Les souvenirs n'ont pas la chance d'être des cheveux.

lull

"Allez, viens, s'il te plaît, ça va être sympa, tu verras" C'est souvent comme ça que ça commence. Jusque là c'est une proposition. "En plus si tu ne viens pas je serai tout seul". Et là ça devient quasiment du chantage. Gentil chantage mais chantage quand même. Tu acceptes. Une soirée dans un champs, pourquoi pas. Laisser tomber ton ordinateur et tes couvertures, oui, mais tu espère que ça vaut la peine.
20h53. Tu remarque que la batterie de ton téléphone est à plat. Tant pis. Une vingtaine de personnes, peut-être plus, éparpillée au milieu de ... au milieu de nulle part en fait. Tu lance un bonsoir presque inaudible dans ce brouhaha de rires démesuré. Quelques personnes s'approchent vers toi. " Ca fait plaisir de te voir, ça va ? " Tu ne les connais que de vue, leurs visages te disent quelque chose mais sans plus. Si ça leur fait plaisir. " Oui moi aussi" Avec l'alcool déjà accumulé dans leur sang, évidemment, tout leur fait plaisir. Tu cherches des yeux ton meilleur ami qui a déjà une bouteille à la main. "Vodka ?". Tu t'assois par terre, c'est mouillé. Lui et toi vous parlez beaucoup, en même temps, sans vous écouter vraiment. Les autres gravitent autour de vous et crient des choses incompréhensibles. Vous riez à vous étranglez. Vos gestes sont déjà moins coordonnés, les syllabes que vous prononcez sont quasiment avalées. T'as une envie de sucré. Tu te lève et tu tombe. Vous pouffez de rire. T'as comme l'impression que rire te prend toutes tes forces, que tu peux plus rien faire en même temps. Tu réitère ta tentative. Réussie. La distance entre toi et le sac glacière te semble infiniment long. Tu prend une bouteille, n'importe laquelle. Au goût, tu pense à du rhum letchis. Et le temps de retourner là où tu étais, il n'y a déjà plus personne. Tu cherche, tu le cherche et puis t'oublie ce que tu cherche. Tu parle avec tout le monde. Et dans cette quasi obscurité, ils te semblent incroyablement beaux, sans savoir pourquoi. Trou noir. Tu reprends conscience, si on peut dire ça. Il y a un visage à coté du tien. Très très près du tien. Tu entends sa respiration saccadée. Il te regarde, imperturbable. Et toi t'es tellement troublée, tes membres tellement engourdis. T'as l'impression que tu va creuser le sol tellement tu te sens lourde. Tu ferme les eux parce que ça tourne trop vite. Tu sens des lèvres contre les tiennes. Juste une seconde. Tu ouvre les yeux. Personne. Tu reste immobile, tu ne sais pas combien de temps.
Il fait bien moins noir, il n'y a plus aucun bruit. Juste un marteau piqueur dans ta tête. Restent quelques personnes affalées dans les herbes hautes. Ton pieds est en sang, et ton ami n'est toujours pas là, tu t'inquiète vraiment. L'odeur du tabac froid imprégnée dans tes vêtements te donnent la nausée. Tu récupère ton sac et tu rentre chez toi à pieds.
Tu branche ton portable. Tiens, un texto.  Hier à 23h48. J'suis crevé, je rentre.
Vive l'amitié. Toujours là quand il faut hein.
Les certitudes sont ivres. C'est souvent comme ça que ça se termine avec ces soirées. T'en reviens toujours un peu plus pitoyable que tu ne l'étais avant, avec quelque chose de cassé en dedans. Tu discerne mal ce qui s'est passé de ce qui n'a été qu'illusion.
Il y avait du beau, quand même. Ou bien as tu rêvé ?

Les souvenirs n'ont pas la chance d'être des cheveux. Il n'y a pas de démêlant pour ces noeuds là.

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