Les Stranglers tordent le cou au pouvoir

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On n’ira pas jusqu’à parler de fontaine de jouvence. Surtout quand ce bon vieux Jet Black va jusqu’à poser sur les récentes photos promotionnelles avec un masque à oxygène.

A bientôt 74 ans, le batteur a bien, certes, quelques pépins de santé qui l’éloignent parfois de la scène, mais rien ne transparaît à l’écoute de ce nouvel épisode des aventures des Stranglers. Musicalement, la vieille garde proclamée punk mélodique se porte comme un charme.

Après presque quarante ans de carrière, 17 albums et 23 singles classés dans les charts, le quatuor s’est imposé, au fil du temps, comme un pilier de la scène internationale. Excellent confectionneur de tubes (No More Heroes, le savoureux Golden Brown et sa célèbre partie de clavecin, Strange Little Girl, Always the Sun…), garant de la mémoire du rock (les reprises de All Days and All of the Night des Kinks ou 96 Tears de Question Mark and the Mysterians), le groupe est aujourd’hui considéré comme un trésor national par une BBC qui les avait pourtant interdits d’antenne à la sortie du clip de Duchess, en 1979.

Après le départ du chanteur originel Hugh Cornwell au début des années 90, le noyau dur, désormais constitué de Jet Black, du claviériste Dave Greenfield et du bassiste franco-britannique Jean-Jacques Burnel, a connu quelques changements de line up. Depuis, le combo a accouché d’une demi douzaine de galettes plus (Norfolk Coast en 2004) ou moins (Coup de Grace en 1998) couronnées de succès sans jamais atteindre les chiffres d’antan.

Revenu, aujourd’hui, à une historique formule à quatre après avoir officié à cinq pendant des années, le combo sort un nouvel album aussi surprenant qu’engagé. Irak, Afghanistan, vision du monde imposée par l’Occident, pickpockets de Camden, infidélité, corruption des parlementaires… Les vétérans ont des choses à dire et ils le font à travers un disque qu’on écoute comme on lirait un Courrier International pamphlétaire.

A boulets rouges

Le titre de l’album, Giants, est, à ce propos, ironique et cible nos dirigeants actuels. « On vit dans une époque de petites personnes, de petites idées. Comment peut-on respecter les lois quand ceux qui les font sont corrompus? », explique, ça et là, Jean-Jacques Burnel avant de préciser au mensuel Rolling Stone : « Nos aïeux ont gagné des batailles que ces minables seraient incapables de mener aujourd’hui. Ils ont peur de prendre des risques, de réformer. Sans oublier cette manie de vouloir imposer notre idée de la démocratie dans d’autres pays, alors que nous-mêmes avons mis deux mille ans pour y arriver. »

En 2012, les Etrangleurs tirent à boulets rouges, accusent et n’hésitent pas à condamner si l’on en croit la pochette où une balançoire fait office de potence pour quatre futurs condamnés.

Burnel & co débutent leur revue de presse par Another Camden Afternoon. L’instrumental un brin bluesy, qui ferait un parfait générique pour un thriller style Snatch, doit son nom à un fait divers survenu dans ce quartier populaire de Londres (ndlr : une dame âgée a tenté de poursuivre un couple qui venait de lui voler son sac. Ce dernier est monté en voiture et l’a écrasée en faisant marche arrière). Guitare acérée et mélodique, basse ronflante, claviers psychédéliques, batterie métronométrique : les ingrédients de base de la recette Stranglers sont présents dès cette entame de premier choix.

Issu des sessions du précédent album, l’excellent Freedom Is Insane offre un solo d’orgue rappelant que les Doors restent l’une des influences majeures du quatuor.

Rapidement, les premières bonnes impressions se confirment. Giants s’impose comme une totale réussite. Les relents sixties de Boom Boom évoquent les Kaiser Chiefs, le stonien Time Was Once On My Side et 15 Steps s’installent confortablement dans la boîte crânienne après deux écoutes pour ne plus en sortir pendant qu’un nouveau style musical, le tango metal, voit le jour (Adios). Même un morceau comme Mercury Rising, que le groupe n’aurait pas renié dans les années 80, finit par se laisser apprécier.

L’opération séduction est complète. Lowlands et le morceau-titre comptent parmi les trois plus beaux passages de ces trois quarts d’heure de musique. La sublime ballade atmosphérique My Fickle Resolve enfonce le clou, tout en rendant grâce au travail épuré du guitariste Baz Warne, dont les interventions tant vocales qu’instrumentales sont finement distillées tout au long d’un disque aussi racé qu’incisif.

A quoi ressemblera l’avenir des Stranglers ? Personne ne peut encore le prédire. Tout dépendra probablement de l’état de santé de Jet Black et du temps que mettront les hommes en noir pour se réunir.

Si, toutefois, les choses devaient en rester là, ce 17e opus constitue un pas vers la sortie des plus dignes. Un pas de géant, en quelque sorte.

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