Les tribulations d’une ruelle lyonnaise

Theo Metais

Entre les révolutionnaires de la place des Jacobins et les berges sombres trempées par la Saône, se profile une rue aux mœurs étranges mais dont l’histoire mérite d’être contée.

C’est drôle mais elle n’a pourtant rien pour elle la pauvre. Son décor fût pensé avec la même délicatesse qu’un agent du BTP bétonnant un trou dans l’asphalte, c’est vous dire. L’avantage est au moins de permettre aux passants une rapide compréhension du concept de mur, soit une ligne droite faite de briques. Ici pas un appareil photo, tous filent têtes baissées vers la sortie fuyant l’austérité administrative de locaux EDF. D’ailleurs jamais personne n’y est entré ni même sortit. Il flotte pourtant dans ces bureaux une sorte de vie invisible dont la seule fonction semble être d’allumer de temps à autre quelques néons blafards… sûrement les fantômes du service publique. Les immeubles eux, tentent péniblement de se maintenir en équilibre sur des trottoirs trop minces. Sur les façades ne reste qu’une teinte crème, un blanc d’autrefois jauni par le temps, preuve que parfois quelques rayons s’invitent entre les murs. Un alignement de fenêtres carrées rappelle un damier bien que troublé par les quelques variantes rectangulaires d’architectes inspirés. Puis en bout de rue quatre-cinq arcades trahissent cette perversion pour la ligne droite, mais tout le monde s’en fout. Ici pas une fleur ne poussent dans les jardinières aux allures de volières pour pigeons, seulement des tiges en fer qui leur suggèrent des ailleurs. Bref ma rue est un mauvais cocktail qui demain matin séchera sur un bout de trottoir, l’ennemi d’un estomac qui exorcisera son mal-être par le liquide.

Mais les charmes de cette rue semblent être ailleurs, plus discrets, moins accessibles, parfois moins gratuits. Quelques mois auparavant, en bas de ce qui allait devenir mon chez-moi, une femme m’avait renseigné sur les tarifs d’une sauterie à l’étage lorsque je l’avais confondu avec l’agent immobilière. Je n’ai pas mis longtemps à comprendre quels allaient être les visiteurs de mon quartier. Il n’est d’ailleurs pas rare de croiser entre deux paliers quelques mines essoufflées dont les regards bas et fuyants semblent être plus gênés que réellement angoissés par la pente de l’escalier. Parfois le hasard se joue de la situation avec humour, alors je rentre chez moi au même rythme qu’un type accompagné qui s’empresse de retrouver un semblant de virilité. Politesse oblige, je dis « bonjour » et pour remercier ma courtoisie, comme les murs sont fins, mon appartement profite de trente secondes de vociférations animales qui parlent du bonheur. Une fois la nuit tombée les lanternes rouges éclairent le trottoir, indiquant que tous les commerces ne sont pas fermés. Il arrive encore que dans l’intimité d’une porte entre-ouverte il reste une épaule à peine rhabillée. Une épaule qui devait être belle autrefois mais dont l’éclat s’est terni car la nuit à la rue Port du Temple il n’y a bien que les néons des bars qui brillent encore.

Puis il y a cette femme par terre, sur le trottoir pour d’autres raisons. Elle dort là où d’autres préfèrent marcher, au seuil de nos routes, frôlant les pas de quelques privilégiés pressés par un vent venu des quais. Là où le sol inspire méfiance et pitié, entre la pierre d’un sol trop froid et des couvertures trop fines, elle ne doit même plus entendre la musique de ce piano solitaire qui le samedi plane entre nos fenêtres.

Au fond, si elles ont existées un jour, les grandes heures de ces murs doivent être racontées sur des pages dont il ne reste que des fragments. On ne croise pas grand monde, certains y habitent je crois et de mes voisins je ne connais que le bruit des clés. Le soir chacun se retrouve face son écran plat pour rêver en haute définition. Claire Chazal, en guide touristique moderne pour quotidiens essoufflés, nous raconte la même chose que la veille sans que ça ne dérange grand monde car après tout on voyage un peu. La télé est une excuse, ailleurs les gens se parlent mais ici ils patientent. Pourtant, pourtant dans cette gelée trop flasque il y a quelques jolies histoires car si « la vie est un rêve dont la mort nous réveille » c’est ici et avec toi que j’ai rêvé les yeux ouverts.

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