Les ténèbres à présent
David Humbert
Chapitre 1 : Réflections
Mon doigt appuie sur l'interrupteur, la lumière s'allume.
J'existe.
Depuis combien de temps suis-je dans cette pièce ?
Est ce qu'autre chose existe?
C'est moi. C'est n'est pas moi.
Mes traits sont tirés. Je n'ai pas suffisamment dormi.
J'asperge mon visage d'eau, le froid resserre les pores de ma peau.
Des gouttes d'eau parcourent mon visage jusqu'à la pointe de mon menton et éclatent dans le lavabo.
Mon doigt appuie sur l'interrupteur, la lumière s'éteint.
Je n'existe plus.
***
Je ne sais pas comment je l'ai rencontrée, mais elle m'embrasse.
Elle a les cheveux châtains, les yeux bleus. Elle se colle contre moi et prend le contrôle de mes organes. Elle glisse la main sous mon T-shirt.
Je dégrafe son soutien-gorge, je fais jaillir sa poitrine.
Elle joue avec mon sang. Elle le déplace par vagues, envoie mon cœur battre dans mes tempes.
Elle contrôle mon souffle, ma respiration.
Je passe ma main sous sa jupe. Je lis son désir sur ses lèvres.
Elle déboutonne mon pantalon.
Elle imprime ce moment dans ma mémoire avec sa langue.
Nos corps synchronisent et nous fusionnons.
Elle m'envoie dans le bleu-nuit de l'univers puis me laisse haletant.
***
J'ai dû me battre, j'ai le nez en sang.
Je ne sais pas comment c'est arrivé. Elle est avec moi.
C'est ma blessure. Ce n'est pas ma blessure.
Je grimace quand elle me passe un coton gorgé d'eau sous les narines.
Elle dépose un baiser sur ma joue et efface la douleur.
Elle quitte la pièce, je reste là.
J'observe mon nez gonflé.
Je renifle et un goût métallique coule dans mon arrière-gorge.
Je sors de la pièce.
Je n'existe plus.
***
Elle est en colère contre moi, elle crie.
" Tu n'avais pas le droit de faire ça ! "
Je n'ai aucune idée de quoi elle parle, mais je réponds.
" Tu ne me contrôles pas.... Jusqu'à preuve du contraire, je suis libre de faire ce que je veux ! "
Elle fulmine.
Elle essaie de me gifler, mais je retiens son poignet, puis les deux, elle hurle plus fort.
" Mais lâche moi, tu me fait mal ! "
Je la repousse vers l'arrière et libère ses mains.
" T'es un connard. "
Elle sort de la pièce sans se retourner, je l'entends claquer la porte d'entrée.
Mon visage ne montre rien, pourtant, je suis dévasté.
Ce n'est pas ma tristesse, c'est ma tristesse.
***
Quand j'allume la lumière, je vois que j'ai une barbe. Combien de temps suis-je resté dans le néant ?
J'entends une voix féminine venir de la pièce adjacente. Ce n'est pas elle.
Qu'est-ce que j'ai encore fait ?
Ma gorge se sert.
Je n'ai pas envie de pleurer. J'ai envie de pleurer.
Je réponds que je devrais raser cette barbe.
La voix me répond que non, que je suis beau avec.
Cette barbe ne me va pas du tout.
"Tu as raison, cela me va super bien !"
C'est ma voix. Ce n'est pas ma voix.
Je quitte la pièce, je n'existe plus.
***
Je n'ai pas souvenir d'avoir bu, pourtant, je suis complètement soûl.
Je scrute mon visage et l'image ondule.
Une aigreur d'estomac remonte brûler mon œsophage. J'entends mon ventre se plaindre.
Je pense à elle.
Elle ne me manque pas. Elle me manque.
Je suis à l'intérieur d'une toupie tournant au ralenti.
Je cours jusqu'à la douche derrière et je vomis.
Je râle comme une bête. Des larmes coulent de mes yeux, qui essaient de se barrer de leurs orbites.
