Les poils de l'ange

Lutécia Cendrelle

Je ne l'ai jamais vue comme les autres... Ses effluves me parlaient. Son sourire me nourrissait.

   Contrat sur contrat, la société dans laquelle je travaillais décrochait des affaires, de bons petits business juteux. On avait une vraie compétence dans les machines d'emballage de composants électroniques. Un métier particulier. Un potentiel énorme. Une renommée internationale.

 On embauchait tous les mois. Dans tous les services : commerciaux, techniques, qualité, achats.

 De jolies filles rejoignaient parfois les rangs, j'y pensais à chaque arrivée.

 Mon entreprise vendait et installait des machines à travers l'Europe, je voyageais beaucoup. Des opportunités se présentaient… Des plans cul. Adultères ou pas.

 Ce fut différent avec Angélique. Elle avait quelque chose d'autre en elle. Sur elle. Je ne la voyais pas comme une collègue à sauter, ou un futur morceau de viande à croquer, dans un hôtel quelque part, lors d'un déplacement professionnel.

 J'ai très vite vu qu'Angélique ne se laisserait pas prendre au jeu. Elle venait souvent dans mon bureau pour discuter et distribuer ses sourires, laisser des effluves de muguet, planter ses peines de cœur dans mon terreau, se tuteurer pour rester droite, se confier à moi comme à un ami. Pas un collègue. Un ami.

 En dehors du travail, nous avions un code quand elle était triste ou avait besoin de parler. Un petit SMS qu'elle m'envoyait : « Larmes ». Je comprenais aussitôt. Elle avait besoin de moi. Urgemment.

 Son regard me troublait. Belle brune aux cheveux mi longs, des cils de biche, des sourcils élégamment dessinés. Elle aimait séduire et se maquiller très légèrement. Avec goût. La juste touche qui l'embellissait. Pas la tartine qui rend indigeste. Ce que j'appelle un vrai charme !

 Nous avions la même passion : le squash, et nous avons très vite planifié cette heure d'effort commun, tous les mercredis soir. Nos corps en sueur se défoulaient dans la bulle intime du terrain de verre. Je fantasmais sur son corps moulé dans un short en coton gris clair qui révélait le bas de ses fesses rondes et fermes. J'adorais son t-shirt à fines bretelles. J'aimais ses épaules qui perlaient de nos souffrances. Elle était trempée après chaque match et plus nous jouions, plus j'appréciais qu'elle sue. Le tissu de son haut s'imbibait et je devinais la pointe de ses seins-pamplemousse.

 Tous les mercredis, elle me mettait une branlée et riait au pub quand nous finissions la soirée devant nos bières fraîches. En me regardant, en se moquant, elle chantonnait « Les brunes ne comptent pas pour des prunes ! ». C'est moi qui l'avais surnommée ma petite Lio. Elle lui ressemblait et taquinait souvent des blondes que j'aime tant. Sourire coquin, petite voix douce. Angélique était un bonbon pour les yeux !

 Curieusement, je ne cherchais jamais à finir la soirée dans son lit. Entre elle et moi, existait autre chose.

 La bise parfumée qui se posait sur ma joue en quittant l'atmosphère enfumée, un peu étourdis par l'alcool, faisait palpiter mon cœur.

 Tous les mercredis soir, je regagnais seul mon appartement en lui lançant le « à demain » qu'elle me rendait enduit de douceur.

 Tous les mercredis soir, je repensais à nos deux corps nus séparés par cette cloison si fine de la douche des vestiaires du squash. Je pouvais voir ses jolis pieds aux ongles vernis. Je fantasmais sur son corps et ses rondeurs. Je parcourais ses dunes, me roulais sur sa peau attirante. Dans mes rêves les plus fous…

 Tous les mercredis soir, j'aurais aimé qu'un trou existe dans ce morceau de bois faisant barrière à mon désir. Pour l'observer se caresser de mousse apaisante.

 Tous les mercredis soir, je me disais que j'aurais bien voulu la savonner dans cette douche, étaler le parfum de jasmin sur sa peau, la retourner et la baiser comme j'avais baisé les salopes de ma vie, la caresser comme toutes les femmes que j'avais chéries, la désirer et la combler comme les filles qui m'avaient rendu heureux.

 Tous les mercredis soir, je me branlais dans mon lit en pensant à elle.

 Tous les jeudis matin, je regrettais n'avoir osé…

 Pourquoi étais-je ainsi avec elle ? Avais-je peur de perdre son amitié en la séduisant, en jouissant en elle ?

