Les Noces de Figaro
Véronique Pollet
Ils s'étaient rencontrés par hasard. De ces hasards qui n'existent que dans les films et qui font sourire tant ils paraissent artificiels.
Elle, elle venait là pour la première fois. Ça se voyait à sa tenue un peu trop soignée, à ses talons un peu trop hauts, à son maquillage un peu trop prononcé. Debout au milieu du vaste hall, comme rescapée d'un naufrage, elle était bousculée de toutes parts mais restait droite et immobile, tel un récif balayé par les vents. Son regard perdu cherchait un endroit où se poser qui soit solide et rassurant. C'est là qu'elle l'aperçut. Son aisance à se déplacer au milieu de cette foule bourdonnante, la fluidité de sa démarche un peu glissante, son sourire empreint de certitude qui s'étirait jusqu'aux yeux, tout démontrait l'habitué des lieux. Elle suivit des yeux le sillage de ce corps et se calqua sur sa trajectoire, déjà envoûtée. Elle arriva comme ça, sans le vouloir, jusqu'au bar, lui ne s'était pas encore retourné, n'avait pas encore senti cette présence prise dans ses filets.
Il commanda une coupe d'une voix chaude et assurée, elle fit de même d'une voix fluette et timide.
Le serveuse débordée lui fit d'ailleurs répéter sa commande, ce qu'elle fit, un peu trop fort, pour masquer son embarras. Et il se retourna. Son regard agacé par cette note discordante dans l'atmosphère feutrée et huilée de la soirée se posa froidement sur la coupable. Elle perdit pied en une fraction de seconde, rouge de honte, à nouveau noyée. Les paupières baissées, elle ne vit pas son expression changer. La douceur et la tendresse remplacèrent l'irritation quand ses yeux rencontrèrent ses épaules fragiles, quand ils glissèrent le long des bras serrés sur une poitrine menue et tremblante, quand ils descendirent jusqu'à ses longues jambes gaînées de soie, fines et énergiques, dépassant de cette robe rouge un peu voyante qui tentait de donner des allures de femme fatale à cette petite fille perdue. Il lui tendit une main secourable pour l'aider à retrouver son souffle et comme dans un rêve elle l'agrippa avec la force du désespoir. La chaleur de cette main dans la sienne, la douceur de cette peau sur ses doigts, plus rien d'autre n'existait. Elle porta cette main à sa bouche sans même le vouloir, ses lèvres s'y posèrent, entrouvertes et gourmandes, ses dents s'emparèrent, affamées, de cette paume offerte, sa langue aiguisée suivit chaque sillon et il ne put retenir un gémissement. Imperceptiblement, le monde autour s'éloigna, les laissant à leur rencontre. Quand enfin elle leva les yeux vers lui, elle connaissait déjà son goût, mélange de sel et d'épices poivrées. Lui avait déjà ce désir au creux du ventre qui le tenait un peu penché vers elle.
Ce samedi soir à l'opéra, il y eut deux sièges vides. Des bonnes places pourtant, choisies avec soin pour profiter pleinement tant du spectacle que de l’acoustique de la salle.