C'est ma douleur. Ce n'est pas ma douleur.
Un filet de bave jaunâtre pend depuis ma lèvre, je le beurre sur ma manche.
Je sors de la salle de bain en traînant des pieds.
Les épaules basses, la tête en berne, j'avance comme un zombie. Doucement, je cesse d'exister.
Chapitre 2 : dissociation.
Je me scrute. Je me ressemble.
Si ce n'est que ma mèche est sur la gauche.
Que le tatouage sur mon bras gauche est sur son bras droit.
Que lorsque je lève un bras, c'est l'autre qui se lève.
J'ai l'impression d'être l'homme dans la caverne de Platon.
Ce n'est pas moi. C'est moi.
***
J'ai l'air d'être en colère.
J'empoigne violemment le rasoir, j'étale mécaniquement la mousse.
La condensation s'élève, s'accroche au miroir, se change en buée.
Au travers, je ne me vois plus, je me distingue.
Je passe ma main gauche – sa main droite – sur le miroir, plaque la lame sur ma joue.
À la façon dont je presse trop fort, je comprends que c'est contre moi-même que je suis en colère.
" Pourquoi tu gâches toujours tout ? "
Je voudrais répondre, mais je suis condamné au silence.
S'il ne parle pas. Je ne parle pas.
Mais j'ai envie de hurler :
" Prends ton téléphone ! Appelle-la !"
Mais je reste là. Les nerfs tendus, le visage tremblant.
Je suis une peinture, je suis une photo, je n'existe que dans un cadre.
Ce qui se passe au-delà m'affecte pourtant.
Je ne peux rien faire.
Je serre les dents, je bouillonne.
J'écrase le rasoir sur ma gorge et j'appuie de toutes mes forces.
J'écarquille les yeux, je ne voulais pas faire ça.
" Qu'est-ce que je fais putain ? Je deviens dingue."
Un filet de sang coule dans mon cou.
C'est mon sang. C'est mon sang.
***
La lumière s'allume et j'existe à nouveau.
Je m'assois sur le rebord de la baignoire, je tiens mon téléphone.
J'entends sa voix et mon cœur s'emballe.
J'apprends son nom. Elle s'appelle Lucy. Je marmonne des excuses minables.
Elle me répond qu'il est trop tard, que les mots ne sont que des mots, que mes actions ne sont que des mots.
Je supplie, m'abaisse plus bas que terre, espérant qu'elle voudra me relever.
Elle me promet que cela va aller.
Je laisse tomber le téléphone sur le carrelage.
Ce sont pas mes larmes. Ce sont mes larmes.
***
Je me regarde au fond des yeux, j'essaie de scanner mon âme, de comprendre ce qui ne va pas dans ma tête.
Ma colère monte.
Je frappe le néon au-dessus du lavabo. Je n'existe plus.
Je m'entends hurler, j'existe toujours. Je suis seulement plongé dans l'obscurité.
J'avance à tâtons vers l'interrupteur. J'allume l'ampoule du plafond.
Je scrute à nouveau mon âme, mais n'y trouve qu'égoïsme, suffisance et laideur.
Je donne un coup dans le miroir.
Un de ses coins tombe dans le lavabo.
Je saisis le morceau triangulaire et le serre dans ma main droite.
J'inspire, et recrache lentement tout l'air de mes poumons.
Je bloque ma respiration.
Une seconde....
Deux secondes.....
Et je frappe d'un coup sec le coté gauche de ma gorge, le surin rentre et sort en une demie seconde. Découpant, sans effort, tout sur son passage.
Je tombe au sol et mon couteau de fortune éclate en mille morceaux, reflétant ma mort autant de fois.
Du sang épais dégouline de ma gorge et recouvre certains éclats de ma prison de nitrate et de verre.
Mon cœur bat une dernière fois.
C'est mon sang. C'est pas mon sang.
Les ténèbres à présent.