Les Nuits Égarées d'Archibald Naught #4 Semaine 3

maddie-perkins

Trois semaines.



Ecouter les gens, être attentif, sourire, répondre, subir — et toujours les entendre parler — encore et encore — et encore.

Il lui faut lutter contre la fatigue assourdissante qui se profile à l'arrière de son crâne, sous la chair tendre et les os friables. Tout menace de s'effondrer. Il le sait.


Depuis mercredi dernier, la musique du bar résonne, les sifflets et les maracas, une mélodie devenue détestable pour lui. A chaque instant, des notes frappent sa tête, comme une nuée de danseurs. Il ne peut plus réfléchir, ni même se concentrer, son sillage n'est plus qu'une samba endiablée et abusive. Il se voit danser dans les rues, vêtu d'un poncho, et poursuivi par un lama et une foule de personnes. Dans son imagination, les gens sont en colère. Ils le pourchassent, brandissant fourches et autres objets. Les hommes ont des moustaches longues et noires, les femmes portent des robes desquelles leurs affreuses poitrines tressaillent et rebondissent. Il hurle alors qu'il coure et rencontre un cul de sac. Enfin il rit.

Archibald se met à rire partout, à chaque fois que cette pensée le prend : au travail ou à l'épicerie, dans le métro ou les bus — lorsqu'il est seul chez lui.

Et aussi, soudainement, il pense : n'est-ce pas tuant d'accomplir toujours les mêmes choses ? Et les habitudes, n'est-ce pas tuant ? La monotonie, l'attente, se conformer au Monde, n'est-ce pas tuant ? Les jours, lundi, mardi, etc…, les semaines et les mois, des années de séjour prolongé dans la spirale temporelle qui s'écoule sans jamais s'écrier — Je suis en vie ! Ou un peu, parfois, de temps à autre. C'est tuant pense-t-il, la preuve — on meurt toujours à la fin.


- « Archibald, tu fais peur aux enfants. »

Lorsqu'il ouvre les yeux, regarde à gauche puis à droite, il voit leurs visages éphémèrescouverts d'une émotion terrible. Celle-ci obscurcit leurs traits, et leurs yeux minuscules le criblent d'attention. La garderie est silencieuse, ses collègues l'observent depuis la baie vitrée. Archibald se tient au centre de la cour et perçoit soudainement la pluie battante.Sa chemise est ouverte, ses cheveux tombent sur son front, des gouttes embrassent ses joues, et toujours ils le regardent — les adultes et les enfants — ces êtres autres que lui. Un instant il se demande, Qu'as-tu fait ?Mais il ne le sait pas. Ses souvenirs disparaissent.


La directrice l'avait convoqué dans son bureau. Il était entré puiss'était assis, les jambes croisées, les doigts tremblants. Ill'avait écouté ranger ses feuilles,etMmeDominiqueétait venue porter son regard sur lui.Elle avait vu alors cet être malade, maigre et blanc aux yeux trop caves — Archibald Naught n'avait pas toujours été ainsi. Archibald Naught s'était avéré normal, et peut-être même avait-il été heureux un jour, peut-être même avait-il rit. Personne ne le savait, car personne ne se préoccupait du sort d'Archibald Naught.

Ainsi,Mme Dominique s'était éclairci la voix puis avait dit :« Archibald, rencontrez-vousquelques difficultés dernièrement ? »Cette phrasetourne dans sa tête désormais, comme un mauvais air ou comme ces foutus maracas— ouais — cesputainsde maracas.

Le café où il se trouve est vide, un diner à l'américaine, à l'heure où la capitale se vide de ses traders, des ses hommes et de ses femmes d'affaires aux ourlets millimétrés et aux serviettes de cuir. Il les regarde se trimballer dans les rues, la mine infâme et les bras ballants.

Pendant ce tempsArchibaldcontemple son milkshake,il imagine la race humaine devenir pantomime et singes gesticulants, des Hommes articulations de parades et pantins menteurs.


Plongé dans ses sombres pensées, il tarde à remarquer celui qui traverse l'allée du haut de ses talons aiguilles. Les hanches étroites et roulantes, les cheveux longs et bruns, il s'accoude au comptoir et ôte son manteau de fourrure. Archibald fixe les fruits à la surface de son lait, les écrase du bout de sa paille, et sous les néons roses et bleus, l'étrange silhouette se déplace.

- « Je peux m'asseoir là mon bichon ? »

Archibald acquiesce, la gorge tarie et les lèvres closes. Il examine le jeune homme — la jeune femme — ignorant laquelle de ces appellations conviendrait le mieux. Il/elle lit la carte, ses longs ongles peints tapotant le plastique corné ; ses faux cils papillonnent.

- « Tu as un nom mon bichon ? »

- « Archibald. »

- « Moi c'est Marta. »

Marta pose la carte et croise les jambes, des poils soyeux les recouvrent.

- « Ton vrai nom, qu'est-ce que c'est ? »

- « Un vrai nom, glousse-t-elle, mais qu'est-ce donc ça qu'un vrai nom mon bichon ? »

Archibald l'observe, elle joue avec son collier de perles.

- « Quand tu étais un garçon. »

- « J'en suis toujours un chéri, c'est pas donné d'être une fille… »

Archibald baisse les yeux, Marta sort son paquet de cigarettes.

- « Tiens, prend ce briquet, je ne veux pas les abîmer. »

Elle ondule ses doigts, agite ses ongles vernis. Archibald approche, et contemple le rougeoiement de la flamme grandir sur le visage du jeune homme. C'est un beau visage, un visage surprenant d'où quelques cicatrices viennent marquer le coin de son oeil.

- « Merci bichon » dit-elle dans sa première bouffée.

- « De rien. »

- « Tu en veux une peut-être ? »

- « Non merci je ne fume pas. »

Marta sourit, lui souffle la fumée au visage en un rire enchanteur.

- « Tu ne fumes pas, tu commandes des milkshakes — à la fraise — tu es drôle. »

- « Aussi, je travaille dans une garderie. »

Marta rit de façon excessive, et son rire tinte aux oreilles d'Archibald. Alors un instant, il sourit, se moquant de sa propre condition.

  • Perte de la mémoire de plus en plus significative, on est tellement dans une routine, dans quelque chose qu'on ne veut pas voir en face, que cela s'échappe malgré nous... On le ressent très bien =)

    · Il y a plus de 8 ans ·
    24 10 15 matin suite (5)

    ladyquiet14

    • C'est ce que je voulais faire ressortir, cette impuissance face aux événements, etc.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      1505012013 p1050104 500

      maddie-perkins

    • Eh bien, ça ressort parfaitement ;)

      · Il y a plus de 8 ans ·
      24 10 15 matin suite (5)

      ladyquiet14

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