LES MOTS CRI

Pierre Pérès Allouche

Un soir de grand cafard, entre un disque et mon angoisse, entre toi et ma solitude, entre les mots que je te crie et ceux que tu étouffes...

Tu sais, quand je rentre le soir,

Heureux d’être chez nous,

Heureux de vous voir, heureux de vous entendre,

Toi, ma compagne, lui, mon enfant,

Et que ton seul accueil est un baiser furtif,

Alors j’ai mal.

Mal dans mon être, mal dans mon âme, mal dans ma peau,

Mal de penser que tu ne m’aimes plus.

Les gestes quotidiens, la télé qu’on regarde,

Les mots bêtes et banals qu’on échange au repas.
Toi, qui me comprends plus,

Moi, qui ne t’écoute plus,

Et lui qui est la seule passerelle

Au-dessus du fossé qui nous sépare ;

Notre seule réussite qui me rappelle qu’un jour

Tu t’es vraiment donnée...

Qu’ai-je dont fait, dis-moi,

Qui te fasse oublier que tu es ma compagne,

Que je suis ton époux, et que je t’aime encore ?

J’ai mal de ces mots que tu ne me dis plus.

J’ai mal de ces gestes que tu ne veux plus faire.
J’ai mal de cet amour que dois te mendier.

J’ai surtout mal d’ignorer si toi tu m’aimes toujours.

Si ce n’est que l’habitude,

Le quotidien ou la nécessité

Qui fait que nous restons ensemble.

J’ai besoin, tu entends, j’ai besoin d’un « je t’aime »

Que tu ne dis jamais.

J’ai besoin de l’amour que nous ne faisons que par épisode,

Que tu ne crois plus indispensable,

Et qui m’est si nécessaire.

Tu  penses pouvoir vivre sans et tu t’en accommodes.

Alors que moi j’ai besoin de ton corps.

Il suffirait de si peu d’effleurements

Pour être heureux...

Toi, tu ne comprends pas, ou alors tu fais semblant

De ne pas comprendre que j’ai besoin de nous,

De nous en entier.

Tu crois que mon travaille m’éloigne ;

Alors tu ne suis plus, étrangère à ma vie.

Tu te contentes d’être là, bonne mère et bonne épouse,

Et c’est tout.

L’amour s’est glacé, hiberné dans le temps.

En gagnant un foyer j’ai perdu ma maîtresse.

Pourtant si tu voulais, d’un simple mot,

D’un simple geste, d’un simple sourire,

D’un simple quelque chose qui ne s’achète pas

Mais qui a tant de prix ;

Si tu voulais me dire, me faire, me deviner,

Tout sortirait de l’ombre, tout deviendrait lumière,

Si tu voulais seulement me dire que tu m’aimes...

Recueil Les Mots Coeur, Editions Laïus, 2006

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