. La terre des premiers nés n'était devenu qu'un souvenir placide, froid, édenté. Et pourtant. Une colère grandissante semblait immerger de notre ergastule, déchirant le plomb et la chaîne. Nous étions pourtant tous là, poussant de nos mains cette oppression que nous nourrissions, si proches des uns des autres et si loin de nous-même. Il m'est alors apparu cette croyance que l'Homme escomptait un autre avenir, un autre sort. Le temps des Hommes n'était peut-être pas de tomber et de faillir, mais bel bien de s'unir. Que malgré toute cette incertitude branlante et mal fichue, nous nous en préoccupions. Des corps se réunissant pour repousser l'esprit collectif, la pensée organisée. Notre réussite ne serait donc pas le pouvoir persistant, mais justement le manque de pouvoir. Si nous pouvons à chaque fois nous soulever lorsque nous manquons d'air, nous trouverons alors toujours une parade face à cet instrument de l'ombre. Nous ne ramasserons pas les miettes, les restes et la poussière.


J'étais si fier de faire parti des Hommes. Et j'étais fier, comme eux, de sourire dans un silence absolu et éternel.

Comme si nous disions :

« - Je serais toujours là, blanc, impassible, face à cette obscurité. »

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