Les Oubliés - Partie III
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Ses pensées commençaient à s'aventurer de plus en plus loin : comme une mère qui laisserait ses enfants s'éloigner en gardant tout-de-même un oeil discret sur eux. Pendant qu'elles vagabondaient, Louise en profitait pour regarder l'espace autour d'elle. Ses yeux commençaient à être avides de choses nouvelles, ils voulaient sourire de nouveau. Alors elle parcourut la pièce. A peine avait-elle fait quelques pas, que son pied marcha sur quelque chose qui ressemblait à une pierre d'un jaune vif, détonnant avec le blanc de l'espace. Comment n'avait-elle pas pu la voir avant ? Elle la ramasse et l'observa. Immédiatement, ses pensées revinrent à elle, joyeuses comme elles ne l'avaient plus été depuis sa chute. Après un clignement d'oeil, elle regarda autour d'elle : le sol scintillait de milliers de petites pierres semi-précieuses, de toutes les couleurs. Dès qu'elle en ramassait une, un souvenir heureux lui revenait : son huitième anniversaire où toute la famille était réunie, ces nombreuses soirées en terrasse entre amis, ses voyages, ... tout ces moments lui revenaient soudain en mémoire. Ses instants qu'elle avait jetés dans l'oubli sans même s'en apercevoir. Un scintillement brun attira alors son regard. La pierre avait exactement la même couleur que les yeux de Thomas. Elle la ramassa et se remémora l'une de ces soirées où ils avaient dansé sans raison, au milieu du salon, comme dans « En Attendant Bojangles ». Elle sourit et la reposa parmi les autres.
Simon apercevait Louise, au loin, se penchant parterre comme si elle ramassait quelque chose et sourire seule. Il se dirigea alors vers Jean-Marc.
« Je crois que Louise est entrain de devenir folle, il est temps qu'elle parte d'ici. »
- Ne t'inquiète pas, elle va bientôt sortir. Mais détrompe-toi, c'est la plus lucide de nous tous. « Elle va bientôt sortir d'ici » Répéta-t-il.
Simon était content de la voir sourire. Mais il ne pouvait pas s'empêcher de l'envier. C'était si simple pour elle : elle n'avait qu'à oublier quelqu'un qui l'avait oubliée. Il suffisait de laisser faire le temps pour que l'être de chair et de sang qu'elle aimait tant, se transforme en souvenir. Tandis que pour lui, il était hors de question d'oublier sa mère. Il allait devoir continuer à lui rendre visite, à lui parler, comme si de rien était, en acceptant le fait que ses paroles et sa voix tomberaient immédiatement dans le néant. Et ça, il ne pouvait rien y faire.
N'y tenant plus, il sortit son stylo et son carnet qui ne le quittaient jamais.C'était la première fois qu'il écrivait depuis qu'il était ici. C'est alors qu'il sût qu'il allait mieux, lui aussi.
Depuis son enfance, il se réfugiait dans la lecture lorsqu' il était abattu. Elle faisait office de refuge pour analyser ses douleurs et chercher un remède à ses plaies. Alors que l'écriture, elle, intervenait lorsqu'il se relevait. Elle était sa béquille, sa façon d'avancer malgré les blessures.
Sa main se mit alors à noircir la page, de manière frénétique et automatique. Tout ce qu'il contenait depuis qu'il était arrivé s'écoulait en une hémorragie de phrases qu'il voulait délivrer de son esprit meurtri. Les mots venaient tout seuls, sans qu'il n'ait besoin de les appeler ou de les chercher. Ils se bousculaient de sa tête jusqu'au bout de ses mains qui écrivaient trop lentement face au flot d'inspiration. Elles noircissaient des pages et des pages sans que Simon ne s'en aperçoive, comme si elles étaient indépendantes de son cerveau, comme si ses yeux découvraient les paragraphes au fur et à mesure de l'écriture, faisant de lui un auteur et un lecteur en même temps.
Il leva le regard au bout de quelques minutes et vit alors que les pages de son carnet étaient comme reflétées dans l'espace jusqu'à présent immaculé. Il n'apercevait plus Jean-Marc ni Louise. Il n'y avait plus que des mots. Partout. Il comprit alors les paroles de l'initié quelques instants plus tôt. Louise n'étaitpas folle et lui non plus. Au contraire. L'oubli ne les avaient pas avalés : ils savaient désormais quoi faire d'eux-mêmes.
Odette adorait les livres, depuis toujours ils avaient été ses compagnons de vie. Elle les considérait comme des remèdes: Romain Gary pour lutter contre le cynisme, Jules Vernes pour étancher sa soif d'aventures. Des poèmes pour avoir une raison d'être triste : Marceline Desbordes-Valmore, Lamartine et bien d'autres.
Avant de tomber dans l'oubli, sa vie avait été plongée dans les livres, surtout dans les romans. Elle s'attachait aux personnages bien plus qu'aux personnes de son entourage. D'ailleurs, Simon les jalousait, il avait l'impression d'être élevé avec une multitude de frères et soeurs qui accaparaient toute l'attention de sa mère et forçaient son admiration. Elle pardonnait tout aux personnages alors qu'elle était intransigeante envers son petit garçon.
Alors, Simon n'étant plus vraiment un fils aux yeux de sa mère, avait décidé de devenir un personnage, pour avoir encore une place dans la vie d'Odette. Il lui ferait revivre ses premiers souvenirs d'enfance, tous les moments passés ensemble dont lui et ses proches pouvaient se rappeler. Il rendrait à Odette son rôle de mère.
Quand elle ne saura plus lire ? Il lui fera la lecture ou s'enregistrera pour que les souvenirs renaissent, le temps d'un instant, par l'écoute.
Il aperçut alors au milieu des mots encore inscrits autour de lui, une porte qu'il franchit immédiatement.
L'écriture lui avait permis de sortir de l'oubli.
Jean-Marc avait regardé Louise et Simon s'en aller avec bienveillance, se demandant comment ils s'en sortiraient dans la vie. Il se souvenait de la première fois qu'il avait quitté ce lieu, avec toute la naïveté et le panache de la jeunesse.
Persuadé qu'il ne reviendrait pas. Ces deux compagnons d'oubli avaient eu le mêmesourire et le même pas décidé que lui à cette époque.
Non pas qu'il ne se plaisait pas ici, au contraire. Il s'y plaisait, en fait, trop. Il savait très bien qu'au moment venu, il quitterait cet endroit comme on quitte sa résidence secondaire : en fermant les volets, en coupant l'eau et le gaz mais en y laissant ses affaires pour se sentir chez soi quand on y reviendra. Pour le moment, il voulait rester en vacances dans l'oubli car avec le temps, il vous procure un caractère insulaire: personne ne vous attend et vous n'attendez rien de personne.
Alors, il regardait les égarés arriver sur son île de l'oubli.
Quand un naufragé vint l'aborder pour lui demander s'il n'avait pas vu une jeune femme avec des yeux émeraudes, qui portait une robe et du rouge à lèvres, il reconnut la description de Thomas. Jean-Marc sourit. Louise allait bien.