Les mouches à merde

David Humbert

Zap ! Zap !

Je suis chargé à bloc !

Je pointe mon doigt vers cette grosse dame avec son petit chien et vise en fermant l'oeil droit ! Zap !
Ses cheveux prennent feu et son chien tourne en rond en aboyant au bout de sa laisse!

Zap ! Zap ! Zap !

Je suis une bombe à retardement. Personne ne se doute de rien.
Je vise ce grand type avec le visage plein de boutons dégueulasses et Zap !
Il se retrouve propulsé contre le mur de la boutique de chocolats.
Mais je n'ai rien contre eux, alors je range mon doigt dans ma poche. Il ne faudrait pas que je touche quelque chose ou quelqu'un par inadvertance.
Ma puissance sera dirigée vers ce gros blaireau de Stanislas, un CM1 qui à la taille d'un 6ème mais le cerveau d'un CE1.

Hier, pendant la récré du matin, je l'ai vu embrasser Melinda derrière le petit muret.
Mon cœur a ralenti et puis s'est accéléré, j'avais l'impression de le sentir qui battait dans tout mon corps, ça m'a fait trembler. 
Melinda fermait les yeux, elle voulait sûrement pas voir cette grosse tête avec sa bouche pleine de dents de trop près.
Stanislas les avaient ouverts : on ne ferme pas les yeux quand on embrasse une beauté comme Melinda. 
Rien que d'y repenser ça me rend dingue.  Je ressors ma main de ma poche et Zap ! Zap ! Zap ! 

Je zappe tous ceux que je croise, pour de faux, car j'ai bien écouté le cours de Monsieur Perrin hier. 
Il nous a montré une expérience scientifique : il frottait une règle en plastique contre son pull et il faisait léviter des petits morceaux de papier. 
La science et la magie c'est quand même super proche. 
Après il frottait la règle et faisait hérisser les cheveux de Sonia. Cela m'a fait pensé à Magnéto des Xmen. 
Mr Perrin a expliqué que cela n'avait rien de magique, que cela s'appelait l'électricité statique. En frottant la règle contre de la laine, elle accumulait de l'électricité et quand elle touchait quelque chose, elle était libérée.

Zap ! Zap ! Zap !

A la cantine j'ai entendu Stanislas qui traitait Melinda de pute.
Il expliquait à ses copains (je les appelle les mouches à merde car ils sont toujours autour de cette grosse merde de Stanislas) que quand une fille embrasse un garçon sans être marié c'est une pute.
Je lui dit qu'une pute c'est une fille qui se fait payer pour embrasser quelqu'un. Que Melinda c'est pas une pute.
J'ai eu droit à des brûlures indiennes, les mouches à merde rigolaient.

Melinda, je l'aime depuis la maternelle. Elle le sait pas mais c'est pas grave, je l'aime assez pour deux.
Quand je regarde les mystérieuses cités d'or à la télé, je suis Esteban et elle est Zia, dans Tom Sawyer elle est Becky et moi Tom.

Ce matin, j'avais mis mon réveil une heure plus tôt.
J'ai enfilé mon pull en laine gris, celui que Mémère m'a tricoté et qui gratte le cou. J'ai frotté ma main gauche sur les manches, le plus vite possible, jusqu'à ce que mes muscles brûlent et j'ai continué encore.
Je sentais l'électricité remplir mon corps, et je frottais encore et encore...
Ma mère m'appela pour le ptit dej', je répondis que j'avais pas faim, il fallait que je ne touche à rien surtout.
J'ai même pas fait de bisou en partant.

Zap ! Zap ! Zap !


Je rentre dans la cour et je remarque tout de suite sa majesté des mouches.
Mon cœur bat plus vite et mes jambes tremblotes.
Je dois le faire. 
Je le vois déjà se tordre de douleur, hurlant, allongé par terre dans une flaque de sa propre pisse, les cheveux en flammes, de la fumée sortant de ses narines, implorant mon pardon, suppliant devant mon doigt abaissé mais encore fumant. 

J'avance dans sa direction, mon cœur accélère encore mais mes jambes ne tremblent plus. 
Je sors ma main gauche de ma poche et déplie mon doigt. 
Plus rien n'existe dans l'univers à part lui et moi.
Plus que quelque mètres.
Je n'ai plus de salive dans la bouche. Je ne peux plus reculer. 
Plus que deux mètres. 
Le doigt armé tendu vers ma cible quand  je sens comme une étincelle au bout de mon autre main. 

C'est Melinda.

"Wow ! C'est ça le coup de foudre ?"

Je réponds : "surement...", en rougissant. Je regarde la main de Melinda dans la mienne.

"Kathy m'a dit ce que Stanislas t'a fait hier à la cantine... Que c'était parce que tu m'avais défendue."

Elle soulève ma main et regarde les marques sur mes poignets.

Je marmonne que c'est normal, Melinda serre ma main plus fort.

Zap !

Je ressens une décharge lorsqu'elle pose ses lèvres sur les miennes.


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