LES MOTS
suemai
LES MOTS
Leurs mots, j'écoutais leurs mots. Si simples, si doux, si paisibles. Étendus nus sur un sable couleur d'amour et de bonheur, ils se regardaient et jaillissaient des mots, si brefs, si vrais, qui me torturaient. Jamais on ne m'avait parlé de la sorte. De ces mots d'amour douloureux. De ces mots pouvant se priver de regards, ne se lassant de naître et renaître.
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Camouflée derrière un énorme figuier, sous une température à vous enflammer, les mots coulaient toujours sous ce brasier d'une nuit cuisante. Ces mots qui provoquaient ma si paresseuse et si trouble mémoire, de tant de brulures rougies par un sang souillé. Mon soleil abdiquait lentement, ma nuit me réclamait. Mots veloutés, parfois rieurs, parfois trop tendres. J'observais. J'écoutais, jalouse, ces mots effleurant le sommeil qui les gagnait. Ces mots répétés en rêvant, en se retournant, en s'enlaçant. Ces mots assassins. Un meurtre parfait, sans bavures, ne laissant qu'une fine vapeur, incolore et chamoisée. Ces mots qui me brulaient, me couvraient d'une odeur de solitude, de servitude, d'une sueur, que m'enviait cette chaleur torride. Ils se répercutaient ces mots. Ils faisaient écho à tant d'autres mots non prononcés, non utilisés, fourbes de leur silence. Des mots de rage, amers, vicieux, aussi sales que ne peut être la saleté. J'écoutais toujours. Je savourais. Je découvrais mes envies, de ces nuits où tout se confond, parce que plus rien ne compte, que ces murmures, de petits mots chatoyants, caressants, faisant de moi une bête obsédées.
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Leur souffle de nuit chuchotait toujours ces mots avides de tendresse, de toutes ces beautés qui m'étaient inconnues. Mots d'hier, de nuit, de demain. Mots francs, honnêtes, vibrants. J'aspirais le parfum de chacun d'eux, je les apprenais ces mots, je les dégustais, j'en devenais, avide, friande, je les récitais, je les scandais ces mots.
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Pas de ces mots de fétus de paille, mots d'une vagabonde nuit, mots de l'oubli, si seulement l'oubli était. Je les regardais. Les mots se voilaient, se fragilisaient, mais je les entendais toujours. Ils m'aspergeaient de mes désirs, de mes passions, de ces moments que je croyais inexistants. Je tendais l'oreille et parfois une toute petite voyelle m'animait. Un simple mouvement de thorax, d'un corps se moulant dans les mots de l'autre. Ces mots impossibles à prononcer, impossible à donner, à recevoir. Les mots de la main invitante, de petits ronronnements, de cette jambe s'étalant sur un corps si ravissant, séduisant, de toute une immensité, voyage au pays des sens. Les mots sans retenus, sans filtres, m'émouvant et écrasant les restes de mes souvenirs, les croyant précieux : Je t'aime… passe-moi le sucre, chérie… regarde la mer, mon amour, j'affronterai ces vagues pour toi, ma petite princesse. Puériles, insipides ces mots, ils se prononçaient partout comme à l'unisson. Un tas de Quichotte aux montures infantiles, salis de paresse. Tas d'hypocrites, incapables et suffisants. Aujourd'hui j'apprends. Je me torture, je sais ces mots.
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Elle se nommait Héloïse et lui Lestat. Si beaux à regarder, à s'enivrer, à se dissoudre tel un comprimé effervescent. Je m'approchais. Il me fallait en savoir davantage. Je rampais doucement. Aussitôt un mot, aussitôt un arrêt, un silence. Je me faufilais tel un serpent curieux, désireux. Je les zieutais. Je les enviais. De ma vie pourrie s'effilochant de faux mots, rasoirs, têtus, hautains, mots de ces lendemains sans croissants de lune au petit-déj. Je connaissais pourtant de jolis mots, mais je ne savais pas qu'ils se prononçaient si merveilleusement, si sensuellement, si tendrement.
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Une maladresse, une branche craquante et apparurent les mots de l'impudence, de l'ignominie de ma curiosité. Lestat me fixait, m'hypnotisait. Dans ses yeux, luisaient des mots d'ivresse, autant qu'un cœur peut en supporter. Lestat me tendit la main. Il me caressait le cœur. Héloïse ajouta le sien. Leurs mots me devenaient accessibles. Je m'offrais à ce requiem.
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Je me retrouvais étendue entre eux. Héloïse et Lestat me chatoyaient le cou de petits baisers duveteux. Je me sentis perforée d'une grande chaleur, à peine un petit pincement apaisant. Mes yeux rougir quelques instants. Mes mots se turent. Couchée entre ces magiciens, ces orfèvres, je balbutiais déjà les mots de la paix, de la pureté. Dès lors et à jamais, nos mots se conjuguèrent. J'accédais à un absolu, à la grande table des élus, là où les mots ne se taisent plus.
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Je me nomme Astrid et je m'intègre à ce grand univers des mots sincères. Je deviens lentement ce mot, le plus puissant de tous les mots. Une âme … … et pour toujours s'offrant.