Les petits vieux se ramassent à la pelle ( 4)
Corinne Champougny
- Bordel, fermez cette fenêtre, ça empeste ici ! Encore cette pollution qui va nous asphyxier comme des rats. Déjà que les vieux nous emmerdent en se laissant tordre le cou comme des poulets anémiques en dormant. Bon, s'ils roupillaient moins...Ils passent leurs journées à ronfler et la nuit ils nous les cassent avec leurs télés qui braillent, constate Rondeau en se curant les ongles. Bon, Joubert, rapport.
- Oui, monsieur le commissaire, commence Antoine en se raclant la gorge. C'est vraiment bizarre, mais chez M.Coupeau comme chez M.Deschamps, rien ne semble avoir été volé. Ni même dérangé. Ou alors on a affaire à un type drôlement maniaque, qui remet tout en place. Parce que dans les deux appartements, tout était nickel, termine-t-il en balayant l'espace d'un revers de main.
- Tu m'étonnes! Les vieux n'ont que ça à foutre de leurs journées, ranger, ranger, et ranger. Comme si ça compensait avec leurs cervelles qui débloquent ! Enfin, c'est quand même bizarre qu'on ne leur ai rien piqué. Vous êtes absolument sûr ?
- Difficile d'affirmer, vu qu'on ne savait pas ce qu'il y avait avant, mais ça y ressemble.
- Mouais. Et vous Desplas? marmonne Rondeau qui attaque la main droite.
- Je n'ai pu contacter que la famille de M.Coupeau, marmonne Philippe. Je ne pensais pas qu'il y aurait un meurtre par jour...
Mouais. Un par jour. C'est pas mal comme idée. Un peu lent pour résoudre le problème des retraites, mais assez efficace, c'est vrai, ricane Rondeau.
- Bref, pour M.Coupeau, j'ai eu sa fille au téléphone, reprend Philippe, qui commence à avoir du mal à masquer son agacement. Elle travaille à la gare des Bénédictins, à Limoges. Elle vend des sandwichs, des cafés, enfin des trucs comme ça. Elle voyait peu son père, en général juste deux ou trois jours au moment des fêtes de Noël.
- Une dispute?
- Non. Juste de l'indifférence. Elle vit sa vie, et lui la sienne.
- Mouais, vivait.
- Franchement, rien de bien intéressant, conclut Desplas en essayant discrètement d'aspirer un peu d'air sain par la porte légèrement entrouverte.
- Bon, marmonne Rondeau, en tapotant des doigts sur son bureau, il faut faire un lien entre les deux vieux. Parce qu'il y en a un, c'est évident, un putain de lien qui doit crever les yeux, termine t-il en rotant.
- Tous se regardent, inquiets. Quand Rondeau achève ses phrases par un rot, c'est mauvais signe.
- Le mode opératoire, glisse Nadia, à mi-voix.
- Bien, bien, susurre Rondeau en avançant légèrement les lèvres, l'intuition féminine sans doute. Quelle perspicacité! Quelle finesse ! Et quel esprit de déduction ! Voyez-vous, ajoute t-il en se tournant vers Desplas, Joubert et Martineau, c'est pour ça que je vous ai réunis: vous êtes la fine fleur de l'intellingensia policière, le nectar du commissariat, le fleuron de l'hôtel de police, le nec plus ultra de l'investigation. Alors, bien sûr, devant tant de qualités réunies, il m'arrive de me demander comment vous avez pu échouer dans ce cloaque minable de sous-préfecture, enfin je sais pouvoir compter sur vous pour trouver l'assassin des vieux, aussi je m'en remets totalement à vos indéniables capacités analytiques pour me trouver fissa ce fils de pute qui nous fait chier à la veille des vacances, finit-il dans un rugissement.
Plus personne n'ose ouvrir la bouche. Nadia inspecte ses chaussures, Antoine remarque qu'il va devoir se couper l'ongle de l'index gauche et Philippe se demande comment cette tache orange a pu s'étaler ainsi au-dessus du chambranle de la porte. Quant à Xavier Rondeau, il reprend vite son souffle pour distribuer les tâches à chacun. Il n'est pas commissaire pour rien, et sans lui, franchement, ce serait un véritable foutoir. Pense -t-il sans sourciller.
- Joubert, vous épluchez les vies familiales. Desplas, les anciennes activités professionnelles. Martineau, vous faites le voisinage. Loukri, vous fouillez du côté des camés brivistes. Ce sera vite fait, et tout à fait à votre portée. Ce salopard n'ira pas loin. Vous pouvez dégager. Et vous fermez bien cette porte, aujourd'hui ça pue le rat crevé dans ce commissariat.
Pour une fois, tout le monde est d'accord.