Les nuits canines

Möly

Torrent divin d'une chaleur enveloppante, la pression délassante du jet : elle savourait. Son corps se laissait couler, avec et sous l'eau, se nourrissait de ses bienfaits. Elle se délectait, bouche entrouverte, laissait ruisseler sur ses dents et ses lèvres, l'eau dégringolant de la douche, cascade bienfaisante. Les yeux clos, elle pensait et repensait à la nuit passée, revivant minute par minute chaque action, chaque mot, chaque geste. Puis, elle se tirait elle-même de ses divagations en arrêtant brusquement l'eau de dévaler le long de sa peau. Elle attrapait un peignoir dans lequel elle se blottissait. Enfin, elle rejoignait le lit, déposait sur ses poignets quelques gouttes d'huile essentielles de lavande et s'allongeait. Parfois, elle tombait de sommeil et d'autres fois, elle finissait par se relever, relaxée. Elle s'habillait et partait à la découverte de l'endroit où elle se trouvait

.

Chaque voyage, chaque vacance l'avait projeté dans des endroits fous. Elle découvrait et se découvrait elle-même. De pays en pays, de rencontre en rencontre. De nuit en nuit. Quinze jours par an qu'elle s'autorisait, seule. Durant cette quinzaine, elle se laissait aller à tout, elle devenait une autre, elle revêtait une nouvelle peau. Elle devenait cette autre part d'elle-même et cette parenthèse était si courte, qu'elle ne prenait pas le temps pour réfléchir et douter. Elle fonçait. Elle vivait. Aucune limite, aucune barrière, tout ce qui entravait sa liberté d'être qui elle était dans sa vie de tous les jours, n'existait plus. Ses plus beaux souvenirs de voyage étaient dans sa tête, sur son corps mais jamais sur la pellicule d'un appareil photo, l'écran d'un téléphone. Encore moins sur les réseaux sociaux. Ces vacances lui appartenaient entièrement, personne ne pouvait s'y introduire, personne ne pouvait en connaître les détails.


C'était elle, avec elle et l'inconnu. Elle, son corps et des inconnu.e.s.



Accessoire fétiche de ses soirées, presque indispensable pour arriver à ses fins ; elle faisait délicatement remonter le long de ses jambes d'élégants bas noirs. Quand il faisait bon, elle omettait parfois d'enfiler des dessous. Et quand l'air extérieur était hivernal, elle revêtait guêpière et sous-vêtements de dentelle. Un rouge à lèvre différent pour chaque soir, du mascara, une queue de cheval et rien de plus. Simple mais efficace. Tout résidait dans l'attitude, dans le regard, dans les gestes, les mouvements de jambes, le balancement des hanches. Dans les sourires, dans les moues. À chaque fois, elle était une autre femme. À chaque fois, un nouveau rôle mais toujours un bout d'elle-même.


Ce soir-là, dans une froide nuit berlinoise, elle troqua le peignoir douillet contre un manteau long et épais, qui cacherait sa jolie robe. Elle quitta la chambre, elle n'avait qu'un sac, quelques affaires. Il était 22h36, elle passerait manger un pad thaï dans un restaurant qu'on lui avait conseillé puis elle irait boire quelques verres de gin dans un bar avant de terminer dans un club. Berlin était bien réputée pour cela, elle revenait pour la deuxième fois, ça n'était pas dans son habitude. Normalement, elle changeait, il était hors de question de ne pas vivre une nouvelle expérience et cela impliquait de ne pas remettre les pieds dans un endroit connu. Mais sa première fois à Berlin remontait à quelques années et était un de ses meilleurs souvenirs. Si ce n'était son meilleur souvenir, alors, elle avait revu ses critères et s'était écoutée. C'était son envie et son désir qui primaient, elle les suivait aveuglément.


Un restaurant minuscule, coincé entre une supérette de quartier et une agence immobilière. Elle n'aurait jamais fait attention à cet établissement si on ne lui en avait pas parlé. Cet endroit lui plut immédiatement. Atypique, ne payant pas de mine mais surprenant. La décoration était choisie avec goût, essemblait plus à des choix de vieilles dames coquettes que de jeunes gens modernes. La lumière, tamisée, diffusé par de petites lampes disséminées de ci, de là, faisaient danser les ombres sur les murs et habillaient les visages des gens qui se restauraient à voix basse. Une ambiance presque sensuelle. Elle s'y laissa glisser avec délice. On l'installa sur une table collée contre un mur, mais qui faisait face à l'extérieur. Parfait. Le serveur était un jeune garçon, probablement le fils des patron.ne.s, intimidé mais aux petits soins. Elle le trouva adorable. Durant le repas, elle remarqua les regards d'un jeune homme qui dînait en tête à tête à quelques mètres d'elle. Elle sentait les yeux qui volaient, se posaient tantôt sur elle, tantôt sur l'interlocutrice en face de lui. Elle finit par se retourner discrètement pour appeler le serveur et elle en profita pour planter ses yeux dans ceux du jeune homme qui détourna discrètement le regard. Elle le fixa avec audace et assurance, il en fit glisser sa fourchette des mains. Elle sourit et sentit qu'elle avait ébranlé quelque chose dans la tête de cet homme. Elle décida alors de jouer avec lui, c'était un peu comme un entraînement. Dès qu'elle sentait le regard de celui-ci revenir vers elle, comme aimanté, elle relevait un peu plus sa robe, d'un geste distrait. Elle continua ce petit manège jusqu'à ce qu'apparaisse la jolie dentelle noire qui ornait le haut de son bas. La femme qui accompagnait sa cible se leva pour emprunter les toilettes. Elle se tourna alors vers l'homme, tout en mordillant sa lèvre inférieure, jetant encore une fois ses yeux sauvages dans les yeux égarés et intrigués de l'inconnu. Quand sa compagne revint, elle prit la relève en se dirigeant vers les toilettes. Tout en regardant du coin de l'œil son bel inconnu, elle fit un signe discret de la main. Une fois aux toilettes, elle se fixa dans le miroir et se décocha un sourire fier. Quelques secondes à peine et l'inconnu la rejoignit. Faisant mine de vouloir utiliser les WC, il toussota en tombant nez à nez avec la créature sûre d'elle qui lui faisait du rentre dedans. Il tenta une phrase bateau, l'air un peu hébété mais elle saisit son visage fermement entre ses mains et lui dévora la bouche. Lui glissant à l'oreille, dans un anglais presque parfait ; que son accent étranger habillait de sensualité, de fermer la porte et de faire vite.

L'homme ne se retint pas longtemps une fois le verrou enclenché. Elle tomba à ses genoux et fit glisser la braguette d'un coup sec, puis elle engloutit le sexe durci. L'homme ne put retenir un râle. Elle remonta, tout en faisant glisser sa langue sur le torse de l'inconnu, vers son visage affolé. Elle sortit un préservatif de sa cachette secrète et s'assura qu'iels pouvaient passer à la suite, sans conséquences désastreuses. Il l'attrapa fermement et la fit asseoir à côté du lavabo, là où se trouvait le miroir. « Baise moi » lui souffla-t-elle. Mais il avait déjà très bien compris et il en avait autant envie qu'elle.

Ce fut rapide, intense. Comme elle aimait.


Elle termina son repas, régla l'addition et continua sa soirée avec ce premier souvenir en tête. Un premier souvenir annonciateur de tant d'autres...



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