LES PALOURDES

Isabelle Revenu

Mardi 13 mai 2014, quelque part au pied du massif pyrénéen ( Je n'ai pas trop de repères, j'ai égaré ma montre. )


Armé jusqu'aux dents, le sabre calé entre les incisives, je suis boosté à bloc pour poser un pied conquérant - le droit, le gauche ? - sur les rochers brûlants de la cache des pirates en poussant un cri de guerre sauvage. 

Y a pas à tordre du cul pour chier droit, c'est maintenant ou jamais et jamais ben, ça prend trop de temps. Dans quelques années, je ne serai qu'un vieux bouc poussif et délaissé, alors Sailor mon vieux, fonce !


Alors j'ai foncé comme un seul homme, un noeud étroit au creux de l'estomac, certain de me recevoir une salve de poudre noire en pleine poitrine. Ces fils de putes ne vont pas se laisser découper en lanières sans protester énergiquement.


Dix mètres, trente mètres ... Rien, nulle âme qui vive. Doivent avoir peur tout comme moi. Je bande mou, ma vessie prête à mouiller mon futal écorché. J'ai vraiment l'air de ce que je suis dans cet accoutrement minable : un plouc, un pantin déjanté. 


Cinquante, soixante-dix mètres ... Le sable me rôtit les chevilles.

C'est à n'y rien comprendre, tous les combats de jadis contre les pirates s'étaient soldés par des bleus larges comme mes deux fesses, des entailles profondes dans mon honneur et des larmes amères. Et là, cette plage si calme, ce ciel si  serein ... on aurait dit une aventure de Martine et Patapouf à la plage. Ah oui, j'ai oublié de vous dire que j'ai un clébard aux poils rares et drus. Une sorte de sanglier modèle réduit qui me sert de compagnon d'infortune, qui encaisse mes coups de gueule et mes injustices. Bon à la soupe et à rien d'autre, même pas au faisan des dimanches de septembre.


Le soleil marque un peu plus de midi. Le creux sec à l'estomac se mue lentement mais sûrement en gouffre gigantesque. 

Il me faut avaler quelque chose. Et pas de poisson s'il vous plaît, depuis trente ans que je bourlingue sur tous les océans et mers du globe, j'en ai attrapé le dégoût. Je ne trouve qu'une poignée de palourdes à marée basse, palourdes que j'engloutis sans même les rincer. Les gencives ensablées, je siffle mon chien. Le soleil me tape sur le cassis et moi j'me taperais volontiers un bon demi bien frais.


- Titan ? Titan ! Aux pieds le chien, allons ! 


Ah vous pataugez aussi ? Quoi de plus normal, je ne vous ai pas expliqué le pourquoi du comment de ma présence sur l'Ile aux Pirates ... 


Le voyage en solitaire avait pourtant commencé sous les meilleures auspices. J'étais remonté au maximum pour mon aventure de sept jours. J'avais prévu plus large au départ mais peu certain de tenir au long cours, j'ai opté pour un cours plus cours, un galop d'essai. Sept jours me paraissent comme le chiffre-clé, un totem, un nombre d'or rien qu'à moi.

L'idée première a fait son chemin tout doucement, au fil des jours et surtout au fil de mes tiroirs enbordelisés et de mes pensées sombres. Je ne parvenais plus à faire le tri, à poser un regard sain sur la suite à donner à la vie en général et à la mienne en particulier.

Est venue ensuite sans que je m'y attende d'aucune façon l'idée salvatrice, le début d'une délivrance.

Il était évident de m'imposer une épreuve salutaire, une sorte de parcours initiatique pour casser ma dérive.

Et pourquoi ne pas faire un break d'une bonne semaine, en tête-à-tête avec moi et moi seul ? Quand on sent que le fond du fond est inéluctable, il ne faut pas attendre que les sables mouvants vous enlisent à jamais.

Ça fait deux jours que ça me titille. Marcher, marcher et encore marcher. En prendre plein les mirettes, crier ma colère aux oiseaux si le besoin me gagne, pleurer, chantonner, m'extasier aussi.


Pas question d'héroïsme là-dedans, ce n'est pas là le but de la manoeuvre non. Juste l'espoir chevillé au corps  de renouer un dialogue plus équilibré avec mon ego, cesser d'avoir peur et boucler pour de bons les mauvaises passes, celles qui laissent des trous béants dans une carlingue abimée par un excès de sel. 

Demain je pars, c'est tout.

Le premier pas devrait être le bon. Cibler l'endroit avec soin d'abord. 

J'aime la marche et les randonnées à faire sont légion. 

Il y a bien Le Puy-en-Velais et sa renommée route de Saint Jacques-de-Compostelle, des coins de montagne à découvrir dans les proches Pyrénées, des sentiers isolés aux confins du Tarn-et-Garonne ou un fleuve encaissé de l'Aveyron voisin. Je n'ai que l'embarras du choix. L'essentiel c'est de se décider sans légèreté. Bien préparer son sac à dos. Prévenir de son départ au moment voulu et ... en route. 

En rrrrrrrrzzzzzzzz ... rzzzzz ....




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- ... prenez m'sieur Emile, suis debout depuis quatre heures ce matin ... Rungis aller-retour, ouverture du bar à sept heures et demie, balayer les crottes de chien du trottoir, sortir la terrasse, le tabac à ranger sur les étagères, les croissants à chercher chez la Lucienne, je chôme pas hein ? Ce s'rait un effet de vot'bonté et à celle de m'sieur Freddie de me laisser fermer le Vincennes, sans vous commander bien sûr. A mon âge, la couette appelle et je ne suis pas encore sourdingue. Il est quand même une heure du mat' si vous voyez ce que j'veux dire.


- Sailor ? Hé psssttt Sailor réveille-toi nom d'un chien, pfff ... Tu devrais pas tant picoler man, c'est pas la solution. Faudrait te vider, parler. J'aime pas te voir te mettre dans des états pareils. Paulo en a plein les bottes, il a besoin de plier sa boutique et toi t'es encore là à délirer grave. Allons accroche-toi à mon bras et on s'arrache. J'te ramène chez toi et je rentre chez moi. Ma bourgeoise va encore faire ses yeux terribles ... 


- Rrrronnnn ... Attends Mimile attends encore un peu, j'ai perdu Titan !


Qué Titan ? Tu perds et les pédales et la carte mon vieux, allons accroche-toi que j'te dis et soulève un peu ta carcasse, t'es un vrai corps mort !


- Pour les pédales, j'en ai rien à battre, je pars à pied et pour la carte ben, j'ai pas encore choisi mon parcours. J'hésite entre les Pyrénées et son Ile aux Pirates ou l'Aveyron-the-Rocks ... Tu choisirais quoi toi Mimile ?


Pour être honnête, rond tu l'es déjà et pas qu'un peu. Allons mon poteau rassemble ton chagrin et rentrons fissa. Demain est un autre jour ...


Demain ? Si j'accomplis mon périple jusqu'au bout, demain sera vraiment un autre jour.


- Demain, c'est le tiercé gagnant pour nous  : LoveMeLikeThere'sNoTomorrow reprend du service. Parait que le terrain est lourd. Comme toi mon camarade. Au propre et au figuré aussi.


- Amen ...


Voui, c'est ça, amène-toi. Finie la noce à Rebecca. A demain Paulo. 


A demain ? Mais on est déjà demain !


- Pour sûr qu'elle va faire ses yeux terribles ma bourgeoise ...

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