Les nuits égarées D’Archibald Naught #7 Semaine 7

maddie-perkins

Sept semaines.



Il marche et pourfend l'air froid, les floconscomme de la mousse, la rue est blanche :c'est un monde de coton où les pas ramènent en direction du passé. Iltente d'évoluer pourtant, point noir dans la ville, un point immobile alors qu'il voudrait être pressé.

Archibald a perdu son travail, et il ne sait où aller, quoi faire, pris au piège de la liberté provisoire. Alors, les yeux coulants et le visage dévoré, il aperçoit Marta sur le trottoir d'en face. La fourrure de

son manteau frémit tandis qu'Archibald traverse, sa longue chevelure est un nid de givre, elle grelotte, et ses chevilles d'homme s'entrelacent engoncées dans leurs bas.

Elle attend près d'un arrêt de bus, les cheminées fument en haut des toits, les voitures passent, et la neige toujours, s'effondre. Il la rejoint et ils vont dans ce café à l'angle de la rue. C'est un endroit calme qu'emplissent chaque midi les travailleurs. La télévision diffuse le journal d'information, une serveuse nettoie le comptoir, un vieil homme dessine au fond de la salle, absent. Archibald commande un espresso, Marta allume une cigarette, et le silence se fait caresse. Elle porte une robe mauve et un collier de perle, passe sa main au travers de ses cheveux tendres et recommence. Archibald, tu as l'air si triste dit-elle, est-ce l'époque ou est-ce le temps ? Archibald la regarde, droit dans les yeux, puis il dit : Peut-être les deux. »

Je n'ai plus de travail ajoute-t-il, et je ne sais pas s'il me faut pleurer ou m'en réjouir. L'homme conçu contre son gré approuve, goguenard, déclare que la vie est faite de morceaux manquants, de questions irrésolues et de rêves sans réponses. Ses yeux s'étendent sur son visage, bridés, ses sourcils denses, dessinés, soulignent l'évidence de ses convictions.

- Qu'est-ce que tu voudrais faire, de ta vie ?

Archibald l'ignore.

- Si tu avais le choix.

Que dire ? Que répondre ? Eviter de mentir ou partir en maintes idées préconçues.

- Je crois que je n'ai pas de vie.

Marta sourit derrière sa cigarette.

- Et enfin la vérité éclate.

Archibald se tasse sur la banquette rouge, il se frotte les yeux.

- Tu attends le trépas car tu ne peux être le Rossignol.

- Le rossignol ? dit-il.

- Il est temps que tu rencontres quelqu'un.

Et sans plus rien savoir, l'ennemi de la certitude, Archibald acquiesce.


La fatigue l'absorbe, tout entier il est à elle. Ses jours passent lentement, et ses mains supportent sa tête devenue creuse. Elle se vide peu à peu de tout ce qu'il a appris, de tout ce qu'il a acquis. La possession n'est pas un gage d'infinitude. L'Etre est changeant, il marche à l'encontre des poètes et de leurs rêves d'Eternité. Ô merci Dame Daphnis, image bien réelle, étrangère au lecteur baigné d'incompréhension.

Revenons à toi, Archibald, vieil enfant dépassé. Tu erres dans cette ville terrible qui t'insupporte, ce temple que les autres bénissent mais que toi tu exècres. Ce n'est pas que tu souffres d'une certaine cécité, mais que ton regard trop ouvert ne sait plus que penser. Tu es perdu en cet endroit où tu es né, perdu —écoute comme le mot chante, je l'entends résonner.

Marta lui a donné rendez-vous avec une amie. La Créatrice qu'il l'appelle, et l'appellation même le fait rire. Nous sommes le matin, tôt, le ciel est gris, Archibald a mal au ventre, une manifestation contre le gouvernement irresponsable défile. Ils hurlent dans leurs micros, foulent le pavé tandis que leurs chants se répercutent contre les immeubles. Archibald entend les trompettes et entre dans ce café. La foule s'éloigne.

A l'intérieur, c'est le calme plat, et celle qui l'attend demeure aux confins de la salle, écrivant. Alors qu'il approche, elle s'arrête, et Archibald reconnaît celle qui s'était moquée de lui lors de son incartade psychédélique dans ce même diner quelques jours plus tôt. Un instant il pense faire demi-tour, alors il croise son regard et agir ainsi lui parait inconcevable.

« Archibald » l'appelle-t-elle, « Je savais que tu finirais par venir ».

— Un milkshake à la fraise c'est ça ? J'ai passé la commande.

Il la remercie, souhaitant dissimuler cet ahurissement qu'il voit naître en lui. Il s'assoit.

- Alors, dit-il, vous connaissez Marta ?

- Oui, très bien, j'ai assisté à sa naissance.

- Vous n'êtes pas vieille.

- Non c'est vrai, je suis plus jeune que toi, une naissance n'est pas toujours physique.

- Alors vous parlez de sa renaissance, n'est-ce pas ?

- Peut-être… si tu veux.

Archibald acquiesce, perdu dans ses réflexions, tout autant que dans celles de l'étrangère.

- A quoi servent les manifestations Archibald ? — A protester, à exprimer un désaccord, à crier ce que trop de monde contient, à vociférer dans les rues à la face de ceux qui ont tort : « J'ai raison ». Le paradoxe c'est que dans chaque camps, chaque individu se persuade d'être du bon côté, alors que, tu l'as déjà entendu, tout est relatif.

- Mais quel est le but de cet exposé ?

- Le but c'est qu'il n'y en a pas, mais je pourrais dire que je l'ai dit, et toi, que tu l'as entendu.

Le bruit des fours au repos empli les lieux, ils sont seuls, la serveuse a disparu, il ne reste que le comptoir derrière lequel elle aimait à se cacher.

- Pourquoi viens-tu dans cet endroit ?

- J'aime leurs milkshakes.

La jeune femme sourit touillant le thé acheté en grande surface et revendu au prix fort.

- C'est étonnant, dit-elle, te voir répondre de telles idioties alors que visiblement, tu ne contrôles rien.

- Pardonnez-moi, et vous êtes très gentille, mais je ne comprends rien.

- Comment le pourrais-tu je n'en ai pas décidé autrement, pas encore.

- Pas encore, répète-t-il.

Les bras croisés contre sa poitrine, elle sourit.

- La neige tombe mais personne ne s'étonne de la voir venir du ciel, c'est si — normal. Si une

balançoire descendait des nuages, que ses cordes fuyaient depuis les cieux, nous serions fascinés !Un rien nous étourditetles belles choses nous échappent alors qu'elles suivent le cours inaperçu d'un vent pensécomme une valse — elle s'arrête un instant — Tu es comme je l'avais imaginé Archibald, si maigre et ton visage… si étroit, ta barbe… la sienne, toi l'avatar qui s'ignore… et qu'il ignore — pour l'instant.

  • J'ai bien aimé aussi ce chapitre. On avance, et en même temps on est tout aussi perdu que lui, j'ai envie de voir où tu nous emmènes. Le travail sur soi commence, et la remise en question approche. Ça rejoins vraiment le monde actuel qui lui ne se remet pas souvent en question...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    24 10 15 matin suite (5)

    ladyquiet14

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