 Puis arriva le jour où un déplacement professionnel nous mena en Suède. Une nuit à Stockholm, hôtel de Luxe payé par notre plus gros client et une longue journée de travail pour valider et qualifier dans son usine, la machine high-tech livrée. Puis un week-end sur place avec Angélique, programmé, à nos frais.

 Tout commença mal. La compagnie avait perdu nos valises. Les risques des voyages…

 Angie était plus belle que les hôtesses de l'air. Jupe courte, chemisier à l'étoffe blanche et veste qui lui serrait la taille. Une bombe qui n'aurait jamais dû passer le portique de sécurité ! Je m'étais bien amusé à le lui dire pendant le vol. Elle s'était bien divertie à croiser et décroiser ses jambes devant mes yeux, laissant deviner un léger duvet de poils très clairs sur ses cuisses : les poils de l'ange. Surprenant pour une brune. J'avais déjà remarqué ses bras ou ce même duvet parsemait très discrètement sa peau claire.

 Pendant ce vol d'une heure, elle m'avait posé « la question gênante » :

 — Je te plais ?

 — Habillée comme ça ?

 — Non, je veux dire comme nana.

 Ma réponse avait été maladroite, je ne m'y attendais pas.

 Bien sûr qu'elle me plaisait ! À qui cette fille n'aurait pas plu ?

 Je pris un léger diner et Angie n'avala qu'un yaourt en évitant de se tacher car nos valises n'arrivaient toujours pas à l'hôtel. Elle stressait de devoir être habillée avec les mêmes fringues le lendemain pour le rendez-vous.

 Le réceptionniste nous aida à contacter l'aéroport. Les valises devaient être livrées au petit matin à l'hôtel. C'était confirmé.

 Le sourire se redessina sur les lèvres de ma petite Lio…

 Après avoir passé en revue et finalisé notre présentation pour la réunion, les verres de bière commencèrent à défiler. Les discussions dérivèrent sur le cul et les rires envahissaient le coin tranquille que nous occupions. Je découvrais Angélique dans un autre environnement, je la voyais dans le corps d'une vraie séductrice. J'avais envie d'elle. Une envie sexuelle. Énorme !

 Je lui aurais bien dit de monter, j'aurais pu lever sa jupe dans l'ascenseur, baisser sa culotte et déverser mon plaisir dans le delta humide de son fleuve agité. J'aurais pu dormir avec elle : une nuit d'amour et de sexe, jusqu'au crépuscule de l'aube. J'en avais envie ! Elle aussi je crois…

 Je l'aurais fait avec n'importe quelle fille… Mais avec elle, c'eut été divin !

 Bière après bière, nous nous libérions. Elle me désinhibait, m'excitait, parlait du plaisir que nous prendrions ensemble.

 J'étais un peu inquiet pour le réveil du lendemain, quand un peu saoule, elle me confia un secret.

 — Tu sais pourquoi j'peux pas saquer les blondasses ?

 — Non Angie, je ne sais pas.

 — Elles ont la chatte jaune et j'aime pas le jaune, ajouta-t-elle en éclatant de rire.

 — Moi j'adore !

 — Vais te dire un s'cret… Suis une vraie blonde !

 — Tu dis n'importe quoi Angie, as-tu vu tes cheveux presque noirs, tes jolis sourcils bruns ? Je crois qu'il faut aller au pieu, on se lève tôt et faut être en forme. T'es bourrée !

 — Teinture mon pote ! Dans ma culotte, y'a un lever d'soleil suédois…

 Cette image m'aurait presque fait jouir dans mon froc. Après de longs rires, elle a fini par me convaincre.

 Le duvet blond, tout s'expliquait…

 Ça faisait une heure que je tournais dans mon lit. Seul. J'avais renoncé en me disant que nous avions le week-end et que notre histoire prendrait un virage surprenant. Ou pas. On avait une dure journée, juste quelques heures à dormir, elle était saoule et je ne voulais pas en profiter. Peur de faire une erreur, aussi. Peur des reproches. Alors je l'avais raccompagnée jusqu'à l'étage, les pensées embrumées par la scène imaginaire de l'ascenseur. Arrivée devant sa porte de chambre, elle s'était aperçue de l'oubli de sa carte magnétique.

 J'avais très peu dormi et une heure avant l'heure du petit déjeuner, j'ai décidé de prendre ma douche. En allumant mon téléphone, un SMS d'Angie s'afficha immédiatement…

« Larmes » - envoyé à cinq heures du matin. Il était six heures.

