Les raisins de la colère ont pris l'eau
Sophie Marchand
France, sept 2010
Ma santé me joue quelques tours mais rien de grave, je te rassure ; je lis dans la salle d'attente du médecin un vieux « Psychologie magazine» (dont l'investissement est bien amorti si j'en juge son état) qui me livre le paradoxe du désir et de l'amour : l'amour demande de la proximité, de la confiance, du connu alors que le désir a besoin de distance, de mystère, d'inconnu.
Serait ce la quadrature du cercle, la mission impossible que de faire durer amour et désir ? alors subitement, je comprends pourquoi tu as décidé de te sacrifier, partir au bout du monde alors que tu n'avais pas la moindre envie de quitter ton petit bout de jardin, ton lit douillet et ta petite femme chérie, tout ça, c'était pour préserver le futur : mettre de la distance entre nous pour faire perdurer le désir coûte que coûte.
Mais il faut que tu reviennes rapidement, ça n'est plus possible.
« Les raisins de la colère » ont pris l'eau, d'autres bouquins aussi d'ailleurs, il va falloir s'occuper de cette fuite dans le bureau avant que les murs ne se couvrent de nénuphars.
Le frigo n'est plus que l'ombre de lui-même depuis que tu n'es plus là pour le remplir.
Ma maison est un royaume mais elle se transforme peu à peu en campement, les objets s'amoncellent en un bric-à-brac dangereux car plus personne ne se préoccupe de les ranger.
Bien sûr le désir est là plus que jamais, ma boite de réception ne se transforme jamais en boite de déception quand j'y trouve tes messages.
La nuit je cherche ton corps pour me coller contre lui, surtout d'ailleurs depuis qu'il commence à faire un peu plus froid.
Quand tu m'appelles, ta voix résonne en moi, la faire durer …durer encore, la sentir se déployer, prendre corps, tournoyer autour de moi, s'engouffrer sous mes vêtements, remonter le long de ma colonne vertébrale, me faire frissonner, effleurer ma joue, mes lèvres, ne plus la laisser partir…
En conséquence, tu l'auras compris, je pense qu'il n'est vraiment pas nécessaire que tu prolonges ton absence.
"ta voix (…) remonter le long de ma colonne vertébrale"
· Il y a presque 10 ans ·Médée M.
J'aime.
· Il y a presque 10 ans ·ellis
merci ellis :)
· Il y a presque 10 ans ·Sophie Marchand