désirs des croisées
Fanny Finet
Tu vois, tu ne peux pas dire que tu ne veux pas d'enfant !
Ah bon, et pourquoi ça ? demande Marine à sa grande sœur.
Ben… C'est la meilleure chose qui puisse t'arriver, la seule chose valable, qui ait réellement un sens. Alors oui, tu as peut être raison, c'est un choix égoïste. Au début alors ! quand ils sont bébés, on peut dire ça. Parce qu'un bébé c'est tout doux, tout gentil et qu'il t'aime inconditionnellement. Franchement, je vois, depuis qu'il est là, je me sens apaisée, plus sereine… Une véritable thérapie au quotidien ou Comment redécouvrir le bonheur simple des petites choses de tous les jours !
Ah ouais t'as des exemples ? réplique la petite sœur d'un ton moqueur.
J'en ai des dizaines d' exemples: enfouir mon nez dans son cou tout chaud et le sentir frémir, le regarder rire quand il se voit dans le miroir, saisir ses petits doigts entre les miens et en comparer la taille, lui donner le sein et le voir s'endormir ou soupirer d'extase, le serrer contre moi quand il pleure et sentir ses hoquets de sanglots s'espacer puis disparaître, poser ma joue contre sa tête, le chatouiller et le voir éclater de rire, encore et encore, et puis une fois encore… L'embrasser sur les yeux, lui tendre un jouet et le voir trembler d'excitation, caresser sa peau toute douce avant de prendre le bain quand il se retrouve tout nu sur la serviette…
Et quand il se met à faire pipi sur la serviette, et quand il faut le changer et qu'il en a partout, et lui donner à manger quand il te souffle à la tête ta purée de haricots, c'est sûr, c'est que du bonheur.
Ah bah, c'est pas toujours facile mais ça m'a valu de bonnes tranches de rire, le changement de couches, surtout quand c'était son père qui s'en occupait, qu'il m'appelait à l'aide, la voix chevrotante comme s'il allait pleurer parce que le petit avait mis ses pieds dedans et que ça sentait trop mauvais à son goût. Non vraiment, y a qu'avec un bébé que tu peux vivre ça.
Je ne suis pas sûre que l'argument soit suffisant. Faire un bébé pour donner du sel à sa vie, cela semble un peu désespéré.
Mais non, il n'y a pas que ça. Tu ne t'es jamais dit que tu avais envie de transmettre des valeurs, des passions, toutes ces choses qui font que tu es quelqu'un de bien aujourd'hui ?
Et si je n'étais pas quelqu'un de bien.
Je te connais, t'es ma petite sœur, et quand je vois certaines femmes avec leurs enfants, parfois je me dis « eh bin toi, j'aimerais pas que tu sois ma maman ». Mais là, c'est pas ton cas, tu es intelligente, cultivée, ouverte. Tu ne feras pas percer l'oreille de ton gamin pour ses 1 an, non ? Franchement, Marine, je comprends Aymeric, ça fait 7 ans que vous êtes ensemble, il veut un enfant, il faut le comprendre…
Ah bon ? il n'y a pas d'autres moyens de s'épanouir ensemble, de faire évoluer la relation ? Tu vois, moi je voyais plutôt un voyage autour du monde tous les deux.
Mouais et pourquoi toujours vouloir partir ? Qu'est ce que ça t'apporte tous ces voyages au final ? Tu n'en as pas eu assez ?
Non justement, je ressens les choses différemment quand je suis ailleurs, comme dans un monde parallèle, c'est toujours moi, mais à un autre endroit avec d'autres personnes et … pour un temps donné, jamais déterminé, je remets les compteurs à zéro. C'est tellement grisant comme sensation. Faire peau neuve. Se promener le nez en l'air, observant les alentours, parce qu'on les découvre pour la première fois. Engager des conversations nouvelles à chaque soirée avec des gens qu'on ne connaît pas. Tisser des liens intenses avec quelques personnes, créer un nouveau cocon pour se protéger du monde comme tu le fais quand t'es ado, sauf que là tu es adulte, alors tu as plus de recul pour construire ton propre univers. Et puis à l'étranger, tu prends des risques, tu te heurtes à des cultures différentes, des visions de vie qui n'ont rien à voir avec les tiennes et il faut s'ouvrir pour entendre, pas toujours comprendre, mais admettre qu'il y a d'autres alternatives et qui se valent peut être.
Mais c'est pas la réalité ça parce que tu n'es que de passage et puis tu as du fric que tu as sagement économisé en France et que tu t'amuses à dilapider dans un pays où tout est possible tellement leur monnaie est dépréciée.
Pfff, je te parle de rencontrer les gens, dépouillée des codes culturels qui sont devenus des réflexes dans ton pays mais qui ne te sont plus d'aucune utilité quand tu te retrouves à des milliers de kilomètres de chez toi. Ça fait peur au début mais c'est terriblement excitant…
Oui, oui je vois, un peu comme avec un bébé ! mais si je t'assure, tu apprends à l'apprivoiser car au début, ce petit animal est loin de ressembler à un être humain. Il n'a pas les codes justement, il faut s'en tenir aux sensations, à sa petite voix intérieure et c'est pas facile de la faire resurgir quand tu as passé des années à la faire taire au nom de la norme et des codes sociaux.
Les cris du bébé suspendirent la conversation des deux sœurs et comme la mère feignit de ne pas l'entendre, ce fut au tour de la tante, Marine, d'aller chercher son neveu.
Le petit garçon dans les bras, la jeune femme, en profita pour enfouir son nez dans le cou du petit, les yeux fermés, le sourire aux lèvres, moment exquis qu'elle s'apprêtait à savourer s'il n'avait pas été interrompu par le gloussement de sa sœur qui les observait en clignant de l'œil.