 J'ai répondu. Grand silence. Long silence. Trop long. J'ai pris peur et ai frappé à sa chambre.   Aucune réponse.

 Je suis descendu m'expliquer et ai baratiné l'hôtesse de nuit pour avoir un badge de la chambre de ma petite Lio. J'ai dit qu'elle était ma femme et qu'elle avait claqué la porte par erreur en sortant.

 Je suis entré en appelant Angie. Au sol : sa jupe, son chemisier et ses escarpins talons-aiguilles.

 J'ai glissé un peu les rideaux, laissant entrer l'aube par la grande fenêtre.

 Vision d'horreur. Un mélange de peur et d'excitation m'a envahi. Je ne pouvais plus bouger dans le couloir, j'ai mis du temps à m'approcher d'elle, posant mon regard sur son corps et ses dunes magnifiques.

 Elle était nue, les jambes écartées sur son lit, elle ronflait, le visage tourné vers la salle de bain. La joue contre le drap gris.

 Entre ses cuisses, un delta d'or dégoulinant de sperme dans l'océan des draps tachés.

 Au sol des préservatifs usagés, noués, certains souillés.

 Près de sa bouche, une flaque de semence, recrachée, vomie ?

 Sur ses joues, des lignes de suie, khôl de la nuit.

 Sur ses seins, le désir des hommes qui l'avait baisée et sodomisée.

 J'ai paniqué.

 J'ai regardé l'heure. Il fallait agir. Hors de question de laisser attendre le client à la réception et de changer le planning. Impossible de faire capoter ce projet si important pour ma carrière et notre société.

 — Angie !!! Réveille-toi, ai-je répété au moins dix fois.

 — Hhhhhhien…

 Fortement gêné, j'ai dû secouer un peu ma petite Lio. La transporter nue dans mes bras vers la salle de bain, la mettre debout et l'aider à se doucher. Une eau froide qui aurait remis sur pieds un macchabée décomposé. Je n'avais pas le choix et la voir à poil m'excitait, je ne voulais pas traîner ici.

 J'ai bien sûr repensé à nos douches séparées au squash et malgré la situation critique, je bandais et j'imaginais ce que j'aurais pu faire dans ce lit encore tout rouge de l'audace de l'Ange. Elle tenait un peu plus debout, honteuse, se confondait en excuses et moi je tournais maladroitement les yeux pour éviter son pénil doré, ses fesses et ses gros seins tout en essayant près du lavabo, de nettoyer sa jupe et son chemisier tachés de sperme.

 Je n'ai jamais retrouvé ses sous-vêtements, perdus ailleurs ou emportés en trophée par la bande de Vikings…

 J'avais téléphoné à la réception, nos valises n'avaient pas refait surface… La journée commençait bien et nous avons décidés de discuter de tout ça le soir venu…

 Elle m'a regardé et confirmé qu'elle survivrait. Au moins jusqu'au coucher de soleil.

 Angélique a passé toute la réunion, la visite d'usine, et nos déplacements, sans culotte ni soutif, les seins engoncés dans son chemisier de mousseline. Heureusement qu'elle avait sa veste courte pour camoufler un peu l'indécence…

 Toute la journée j'ai pensé à ce qu'il y avait sous sa jupe.

 Toute la journée j'ai essayé de peindre un sourire sur son visage.

 Toute la journée, j'ai regretté de l'avoir laissée seule la veille au soir.

 Toute la journée je me suis demandé si elle s'en remettrait.

 Nous n'avons pas passé le week-end en Suède. Elle voulait rentrer. Je l'ai comprise.

 Trois mois plus tard, elle a démissionné et j'ai été triste de ne plus la voir quotidiennement. Il manquait une fleur dans mon jardin. J'étais déjà peiné qu'elle arrête le squash et nos soirées du mercredi, affecté de la voir les yeux pleins de peine.

 Elle s'est éloignée de moi. Complètement.

 Puis un jour, des mois plus tard, j'ai reçu ses larmes par SMS, envoyé de la maternité.

 Maintenant, le mercredi soir, la douche au squash, je la prends avec elle. Elle en sort, le bonheur dessiné sur le visage. Nous rentrons ensemble, la main dans la main après une ou deux bières. Comme avant… Après avoir échangé un bonsoir avec la baby-sitter, en souriant, on jette un œil par-dessus le lit-drakkar du petit prince.

 Je l'aime ce Viking blond, j'essaierai d'être son père…

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