Les nuits égarées D’Archibald Naught #8 Semaine 8
maddie-perkins
Huit semaines.
Un jour, je tuerai quelqu'un.
Déception. Des-illusions. Ce sentiment d'injustice alors qu'on a tout donné. Des critiques, des opinions. Retour à l'envoyeur. Un vide se crée, une purge qui évacue les errances restantes. Archibald était fatigué, plein de ces riens insolents et de ces tortures fragiles qui le tourmentaient. Il voulait n'être plus, se dissoudre, oublier, et n'être qu'incapable. Puis la raison, il l'abhorrait la raison. Pour lui, la raison ne faisait plus sens.
La folie est partout, autour de nous, de moi, de vous.
Dans la rue, les gens crient.
Archibald connaît l'homme du carrefour, celui qui se balance bouteille à la main, crachant l'âpre jus d'idéaux que le Monde a renversé. Il tangue et hurle ce que d'autres pensent bas.
— Fou.
Archibald connaît l'homme de l'école, celui qui déambule sous les marronniers, celui qui parle aux bancs aux feuilles mortes et aux oiseaux de Paradis.
— Fou.
Archibald connaît l'homme de la ligne noire, Nothern, celui qui vient d'un pays étranger. Cloué au sol car jambes décimées, il se traîne sur roulettes, quémandant monnaie et faisant peur aux enfants qui observent l'avenir pour ce qu'il est.
— Fou.
Archibald a envie de pleurer, déposé là à la face du Monde. Il aimerait pouvoir être lui-même — à l'extérieur — et ne plus jouer, ne plus s'imposer la norme qu'il rejette avec tant de conviction. Il aimerait chanter, être heureux, élevé quelques part sur les hautes branches. Il aimerait sourire et jouir de la vie qu'on promet, qui parait pourtant n'être qu'un leurre. Archibald Naught aimerait l'aimer cette vie, Archibald Naught aimerait tant de choses.
Aujourd'hui, il se rend chez son psychiatre, et Archibald marche à reculons. Il n'a pas envie d'y aller : voir le psychiatre, c'est s'enfoncer pense-t-il, s'enfoncer dans une maladie que d'autres ont nommé pour lui, pour lui faciliter les choses et pour le materner. Archibald a cette sensation étrange que son corps et son esprit ne lui appartiennent plus. Dissociation ils ont dit, ou un truc en rapport avec la schizophrénie. Lui il n'en sait rien et il ne veut pas savoir, enfin si, justement. Ce qu'il souhaite c'est dormir, être normal et comme tout le monde. Ah ! Que c'est drôle — comme tout le monde — il n'aurait jamais cru dire ça un jour.
-J'ai rencontré une femme dans un café.
-Comment est-elle ?
-Je ne sais pas, c'était une rencontre, comme dans les livres.
-Vous lisez beaucoup, qu'est-ce qui vous plait dans la lecture ?
-Eh bien, on devient irréel, pour un temps on n'existe plus, pour un temps.
-Pour un temps ?
-C'est triste pas vrai — que cela ne puisse durer.
Il ne veut plus parler à un fauteuil vide, empli d'un être qu'il ne connaît pas. Il préférerait parler à un ami, mais quel ami dans la vie d'Archibald Naught ? Il ne veut plus répondre à des questions floues et voilées qui ne font que le déranger un peu plus. Il ne veut plus monter les marches du bâtiment chaque vendredi et sourire et tendre la main et s'asseoir sur la chaise. Il ne veut plus en ressortir les mains moites, la gorge sèche et les jambes prêtes à courir.
Non. Plus. Assez. Stop ! Il voudrait hurler mais rien ne sort. Et chaque semaine, il y retourne. Trop ! Trop ! Il ne souhaite plus se contenir, il veut hurler, dire à quel point tout le monde le fait chier, ne plus utiliser de gentils et jolis mots mais dire: vas te faire enculer planète infâme et fiche-moi la paix ! Une bonne fois pour toute ! Et que la vieille crève asphyxiée dans l'ascenseur ! Et que les chiens glissent sur leurs propres merdes ! Et que les pseudos poètes s'ouvrent leurs veines inspiratrices ! Et que les méchants monsieurs deviennent des fées ! Et que les voitures cartonnent ! Que les tueurs deviennent Angéliques ! Que les maisons se mettent en marche ! Que les idéaux fonctionnent ! Putain ! Putain ! Putain ! Editeur ! Censure ! Censure, censure moi ! Moi ! Moi ? Le moi auteur, le moi Archibald, le moi narrateur, le moi personnel ? Qui parle là ? Je ne sais pas. Tu ne sais pas.
— C'est mieux comme ça.
Lorsqu'il effectue le chemin inverse, le retour vers la maison, Archibald se sent vidé, volé. Dans cet endroit, le cabinet médical, on prend une partie de lui, dans son cerveau, dans son âme, ses secrets ; et ces parties ne sont jamais rendues. Ca n'est pas un échange, c'est à sens unique, ainsi il se sent lésé : il n'y a pas de partage.
Dans la rue en bas, il écoute se fermer la lourde porte et passe sous l'échafaud métallique. Il croise le regard d'un homme qui travaille en blouse jaune, chauve, et l'homme lui sourit.
Archibald s'éloigne, la tête basse et le visage impassible. La fatigue est apparente, elle émane de lui comme la fièvre des nouveaux nés malades. Ses jambes se tordent, il en a l'impression. Il se force à rester droit, se concentre lorsqu'il s'agit de traverser les rues, songeant parfois qu'il serait utile de ne pas le faire. BOOM ! Ce serait si bien songe-t-il, si une voiture par inadvertance passait-là, moi dessous — boom — et tout serait fini, tout serait si simple ! Il exulte presque à imaginer diverses façons de mourir, mais déchante rapidement lorsqu'il s'agit de l'enterrement : il s'imagine seul avec sa sépulture, la pelouse abattue et le vent pollué, soufflant sur sa pierre tombale.
Encore une fois, volé, violé, l'intimité dévoilée... Archibald s'il tue quelqu'un, je dis bien si, ce sera lui-même, oh pas forcément une mort physique, mais peut-être psychique. C'est aussi ce que la société nous fait en plus du temps, nous tuer à petit feu... J'aime beaucoup ce que tu fais ressortir de ce texte
· Il y a environ 9 ans ·ladyquiet14