Les Pots
Guillaume Allardi
On pourrait se laisser aller. Ne plus rien faire. Ne plus aller travailler. Ne pas répondre au téléphone. Ne pas aller ouvrir si on frappe à la porte. Ne plus répondre à notre nom. Ne plus avoir aucune obligation, aucune responsabilités. Se désintéresser de la politique, de la famille, Se désintéresser des autres. Ne plus penser qu’on est quelqu’un. Arrêter. S’arrêter. Ce ne serait pas comme attendre quelque chose ou regarder autour avec curiosité. Ce ne serait pas non plus comme si on état mort. ça pourrait durer longtemps. Les pompiers finiraient par arriver et après avoir sonné et appelé ils défonceraient la porte. Ils seraient casqués comme pour une mission dangereuse. Ils se précipiteraient vers nous, nous demanderaient si ça va, si tout va bien. On ne répondrait pas. Ils nous emporteraient à l’hôpital pour des examens. Ils diraient que c’est peut-être une dépression ou un choc affectif, ou une aphasie, une chose comme ça, que ça s’est déjà vu, que c’est rare mais que ça s’est déjà vu. Ou alors que c’est peut-être un accident cérébral, que ça arrive aussi. En tous cas au bout d’un moment ils n’essaieraient plus de nous parler, ils se mettraient à parler comme si on n’était pas là. Ils nous emmèneraient à l’hôpital. En passant devant la porte on verrait peut-être des voisins, des proches. Ils nous regarderaient avec angoisse, nous demanderaient si ça va et qu’est-ce qui s’est passé, qu’est-ce que tu as, répond. On ne dirait rien. On les regarderait. On regarderait ailleurs. Un des pompiers finirait par dire que nous sommes en état de choc et nos proches finiraient eux aussi par ne plus nous parler directement, comme si on n’était pas là. On se retrouverait vite à l’hôpital, aux urgences, on attendrait longtemps dans des salles blanches où il n’y a rien à regarder. Après les examens, comme ils ne trouveraient pas de lésions physiques graves, on serait probablement transféré dans un service psychiatrique. On resterait là. On s’installerai, en quelque sorte. Des proches viendraient nous visiter, beaucoup au début, puis moins. Comme on ne parlerait pas ils se sentiraient gênés, ils raconteraient leur vie, puis ils finiraient par se dire que ce n’est pas la peine que c’est fini, que c’est une tragédie, peut-être, mais qu’il faut quand même continuer à vivre, essayer d’être heureux. Puis un jour ils ne viendraient plus du tout, ou alors très rarement. On serait vraiment seul. Bien sûr il y aurait peut-être quelques moments de doute, et puis la vieillesse, les douleurs, ce ne serait pas si facile, ce serait des choses qu’on sentirait et qui provoqueraient des réflexions ou des envies particulières, mais on les laisserait passer, s’évanouir. On serait là, dans une chambre, la nourriture arriverai. Il y aurait peut-être un parc. Avec le temps, même les pensées et les envies finiraient par se fatiguer de nous. Bientôt on ne serait plus qu’ une outre vide, sans pensées, sans volonté particulière. Alors, après temps indéfini, mais long, on pourrait s’inscrire à l’atelier poterie de l’hôpital. Les médecins considéreraient cela comme un progrès, et là, pendant des heures, on fabriquerait des pots sur le tour. Ce serait bon de sentir la terre tourner entre nos mains, on y passerait des heures, on s’appliquerait beaucoup, si bien que les pots finiraient par être très jolis et tous les gens diraient qu’ils sont vraiment très jolis ces pots en terre c’est cet homme là-bas qui les fait, le pauvre, il est complètement fou, il n’a pas dit un mot depuis des années mais c’est vrai qu’ils sont très jolis, ses pots.
Oui on pourrait mais on ne ne le fera pas.
· Il y a environ 14 ans ·Jiwelle
oui on pourrait
· Il y a environ 14 ans ·au bout du compte peu de choses nous manqueraient
et si on commençait par les pots ?
ristretto